Écosse : Scots toujours (partie 1)
Published on
J-2 avant le référendum d’indépendance en Écosse. Le oui l’emportera-t-il ? Le pays des Highlands votera-t-il, le 18 septembre, pour mettre fin à son union avec l’Angleterre, son voisin du sud et ancien ennemi auquel il s’est rattaché il y a 307 ans ? À Glasgow, à Édimbourg, à Aberdeen, nous sommes allés voir comment la campagne entamait sa toute dernière ligne droite.
La date du référendum a été arrêtée en mars 2013, et la campagne a été lancée officiellement en mai dernier, officieusement, bien avant. En un an et demi de débats, les Écossais ont l’impression d’avoir entendu tous les arguments pour le oui ou pour le non. Ils sont désormais prêts à se rendre aux urnes.
« L'indépendance, c'est bon pour les esprits romantiques »
À Aberdeen, le grand port pétrolier sur la Mer du Nord et troisième ville du pays, le soleil ne brille pas très souvent. Alors quand il daigne se montrer, Elsie aime à s’asseoir sur un banc face à l’interminable plage, à profiter du grand air et du bruit des vagues. Originaire du Ghana, cette sage-femme à la retraite a élu domicile dans la capitale pétrolière en 1969, et elle s’est mariée à un Anglais. Ensemble, ils ont élevé un fils qui travaille maintenant en Angleterre.
« Qui va payer ma retraite, si on devient un pays indépendant ? La population écossaise est plus âgée que la moyenne britannique, et on a beaucoup de bénéficiaires des allocations sociales. Les diplômés s’en vont à Londres. Et puis, Aberdeen est une ville très chère, avec l’économie pétrolière. L’hôpital a du mal à recruter, voire à garder son personnel. Ce n’est pas l’indépendance qui va résoudre tous ces problèmes. Pour moi, c’est non », assène l’Afro-écossaise d’un ton décidé. « L’indépendance, c’est bon pour les esprits romantiques, les gens qui ne réfléchissent pas avec leur tête. Les réserves de pétrole diminuent – et c’est avec ça qu’on est censé financer le système de santé ? Salmond n’est vraiment pas réaliste dans toutes ses promesses. Et puis la question de la monnaie n’est toujours pas réglée. À quoi ça rime, une indépendance avec la Banque d’Angleterre qui fixe nos taux d’intérêt ? »
À 22 ans, Sophie se consacre à plein temps à la campagne pour le non à l’indépendance. Titulaire d’une licence (en fait, d’un Bachelor of Science) de biologie à l’Université d’Édimbourg, la jeune femme a décidé, à l’été 2013, de faire « une pause d’un an » pour s’engager totalement pour la sauvegarde de l’Union. Heureusement, elle a décroché un job dans l’organisation « Better Together », l’alliance des trois principaux partis britanniques contre le projet d’indépendance écossaise. D’ailleurs, son engagement n’a rien de surprenant, car elle est membre du Scottish Labour, le Parti travailliste d’Écosse, unioniste. « Mais quand j’étudiais encore à Édimbourg, la campagne pour le référendum avait déjà commencé. Et là, je travaillais bénévolement six heures par semaine pour Better Together ». Son CDD avec « BT » dure jusqu’en octobre. « Je pense que l’Écosse doit rester au sein du Royaume-Uni car il faut voir les choses en grand. En faisant partie d’un plus grand ensemble, on a tout simplement plus d’opportunités de carrière, par exemple. Je crois que l’Écosse devrait jouir d’une plus grande autonomie régionale, davantage de devolution, par exemple nous devrions avoir plus de pouvoirs en matière de collecte de nos impôts. Je veux une autonomie accrue, oui, mais pas l’indépendance, qui va remettre en question notre appartenance à l’Union européenne. »
Dans le brouhaha de la gare centrale de Glasgow à l’heure de pointe, Derek Wildman tient à s’exprimer en français. Il est très remonté contre la présence de l’arsenal atomique britannique en Écosse, notamment les sous-marins nucléaires du système baptisé « Trident », stationnés à la base de la Royal Navy à Faslane, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Glasgow. « Il y a d’abord eu le programme Polaris, qu’ils ont lancé en 1962, ensuite on a eu le système Trident. Le Royaume-Uni devrait se débarrasser de ce système de défense. Ni Harold Wilson [premier ministre de 1974 à 1976], ni Tony Blair n’ont fermé la base militaire. Ce sont nos impôts qui payent tout ça, et ça coûte des milliards. Tout ça pour quatre sous-marins qu’on n’a même pas le droit d’utiliser sans la permission des Américains. Moi, je compte fermement voter oui. Non pas parce que je souhaite vraiment que l’Écosse devienne indépendante, mais parce que si on est très nombreux à voter oui, cela obligera le gouvernement britannique à fermer la base de Faslane. C’est le seul moyen de pression dont on dispose pour forcer Londres à nous écouter. Il faut vraiment que le peuple écossais donne un grand coup de pied dans la fourmilière. Mais je ne suis pas convaincu que le oui gagnera ».
« Nous sommes plus solidaires que les Anglais »
Sur City Square, la place de la mairie de Dundee, deux jeunes femmes profitent des frais rayons du soleil de midi. Dundee, ancien port baleinier à l’embouchure de la rivière Tay, est aujourd’hui la quatrième ville d’Écosse. « Nous sommes des yes-girls ! », s’exclament les deux amies, étudiantes à Édimbourg et de passage dans leur ville natale. « Le débat sur l’indépendance tourne beaucoup autour de l’argent, de l’économie, de la monnaie. Pour moi, ce n’est pas ça le plus important », explique Vicky Main. « En fait, tant qu’on ne sera pas indépendant, on ne saura pas vraiment comment les choses tourneront. Mais ce qui est sûr, c’est que l’Écosse a un système éducatif plus démocratique que l’Angleterre. L’enseignement supérieur est plus accessible, moins cher. Notre société est plus solidaire, plus attentive aux droits des femmes. Nous voulons défendre cela ». Jasmin Watt fait du bénévolat à St. Catharine’s Convent of Mercy, un couvent de religieuses qui accueille les sans-abris d’Édimbourg. Elle rejette la politique de Westminster, qui s’attaque aux pauvres et a rogné les financements pour les associations comme « The Convent ». « Il y a des gens qui pensent que les indépendantistes écossais “détestent les Anglais”. Mais ce n’est pas du tout ça, en ce qui me concerne. Londres contrôle les finances et fait de la politique pour les riches. Je ne veux pas de ce type de société. Je préfère un modèle comme en Europe du Nord, par exemple. Avec de la solidarité. Et tant pis s’il faut payer plus d’impôts pour cela. En Scandinavie, ça n’a pas l’air de leur poser problème. »
Tous propos recueillis par Jean-Michel Hauteville, à travers l'Écosse.