BXL : la « ville-djihadiste » devient « ville-morte » (1/2)
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En quelques jours, Bruxelles est passée de la « capitale européenne du djihadisme » à une ville-fantôme. Cafébabel Bruxelles se plonge dans cette ambiance parfois morose.
À sa façon, Bruxelles, capitale voisine de Paris, a également été touchée par les attentats du 13 novembre. Par sa violence, sa proximité, ses cibles auxquelles on ne pouvait que trop facilement s’identifier, ses lieux que beaucoup d’entre nous ont déjà fréquentés. Mais aussi parce que depuis quelques jours, la capitale belge s’est repliée sur elle-même, sous la coupe d’une alerte terroriste maximale qui pourrait durer encore une semaine. Une situation que personne, en Belgique ou en Europe, n’a encore expérimenté.
Vendredi 13 novembre
Comme à Paris, la vie bat à son plein à Bruxelles. Sur les coups de 22h, alors qu’on fait les fiers parce que les Diables Rouges viennent de battre l’Italie lors d’un match amical, les premières alertes débarquent sur nos téléphones. « Les gars, il se passe un truc à Paris. » On ne comprend pas trop. Premier réflexe : on dégaine nos téléphones : « Mec, t’es où à Paris ? Tu vas bien ? ». Alors que les minutes passent et que les bières descendent, les murmurent s’intensifient. La plupart d’entre nous ont pas mal de potes français. Certains sont ici, d’autres sont à Paris. Sur Facebook, certains reçoivent des « safety check » de leurs amis, d’autres non.
Le lendemain, on se réveille hébété, déboussolé. On n’arrive pas à décrocher de nos écrans, le cœur boursouflé, les yeux engourdis, la tête qui tourne. Pendant les cinq jours qui ont suivi, on a presque discuté que de ça, même quand on ne voulait pas, même quand on ne voulait plus. On n’arrive pas à savoir si c’est mieux de s’informer ou pas. « Depuis les attentats de Paris, l’escalade de la peur qui a accompagné les décisions politiques et la sur-médiatisation de la moindre nouveauté m’ont à la fois fait peur mais m’ont aussi donné envie de résister. Pour moi, c’est crucial de combattre la panique, parce que c’est le but premier des attaques : semer la peur de l’autre. Et dans un pays en paix, c’est ça le véritable danger », soupire Marie. Et alors qu’on aimerait se changer les idées, on apprend que ça vient de chez nous, encore une fois. « Molenbeek, fief du djihad belge », titrent les journaux du monde entier.
On se sent cons, voire coupables. On se sent visé, regardé d’un mauvais œil. Et nous, comme pour nous rassurer, on tente d’en rire (jaune) : « Hé les mecs, on devrait jumeler Molenbeek avec Raqqa ! ». Plus sérieusement, à Bruxelles, on sait que Molenbeek n’est qu’un autre quartier défavorisé laissé à l’abandon, comme beaucoup d’autres en Europe. « Je pense qu’au fond, tout le monde sait qu’ils auraient pu venir de partout ailleurs. Mais pour beaucoup, ça soulage de pouvoir pointer une ingérence quelque part, de trouver une explication à l’inexplicable », insiste Marie.
Lundi 16 novembre
Alors que Paris panse ses blessures et pleure ses blessés, Alex Vizorek et Charline Vanhoenacker s’excusent en notre nom sur les ondes françaises en déclarant : « C’est la plus mauvaise blague belge qu’on connaisse ». Et Dieu (ou n’importe qui d’autre) sait que les blagues, en Belgique, on aime ça. Mais pas aujourd’hui.
Avec Molenbeek, surviennent les visages des terroristes qui ont frappé Paris. En l’espace de quelques heures, l’un d’entre eux devient le terroriste le plus recherché d’Europe : Salah Abdeslam. Pis, il serait de retour au plat pays, à Bruxelles, là où les attaques ont été planifiées. En moins de cinq jours, plus de 250 appels le signalent aux quatre coins de la capitale. Les autorités mettent les citoyens en garde, les alertes à la bombe se multiplient, les évacuations aussi. Et alors que les terrasses de Paris se remplissent de jeunes qui trinquent à la vie, à la République, à Voltaire, à l’amour, à l’humour, celles de Bruxelles se retrouvent encerclées par des militaires cagoulés.
Vendredi 20 novembre
Le soir, l’Université de Bruxelles est évacuée. Peu après, les véhicules blindés arrivent dans le centre. Sur la place Saint-Géry, fief des buveurs du centre, sept militaires patrouillent devant les cafés. « Je sais que c’est pour notre sécurité mais voir des mitraillettes alors qu’on est tranquillement posés en terrasse, c’est bizarre. C’est comme s’il y avait une voix dans ta tête qui ne peut s’empêcher de répéter "fais gaffe, fais gaffe". C’est comme si on nous enlevait un bout de liberté », souligne Edith, un verre à la main, en attendant de se rendre à un concert à l’Ancienne Belgique. « Mon mec ne voulait pas qu’on vienne au concert, que ça pourrait être dangereux. On ne va quand même pas s’arrêter de vivre pour ça. Au pire, on se met au balcon, s’ils débarquent, on aura peut-être plus de chance », continue-t-elle, en tentant plus de se rassurer elle-même qu’à jouer les fortes têtes.
Aux mitraillettes viennent se rajouter les spots de télévision, qui, tantôt rassurent, tantôt exaspèrent. Des journalistes étrangers demandent aux barmans comment ils se sentent. Plusieurs se disent rassurés, d’autres s’en foutent et puis certains qui répètent, « ça pourrait arriver n’importe où, n’importe quand et si on pense comme ça, on va arrêter de vivre. Alors autant de ne pas le faire ! »
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Suite de l'histoire ici.
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