Le Tibet sous haute surveillance
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philippe-alexandre saulnierClaude Balsiger, un touriste suisse de 25 ans a été témoin de la révolte des moines tibétains contre les forces chinoises d’occupation. Il nous raconte sa semaine mouvementée dans la capitale du Tibet.
Mardi 11 mars - Lhassa
Je me trouve au restaurant en compagnie de Chris, un sympathique journaliste. Après le repas, nous décidons d’entreprendre une petite virée jusqu’à Bankhor Square, au centre de Lhassa avec l’intention d’accomplir une Kora, un pèlerinage dans la plus pure tradition bouddhique. Nous nous rendons donc au temple Jokhang, histoire de nous imprégner de l’atmosphère des lieux. Mais à ce moment-là, l’atmosphère qui règne en ville n’a vraiment rien de mystique.
Il faut être totalement sourd et aveugle pour ne pas remarquer le grand déploiement de policiers en civil et d’unités paramilitaires qui ont investi les rues. Soudain, ils passent à l’attaque. Bien-sûr, nous mesurons combien il est dangereux pour des touristes de se trouver en travers de leur route. Néanmoins et en dépit de toute prudence, nous les suivons à la trace, fascinés. De grands rassemblements de foule se sont organisées jusqu’à la nuit tombée. Et pas seulement des moines ! Les Tibétains forment un peuple incroyablement attachant. Partout, durant mon séjour, je me suis fait de nouveaux amis. Tout le monde vous offre quelque chose à manger ou bien une tasse de thé au beurre de yack.
Pourtant, dans leurs vies quotidiennes, les Tibétains sont impitoyablement soumis à des contrôles ou à des brimades. La répression sait se montrer féroce. Par exemple, des amis m’ont appris que le seul fait de garder sur soi une photo du Dalaï Lama suffisait à les conduire en prison. La présence chinoise à Lhassa est omniprésente. On voit des uniformes à tous les coins de rues. Une occupation militaire massive : telle est la réponse des autorités chinoises à la question tibétaine.
Vendredi 14 mars
Le vendredi, à l’heure du petit déjeuner, je rencontre deux jeunes Tibétains. Nous sommes assis près des vitres panoramiques et conversons en buvant le Chai, le thé. Très ouverts, ils s’expriment dans un bon anglais qu’ils ont appris au cours de leur exil en Inde. A leur retour au Tibet, ils ont été trahis par un mouchard travaillant pour le compte des Chinois, qui s’était infiltré dans leur communauté d’émigrés.
Un peu avant une heure, dans l’espoir d’entreprendre de nouveau ma Kora, je me dirige une fois encore en direction de Bakhor Square, le cœur historique de Lhassa, plus que jamais occupé par la police et les forces armées. Toutes les ruelles environnantes bruissent d’une grande agitation. Croisant un flot incessant de vieilles femmes, d’enfants et de marchands qui prennent la fuite, j’essaie de remonter à contre-courant cette marée humaine, en panique.
La police à l'éxtérieur du Temple Jokhang (Photo: Nice Logo/ Flickr)
Au loin, les hurlements de la une foule retentissent comme les cris d’une meute de loup. Contraint par le raz de marée humain de quitter la ruelle, je me retrouve échoué au milieu d’une grande avenue. Devant moi, une masse de 400 à 500 personnes vocifèrent dans un bruit sourd de tôles et de ferrailles. Des jets de pavés d’une incroyable violence volent en direction d’une petite ruelle où une cinquantaine de policiers s’abritent derrière leurs boucliers. La foule, en proie à une rage destructrice se précipite contre les hommes en armes qui maintiennent difficilement leurs positions et cherchent désespérément à fuir.
