Le microcrédit : une utopie en Europe aussi ?
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En Europe, depuis quelques années, les acteurs et les initiatives qui cherchent à réinsérer des personnes exclues du système financier grâce à des microprojets se multiplient. Analyse.
Qui pense « micro » pense « petit ». C’est ce qu’a imaginé , professeur d’économie au Bangladesh lors de la famine de 1974 et 1975. Cet universitaire s’est en effet vite aperçu que les paysans, s’ils avaient disposé d’un minimum d’un dollar, auraient pu faire face aux difficultés économiques qu’ils rencontraient. Mais cette « micro » somme, aucune banque ne souhaitait la prêter à défaut de garanties financières de la part des clients. Yunus s’est alors porté garant. Il est devenu le « banquier des pauvres ».
Une opportunité contre la misère
Les dettes de remboursements ont été honorées dès la première année et le principe s’est étendu à de nombreux districts bangladais. En 1983, une banque concrétisant ce système solidaire, la Banque Grameen, est créée. 25 ans plus tard, elle existe dans plus de la moitié des villages du Bangladesh et 5 % de ses client(e)s sortiraient de la pauvreté tous les ans. 94 % des 2,1 millions d’emprunteurs sont des femmes. Des femmes qui se révèlent plus combatives que les hommes lorsqu’on leur donne, ou plutôt « prête », l’opportunité de se sortir de la misère.
« Eliminer la pauvreté partout et en donnant aux plus démunis les moyens de contrôler leur destinée »
C’est précisément la réussite de ces femmes qui a conforté les fondateurs de la Banque Grameen dans leur projet. L’initiative avait fonctionné en pays musulman, à forte tradition patriarcale, le microcrédit pouvait alors être implanté à travers le monde. 58 pays proposent aujourd’hui des programmes de microcrédits, adaptés en fonction de conditions spécifiques locales. Si les populations des pays en développement représentent les principales cibles des organismes de micro-finance, les économies de marchés connaissent leurs lots de petites entreprises nées grâce au coup de pouce de microcrédits.
Qui pourrait penser, à première vue, que dans les régions du cercle polaire en Norvège, royaume économiquement prospère, le microcrédit puisse être utilisé pour enrayer la dépopulation des îles Lofoten ? Quelle est la situation sur le reste du Vieux continent ? Si en Europe, la Norvège comme terre de microcrédit peut surprendre, quelle place occupe la micro finance dans l’UE ?
En Pologne, trop de disparités régionales
Dans les années 80, la micro finance a vraiment été acceptée comme outil de développement économique à travers le monde, et un peu plus récemment en Europe. L'importance des services non-financiers est l'une des caractéristiques du secteur de la microfinance en Europe, de même que le profil de la population concernée (chômeurs, personnes en réinsertion sociale, exclues du système bancaire classique). Pourtant, une différence de pratiques est à noter entre l’Est et l’Ouest du continent.
Le dynamisme du microcrédit s’est fait sentir en Europe centrale et de l’Est dès la chute du communisme. Le désir général de transition économique a constitué un véritable tremplin pour la microfinance. Les personnes souhaitant redémarrer économiquement ont été soutenues malgré un secteur bancaire inadapté aux nouveaux besoins. Dès les années 90, les établissements de Microfinance (IMF) en Europe de l'Est et Centrale pouvaient compter sur une croissance annuelle moyenne de 30 %. Aujourd’hui, on souligne une certaine réussite de la microfinance dans cette zone, puisqu’à côté des IMF et des ONG, les banques commerciales trouvent un intérêt croissant à proposer des microcrédits aux plus démunis.
Cependant, ce mouvement général ne se ressent pas toujours de façon homogène à l’intérieur d’un même territoire. Le cas de la Pologne illustre encore les défis de la microfinance à l’Est. L’absence, au niveau national, d’une politique générale de services financiers de microfinance, accentue les disparités régionales. Certaines localités sont plus dynamiques que d’autres pour l’utilisation de ces processus bancaires. Le soutien aux micros entreprises par le biais de prêts des autorités publiques existe. Ces fonds diffèrent cependant d’une région à l’autre et accroissent les inégalités économiques. Lorsque « succès du micro » il y a, il faut alors aller le chercher du côté des IMF, puisque largement financées par des capitaux privés étrangers dès les années 1990, assurant une plus grande indépendance.
