Allemagne : le service militaire a du plomb dans l'aile
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Philippe-Alexandre SaulnierKarl-Theodor von und zu Guttenberg (ministre allemand de la Défense) parle sérieusement quand il demande au Bundestag d’en finir avec le service militaire obligatoire. Si cette mesure est votée, elle mettra de facto un terme à une tradition remontant à 1956. Appelés sous les drapeaux, les jeunes Allemands de sexe masculin ont le choix entre un service militaire et un service civil.
Mais il est obligatoire ! Que se passe-t-il si quelqu’un n’accepte ni l’un, ni l’autre ?
Ce cas là n’est pas prévu par la loi. Le service concerne (sauf exceptions) tous les jeunes hommes ayant 18 ans révolus. Âgé aujourd’hui de 26 ans, Jens Rügenhagen qui, a refusé d’effectuer le service sous ses deux formes, n’existe donc pas au sens juridique du terme : « Militaire ou civil, je conçois la conscription comme une tentative visant à transformer par n’importe quel moyen toute personne de sexe masculin en soldat. » C’est sa façon de voir les choses : « Sans le service militaire, pas de service civil ! En Allemagne, le travail forcé est anticonstitutionnel. Sauf s’il est couplé au service de défense. » S’ajoute à cela l’obligation faite aux objecteurs de conscience de participer à la défense du pays. L’Observatoire pour la paix et le désarmement (Asfrab) met en avant le caractère éminemment militaire du service obligatoire. Ce contre quoi Jens se bat. L’objection de conscience intégrale à la guerre est répréhensible en Allemagne. Mais comme la notion d’objection intégrale n’a pas de réalité juridique officielle, toute personne qui s’en réclame ne pourra donc pas être reconnu coupable de délit.
« A découvert » dans les tranchées de l’Objection de conscience.
Est considéré comme déserteur tout appelé reconnu apte au service qui, sans raison valable, ne se présente pas à la caserne. En 2006, c’est la voie que Jonas Grote a choisie. Elle l’a mené tout droit au mitard à titre disciplinaire durant 42 jours. Comme il l’écrit sur son site Internet, selon lui : « Le service, même sous sa forme civile, reste avant tout militaire … » Sur son site, Jens, lui aussi, expose avec beaucoup de détails son total refus de l’incorporation et les conséquences qui en découlent : « Au cours de mon procès, j’ai traité le juge d’embusqué et déclaré que les hommes enrégimentés me semblaient dénués de conscience, je cherchais de cette manière à me libérer de ma frustration. » Contrairement à Jonas, il a refusé d’accomplir son service militaire et ne s’est pas présenté au service civil. Accusé de désertion, il a été condamné en 2008 à une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à 250 heures de travaux d’intérêt général. Jonas écopa d’une moins lourde peine : 120 heures de travail d’intérêt général, les frais du procès restant à sa charge. Aux yeux de l’Asfrab, par principe, les objecteurs dits intégraux s’exposent « à découvert », sans se soucier des retombées. Ce qui les distingue des objecteurs… opportunistes.
Méthode pour échapper à la conscription
Aux opportunistes qui se tournent vers lui, Peter Zickenrott n’a rien à objecter. Ses conseils avisés et tarifés aident les jeunes Allemands à échapper aux griffes du service. En 1979, il s’est réformé par lui-même : « Cette année-là, les Russes envahissaient l’Afghanistan ; je vis alors la troisième guerre mondiale se pointer sur le pas de ma porte. » Après s’être tiré d’affaires, il s’est demandé « comment je pourrais aider les gens en proie au même dilemme ? » Ses recherches et ses réflexions aboutirent à son Anti-Wehrdienst Report (Méthode pour échapper à la conscription). 397 euros le package, consultation comprise. Succès garanti à 100%. D’après lui, le prix se justifie : « Par exemple, pour l’équivalent d’un salaire hebdomadaire moyen, il vous permettra de commencer vos études un an plus tôt. » Même s’il navigue aux limites de la légalité, Peter Z. définit son activité comme celle d’un pacifiste. Qu’est-ce qu’un soldat? A ses yeux, rien de plus simple à décrire : « Quelqu’un dont le devoir est de tuer automatiquement sans réfléchir ! ». Jonas comprend pleinement que des gens refusant de faire l’armée se tournent vers ce genre d’experts : « C’est une façon comme une autre de sensibiliser le public aux problèmes de conscription et à l’injustice que l’appareil étatique continue d’entretenir. Et si quelqu’un s’aperçoit qu’il peut faire de l’argent avec et que ça marche, dans ce cas… pourquoi pas ? ! »
Réforme du service militaire : « Pas un progrès social »
Jens préfère plaider au nom d’un ajustement politique : « Quand je vois par quelles combines les gens essaient d’éviter le service militaire, je trouve que leur motivation manque un peu de hauteur. » Malgré tout, il se réjouit de sa suspension bien que « La suspension, à l’opposé de l’abolition pure et simple, signifie seulement qu’il n’y a plus de recrutement à effectuer. Cependant, à tout moment, les affectations peuvent de nouveau changer. Du rejet fondamental de la guerre, on ne trouve ici aucune trace ! » La suspension du service militaire n’est pas en soi une avancée sociale.
Un avis que partage Peter Zickenrott, l’homme dont les revenus sont redevables au service obligatoire. Fier d’avoir contribué à l’enterrer, il se sent mûr pour un nouveau projet : aider les gens à préparer leur préretraite. Dans ce domaine aussi, il reste de nombreuses réformes à accomplir… Obligatoire !
Photos: Artikellogo (cc) John-Morgan/flickr; Spielzeug-Soldaten (cc) Stéfan/flickr; Peter Zickenrott (cc) Peter Zickenrott; Video: ©AusmusternZickenrott/YouTube
Translated from Totalverweigerer in Deutschland: Eine Frage des Gewissens?