Aussitôt, des centaines de Tibétains se lancent à leur poursuite. Trahi par son origine, un vieux Chinois qui cherche à leur couper le passage avec son Rickshaw est immédiatement projeté à terre par la populace en colère qui le repousse en faisant barrage autour de lui. Comme si les poings levés ne suffisaient pas, trois hommes écumant de rage brandissent des pierres et menacent le vieil homme. Ne pouvant pas rester passif plus longtemps, je m’avance vers lui et vers sa bicyclette couchée sur le sol. Dans ce genre de situation, c’est une chance inespérée. Jugeant qu’il est préférable de faire valoir ma nationalité en guise de protection, je lève les bras en criant : « Non ! Non ! Arrêtez ! » Le vieil homme hagard se relève en scrutant la foule. Je ne lui laisse pas le temps de s’attarder et l’entraîne en l’agrippant par le bras vers la petite ruelle où je me trouve soudain face à un homme au visage rond et tanné qui semble être âgé d’une trentaine d’années : « Vous ne pouvez pas rester ici !, me crie-t-il, vous devez partir ! »
Bien qu’Européen, me sentant en sécurité, je ne peux qu’être incroyablement surpris par le bouleversement qui s’est produit en peu de temps devant mes yeux. N’est-il pas, en effet, surprenant de voir un peuple aussi amical et pacifique que les Tibétains, ayant pour chef et modèle spirituel le Dalaï Lama qui prêche la non-violence, être prêt à tuer de sang-froid d’autres hommes ? Il y a autre chose qui me surprend, c’est d’entendre rire les Tibétains. Car leur joie est immense. En effet, pour la première fois depuis cinquante ans, ils expriment avec soulagement le bonheur de pouvoir se déplacer librement dans leur capitale. A la devanture des échoppes et des restaurants, telle une affirmation de l’identité tibétaine et en signe de protection, sont suspendues des écharpes blanches.
Samedi 15 mars
A l’aube, les chars d’assaut envahissent la ville. Dans les rues, rien ne bouge, à part de très jeunes soldats ! Tout au long de la journée, on entend retentir des coups de feu et des explosions. Vers 17 h, nous quittons le centre-ville, planqués dans une camionnette qui file à travers les rues désertes d’une ville en état de siège. Sur la route, tout autour de nous, je compte pas moins d’une vingtaine de voitures calcinées, sept maisons incendiées et plus d’une cinquantaine de boutiques dévorées par les flammes.
A les voir ainsi partout patrouiller, mitraillettes au poing, aucun doute ne subsiste dans mon esprit : pas une seule seconde, les soldats n’hésiteraient à tirer sur tout ce qui bouge ! Nous arrivons enfin dans un hôtel de luxe situé à l’Est de la capitale. A peine, avons-nous posé le pied à terre que nous nous jetons sur le Net et sur les téléphones. La réception grouille de policiers en civil qui épient tous nos faits et gestes.
Dimanche 16 mars
Nous sommes réveillés par le bruit assourdissant de colonnes de camions et de tanks. L’armée chinoise déferle sur le Tibet. Nous comptons 120 camions. A bord de chacun d’eux : 35 soldats. Sans oublier les chars ! Le lundi, nous pouvons retourner en ville. Les postes de contrôle militaire ont « fleuri » à chaque carrefour. Nous nous mettons dans la peau de touristes parfaitement ignorants de la situation et réussissons à déjouer la vigilance des contrôles. Les soldats paraissent très jeunes. 16 ans tout au plus. Parfois moins ! Pour la moindre peccadille, ils pointent leurs armes. Sur la ville plane une ambiance de désolation.
Mardi 18 mars - Katmandou
Nous devons notre salut à ami qui vient nous prendre à notre hôtel pour nous conduire au Népal. A Katmandou, une bonne cinquantaine de journalistes du monde entier sont sur le qui-vive. Toute la journée, ils sont sur nos talons, nous relançant dans nos chambres et nous harcelant jusque dans la rue. A la fin, je me décide à leur révéler tout ce que je sais et à partager avec eux toutes les informations que j’ai en ma possession.
L'Europe soutient le Tibet. En Belgique et en France,en haut. En Pologne, à Milan et à Londres en bas
Photos: en Une, manifestant à Antwerp, Belgique (pietel/ Flickr), les écharpes blanches en offrande (citizenof1world/ Flickr), Les militaires (Photo: d o d g e r/ Flickr)- Mosaïque : soutien en Europe (Photos: pietel/ julien '/ gilus_pl/ reinvented/ Flickr)
Translated from Tibet außer Kontrolle