L’Europe : un refuge face à la crise ?
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Philippe-Alexandre SaulnierEn ces temps de crise aigüe, l’Europe pourrait bien avoir toutes les occasions de se réjouir. Pour une fois, elle n’est plus montrée du doigt comme la cause de tous les malheurs. Le traité de Lisbonne fustigé de toutes parts il y a peu de temps encore, pourrait peut-être voir le bout du tunnel.
Ah, maudite crise ! On enragerait presque à la voir s’étaler ainsi sans relâche à la Une des quotidiens, s’inviter sans vergogne et en prime time sur le plateau de tous les médias. Toutefois, vu sous l’angle de la construction européenne, il se pourrait bien qu’elle n’offre pas que des désavantages. De toute évidence, dans la tourmente qui sévit, un nombre croissant de gens aspire à se rassembler. On s’ouvre volontiers à la nouveauté tout en cherchant du réconfort. En somme, on se remet en question ! Une nette tendance à la mutation se dessine en Europe. L’Irlande, parmi les jeunes membres de l’Union, jugé il y a peu de temps encore, comme l’un des élèves les plus prometteurs de sa promotion, manifestait en juin dernier de curieux symptômes d’indigestion communautaire. Le Tigre celtique semblait repu des bienfaits de l’Union. Entretemps, la crise est passée par là et le fauve gaélique, pourtant si fier de sa croissance en expansion, a du se limer un peu les griffes. Les effets de la récession lui ont été néfastes. Il aura été le premier à déraper.
Soudain, sur l’île d’émeraude, la recherche d’une réconciliation avec l’Europe ne parait plus relever de l’utopie. Le 16 février dernier, interrogés sur l’éventualité d’un nouveau référendum, une enquête parue dans le Irish Times révélait que seulement 33 % des Irlandais se prononceraient défavorablement sur la question du traité de Lisbonne. Ils étaient 53,4 % à l’avoir rejeté l’an passé. Puisque la nécessité s’impose, on a jugé bon du côté de Dublin de mettre son amertume en berne en envisageant la possibilité d’organiser une seconde consultation pressentie au plus tard pour le mois d’octobre de l’année en cours. Des bruits de couloirs prétendent même qu’au sein du gouvernement, on espère que le come-back d’un référendum revisité puisse se dérouler simultanément avec les élections européennes du mois de juin.
L’Europe : un abri pour les oiseaux égarés dans la tempête
Toutefois, afin que le scrutin en question prenne une tournure positive, il faudra attendre que Václav Klaus et Lech Kaczyński, ces deux ténors de l’euroscepticisme, daignent finalement apposer leur signature au bas du traité en suspens. Faute de quoi, le mot « Love » ne pourrait plus s’écrire avec un L comme Lisbonne. Et si cette lune de miel venait à être brisée, il ne resterait plus alors à l’Union qu’à se retourner vers l’ex-grand prétendant éconduit de jadis que fut le traité de Nice remis, nécessité aidant et par dépit, à l’ordre du jour.
Le pire est à craindre de la part du coq de village qui tient pour six mois les reines de l’Union. Néanmoins, tout espoir n’est pas perdu non plus. Ainsi, le 19 février dernier, la chambre des députés de la République tchèque en se prononçant en faveur du traité vient de lui faire franchir un obstacle de taille. Outre, la signature de Klaus, il ne manque plus que l’aval du Sénat qui doit se prononcer en avril prochain. Que la haute chambre à Prague puisse donner un avis favorable au texte est désormais plausible vu l’ampleur de la crise financière en cours qui est remontée jusqu’à elle. Il ne resterait plus alors qu’à espérer obtenir la bénédiction du président.
Céder aux sirènes de l'euro
De son côté, en Allemagne, avant de signer quoique ce soit, le président Horst Köhler souhaite attendre la décision du conseil constitutionnel toujours occupé à dépouiller les nombreuses plaintes déposées contre le traité par des citoyens de la République fédérale pour lesquels le tribunal suprême représente le dépositaire et l’ultime recours. Apparemment, en ces temps difficiles, l’euro agit lui aussi comme un pôle magnétique de rassemblement. L’Islande, la Hongrie, mais aussi la Suède et le Danemark qui ne sont pas encore membres de la zone euro lorgnent à leur tour du côté de la devise commune. Comme dévastée par une lame de fond sans précédent, la patrie de Björk a failli voir, en même temps que la faillite de son systême bancaire, les fondements de l’Etat islandais menacés d’effondrement.
Selon le quotidien britannique The Guardian, au pays des fjords et des geysers, alors qu’on se prépare à de nouvelles élections législatives, une demande d’adhésion à l’Union avant le mois de mai prochain a été sérieusement avancée. D’ici l’année 2011, il n’est pas exclu de voir l’Islande et la Croatie pousser main dans la main la porte de l’Union. Si ces deux entrées avaient lieu à l’échéance prévue, l’événement serait digne d’être inscrit à titre de fait exceptionnel dans les annales de l’Union. En effet, jamais demande d’adhésion n’aurait jusqu’alors reçu satisfaction si rapidement. Personne ne semble épargné par cette euromania subite. Pas même le très eurosceptique Royaume de Danemark qui, par la voix de son premier ministre Anders Fogh Rasmussen, cédant au chant des sirènes, laisse entendre que son pays pourrait (peut-être plutôt qu’on le pense) intégrer, lui aussi, la zone euro.
Malgré ses dissensions internes, grâce à son endurance face à la crise et à la solidité de sa monnaie, l’Union européenne attire et rassure beaucoup de monde en ces temps incertains. Le fardeau serait-il moins lourd à endurer quand on est plusieurs ? Tout porte à le croire. Il reste seulement à espérer que le traité de Lisbonne soit plus qu’un simple pis aller dont on ferait usage juste le temps qu’il faut afin de combler les déficits. Il est fort souhaitable, au contraire, qu’il agisse durablement comme un moteur de relance et de confiance et qu’après avoir rechargé les batteries momentanément à plat, il permette d’insuffler à l’ensemble un nouveau dynamisme. Non comme un viagra de secours avalé dans l’urgence en nourrissant le secret espoir qu’une fois la dépression exorcisée, chacun puisse repartir de son côté pour se remettre à bander tranquillement dans son petit coin.
Translated from Krise: Europa komm kuscheln