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frédéric bègueTallinn a des airs de petite ville de bord de mer avec son aéroport de la taille d’un centre commercial, son petit centre historique et ses faubourgs de maisons de bois. Mais internet règne partout.
« Tout est ici un peu différent », je l’ai appris dès mon arrivée par Giovanni, un Italien de 26 ans qui vit à Tallinn. Ma chambre est meublée dans le style Brejnev, l’air marin et les mouettes me rappellent les vacances et mon portable m’informe qu’il capte plusieurs réseaux gratuits. Au centre de Tallinn, il y a 359 points d’accès WiFi qui permettent d’accéder gratuitement à Internet.
Le miracle estonien
Après la chute de l’URSS en 1990, le pays tout juste délivré du joug soviétique se trouve dans une situation difficile. Que faire dans ce monde nouveau quand on n’a pas de superficie, de ressources naturelles ou d’industries importantes ? En 1992, le Premier ministre de cette petite république balte d’à peine plus d’un million d’habitants s’appelle Marti Laar, il a 32 ans et sa petit idée sur la manière de créer le « miracle estonien ».
Il libéralise l’économie, combat la corruption, introduit un impôt à taux unique et mise sur les jeunes. Son gouvernement décide que les formalités administratives doivent être réglées par voie électronique et que les compte-rendus des réunions gouvernementales et administratives, sessions parlementaires incluses doivent être virtuelles. Aujourd’hui, les Estoniens ont récolté les fruits de ces décisions, le chômage est inférieur au niveau ‘naturel’ de 3% et les contribuables paient leurs impôts sur internet.
Techniquement parlant, l’Estonie a toujours été à l’avant-garde de l’Europe. « Dans une ancienne usine reconvertie en centre culturel, j’ai pu lire des journaux du début de l’année 1989, » lance Ray Crowley, un Irlandais de 30 ans qui travaille dans la centrale ‘Skype’. « Ce qui m’a frappé, c’était la qualité des couleurs. À cette époque en Grande-Bretagne, il n’y avait pas beaucoup de journaux qui pouvaient se vanter d’une telle impression. De plus, j’y ai trouvé un long article sur les virus informatiques. »
Le pays alors était toujours occupé par les Soviétiques, la chute du régime de Varsovie s’amorçait en Pologne mais en Estonie, les médias s’interrogeaient sur les possibilités d’expansion des virus virtuels.
A Tallinn 20 ans plus tard, le web est omniprésent. Dans les cafés, on peut trouver des clients en train de tapoter sur leur portable à presque chaque table. Il est devenu plus normal de donner son identifiant Skype – lancé d’ailleurs en Estonie – que son numéro de téléphone.
Quand j’ai appelé le ministère pour une interview, je pensais être confrontée à une série d’appels kafkaïens avec des fonctionnaires irrités, mais j’ai entendu seulement : « Envoyez un mel. » Quelques minutes, j’obtenais une réponse. Positive. Lorsque je mentionne à mon hôte cette expérience administrative, il me lance un « Pourquoi faire ? Ici tout se paye par carte ou par virement. Le liquide, c’est du passé. »
Le médecin sur Internet
Ici, aller voter, à l’école ou chez le docteur appartient apparemment aussi au passé. Tout peut se faire sur Internet grâce à une carte à puce contenant toutes les informations relatives à l’identité du détenteur, et sur laquelle seront bientôt enregistrées des données médicales. Cette innovation, encore en projet devrait permettre d’éviter les longues files d’attente chez les médecins et d’améliorer la vie des malades.
Bientôt les patients, au lieu d’aller chercher leur ordonnance chez le docteur, obtiendront une prescription virtuelle sur leur carte : le docteur pourra entrer les médicaments prescrits dans un système qui enverra ensuite les informations sur la carte. Il ne restera au patient qu’à introduire sa carte dans un lecteur à la pharmacie.
Depuis 2005, les Estoniens votent par Internet et font figure de pionniers au sein de l’Union européenne. « Autoriser le vote par Internet permet de démocratiser au maximum les élections», affirme Priit Vinkel, 24 ans, conseiller au service gouvernemental des élections. Cela fait un moment que l’Estonie s’intéresse de près à cette e-démocratie. « Beaucoup d’Estoniens travaillent à l’étranger ou par exemple en mer et ne sont pas en mesure de rentrer chez eux. Désormais, ils peuvent donner leur voix électronique, tous comme les malades ou les personnes invalides. Cela prend une minute. »
Priit prétend que le e-vote est sûr et que les possibilités de fraude sont quasi nulles. « Tout gouvernement possède évidemment des informations sur ses habitants, » explique t-il. « Nous n’avons pas vraiment le choix, il faut faire confiance à nos experts informatiques chevelus qui veillent au grain», dit-il.
Les jeunes Estoniens doivent être polyvalents. Le marché du travail exige constamment de nouvelles recrues et beaucoup de jeunes trouvent un emploi durant leurs études. Tout est d’ailleurs fait pour leur faciliter la tâche : l’université de Tallinn met en ligne le contenu pour ceux qui n’auraient pas pu asssister aux cours magistraux.
De même, il est possible d’acheter le DVD des enseignements ou de télécharger les notes, exposés, diapositives et même les extraits de livres nécessaires sur le site de l’université.
Alors les étudiants vont-ils encore en cours en Estonie ? Oui - en dépit des clichés. « Ceux qui tiennent à l’atmosphère traditionnelle des amphithéâtres et aiment discuter avec les professeurs viennent, » explique Moonika Olju, coordinatrice du programme d’Études européennes.
« Parfois, surtout en hiver quand la température est négative et que le soleil se couche à 14 h 00, il n’y a que trois ou quatre étudiants en cours. Au début, cela agaçait les professeurs, mais ils se sont habitués et maintenant il font leur cours avec le même élan pour une personne comme pour tout un groupe. »
Et les intrus ?
Beaucoup apprécient le progrès représenté par cette informatisation galopante. Pour autant, certains critiquent régulièrement un système qui exclut une partie de la populationet affaiblit les rapports sociaux. « