Attentats : les lendemains qui hantent
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Les lendemains des attentats de Paris ont peut-être réhabilité le quotidien, mais ils n’ont pas dissipé les doutes, les craintes et les questions. Les réponses sont sans doute à chercher ailleurs, là où la terreur a imposé aux autres de reprendre le cours normal de leur vie. Des jeunes se souviennent puis se racontent à Madrid, à Bruxelles, à Londres ou à Tunis.
« À Bruxelles, on n'a pas vraiment eu le temps de digérer ce qu'il s'est passé à Paris. La semaine qui a suivi les attentats et la vague d'incompréhension et d'hébétement qu'ils ont transporté jusqu'ici, un sentiment beaucoup plus fort a fait surface, comme partout ailleurs : celui du goût de la vie, de rappeler à ses potes qu'on les aime, de profiter de nos libertés, de boire des coups. Comme si on en avait oublié l'importance de tout cela. Mais en passant à la menace 4, on nous a enlevé tout cela pour imposer un autre sentiment : la peur.
La peur en fermant nos écoles, nos métros, nos restos, nos bars, nos cinés, nos boîtes de nuit. Et pour nous les Belges, qui sommes un peu je-m'en-foutistes sur les bords, ça a été une belle claque. Pourtant, on avait bien compris qu'il faudrait peut-être vivre un jour sous la menace terroriste, parce qu'elles peuvent arriver ici comme ailleurs, tout comme elles ont frappé Paris. Mais on ne savait pas que ça ressemblerait à ça. À des rues fermées, des militaires patrouillant là où on jette nos clopes, à des fouilles avant de rentrer dans un bâtiment. Personne n'avait jamais vécu ça. On nous a imposé la peur et on a eu l'impression d'avoir perdu. On ne pouvait pas en vouloir à l'Ocam (Organe de coordination pour l’analyse de la menace, ndlr) ou au gouvernement parce qu'au fond, on ne savait pas si c'était mieux ou pas. On a commencé à en rire, en se disant que la vie reprendrait bientôt son cours. Le vrai choc, ça a été le mercredi, quand tout a rouvert, quand tout était pareil et que pourtant, plus rien ne l'était. Mes colocs étaient renvoyés chez eux par leur patron, les enfants demandaient à leurs parents si les soldats devant leur école allaient rester pour toujours. En allant au boulot, j'ai entendu une femme qui disait qu'elle ne voulait plus prendre le métro, qu'elle avait trop peur. Le #BrusselsLockDown nous a fait réaliser que ce n'avait pas été qu'une parenthèse, qu'il fallait vraiment devoir s'habituer à buter dans un militaire à chaque coin de rue. Et pour nous, qui sommes un peu je-m'en-foutistes, ça a tout remis en question. »
Sarah, à Bruxelles, après le confinement de la ville décrété le 21 novembre 2015.
« Ce moment est figé dans ma tête. J'étais en train de m'installer confortablement dans mon petit bureau, chez moi, pour commencer le rapport de mon projet de fin d'études. Comme souvent, j’ai voulu jeter un dernier petit coup d'œil sur Facebook avant de me déconnecter et de commencer une soirée de boulot. C'est à ce moment précis que la dépêche tombe puis que mon fil d'actualités s'embrase : un bus a explosé sur l'avenue Mohamed 5. Ma première réaction était d'aller vérifier si ma sœur était à la maison sachant qu'elle prend le bus quasiment tous les jours. Une longue soirée d’hiver s’en est suivie. Peu après, je me suis demande : comment reprendre après une bataille perdue ? Il y a bien les chansons patriotiques sur toutes les ondes, les débats enflammés à la télé frisant souvent la propagande soviétique ou encore la sonnerie d’attente de quelques répondeurs qui bascule de la 5ème de Beethoven à l’hymne national, mais malgré tout ça la réponse est ailleurs pour moi et pour des millions de mes concitoyens : l’amour. Les terroristes veulent semer la haine mais nous cultiverons l’amour. Aujourd’hui j’ai voulu enlacer mes compatriotes policiers pour la première fois de ma vie, après avoir regardé un film au ciné et pris un café avec des potes. Quoi de mieux pour emmerder ces monstres ? »
Chérif, à Tunis, après les attentats du mardi 24 novembre.
« Je suppose que les riches qui se déplacent en voiture en ville et ne se mélangent pas à l’odeur de café et de sueur du matin n’ont pas vécu tout ça de la même manière. Pour moi, un type de banlieue, cet attentat signifiait foutre en l'air le moyen le plus rapide de rejoindre le centre de Madrid. Je me souviens avoir porté mon keffieh palestinien tous les jours. Dans ces moments-là, le discours fasciste ne peut pas prendre. Je me rappelle que, deux jours après le désastre, j'ai repris un de ses trains. Silence absolu. Les regards se croisaient et personne n'avait l'air d'avoir envie d'être là. Soudain, le train s'arrête dans un tunnel. Panique. Des sourires nerveux et, dans la tête de tous : « Putain, ça ne va pas recommencer ». Puis rien ne s'est passé. Il fallait monter dans ce train chaque jour. Monter dans un train pour protester. Regarder les autres personnes dans le wagon dans les yeux et sourire. »
Manu, à Madrid, après les attentats du 11 mars 2004.
« Comme la plupart des grandes villes, Londres a toujours été un exemple du multiculturalisme en action. Il y avait une bonne ambiance, motivée par le fait que la ville célébrait l’occasion d’organiser les Jeux Olympiques de 2012. Quelques jours après, tout changeait en une indescriptible atmosphère de terreur. Vivant dans la banlieue sud de Londres, adolescent de 14 ans à l’époque, la « guerre contre le terreur » (« War On Terror ») m’est toujours apparue comme une réalité lointaine – en Afghanistan, en Irak et bien sûr à New York. Après une semaine, on pouvait sentir un climat de méfiance. Si vous étiez né avec la peau sombre, vous le ressentiez encore plus, dans ces petites choses comme ce siège qui reste vide à côté de vous alors que le bus est blindé. Mais la vie urbaine n’a pas (et ne pouvait pas) s’arrêter. Les Londoniens, comme les Parisiens, se sont rassemblés. C’était – et ce sera toujours – la seule chose à faire. »
Viral, à Londres, après les attentats de juillet 2005.