Croissance timide en Europe de l’Ouest
En Europe de l’Ouest, la philosophie de la microfinance, qui connaît une croissance récente et timide, remplit davantage un objectif de cohésion sociale. Le fonctionnement économique de l’Europe occidentale repose sur un système de petites et moyennes entreprises (99 % des PME sont des microentreprises, soit 1 à 9 salariés), ce qui explique l’importance de soutenir les initiatives les plus locales. Paradoxe alors de constater que de nombreux entrepreneurs n’ont pas accès aux services financiers des réseaux « classiques ». Pourtant, les entreprises issues du système du microcrédit créent du lien social à l’échelle locale, d’autant plus que ces micro-entreprises se développent principalement dans le secteur tertiaire et dans les niches qui n’intéressent plus les grands groupes. Selon Philippe Guichandut, directeur du Réseau européen de la Microfinance (REM), ces processus de « bancarisation » des exclus « s’inscrivent davantage dans des logiques sociales que commerciales ».
Si les organismes de microcrédit en Europe occidentale relèvent principalement du milieu associatif, les cadres juridiques ne cessent de s’assouplir, créant des partenariats avec des grands groupes bancaires et d’assurances. Au Royaume-Uni par exemple, certains programmes apportent de l’aide aux intermédiaires proposant des services aux exclus. Le Small Firms Loan Guarantee Scheme, projet de garantie de prêts aux petites entreprises, assure des avantages pour les banques prêtant des capitaux à un public qui ne serait pas susceptible de recevoir un prêt sans ce système de garantie.
Des obstacles selon l’ADIE
Sans aucun doute, la question croissante du surendettement pose un problème majeur pour l’avenir du système du micro crédit en Europe. Marek Hudon, co-directeur du Centre européen de recherche sur le microcrédit souligne : « A partir du moment où on travaille avec des populations exclues bancaires et que ces populations sont sociologiquement des populations défavorisées, il y a un risque en reprenant un nouvel emprunt de tomber dans un cycle de surendettement important. En général on le voit, ce n’est pas lié à la microfinance, mais en Belgique, environ 7 % de la population est en situation de défaillance par rapport à un crédit, c’est même 10 % à Bruxelles. » La question du surendettement est donc un élément important dans le débat et le microcrédit doit constituer un outil parmi d’autres pour sortir les personnes exclues du cercle vicieux du surendettement.
De plus, les utilisateurs vont être confrontés à une législation complexe des entreprises : alors que dans les pays en développement, on laisse souvent une certaine marge de manœuvre, en Europe, « les organisations interviennent dans un contexte très réglementé où la marge de manœuvre est très étroite », rappelle Philippe Guichandut. Maria Nowak, présidente fondatrice de l’Association pour le développement de l’initiative économique (ADIE) parle même de contraintes règlementaires « décourageantes ». Les deux obstacles majeurs sont liés la réglementation du taux d’intérêt, le plus souvent plafonné (à l’exception de quelques pays comme le Royaume-Uni et maintenant la France) et l’autre à l’impossibilité pour des organismes non bancaires d’emprunter pour prêter. Si les évolutions existent, il reste encore un long chemin avant d’adapter la législation au secteur.
La Commission européenne s’implique
Plus qu’un phénomène de mode, le microcrédit est devenu au fil des années un outil significatif pour aider les personnes en difficulté à se relancer. En France, l’ADIE a contribué depuis 1989 à la création de 50 000 entreprises générant 58 000 emplois pour autant de prêts solidaires octroyés. A l’avenir, ce système devra apporter sa propre contribution dans la construction de services financiers ouverts à tous.
L’union européenne s’est elle-même saisie de ce système avec notamment l’adoption en 2007 de l’Initiative européenne pour le développement du microcrédit par la Commission européenne, mais aussi la mise en place d’un Réseau européen de la microfinance. Pour la période budgétaire 2007-2013, la Commission européenne et le Fonds européen d’investissement ont pris une nouvelle initiative intitulée JEREMIE. Celle-ci permettra de transformer une partie des fonds régionaux octroyés par les institutions européennes en capital d’emprunt. Autant d’outils qui doivent permettre d’accéder un jour au souhait émis par Mohammad Yunus : « Eliminer la pauvreté, partout et sans attendre, en donnant aux plus démunis les moyens de contrôler eux-mêmes leur destin. »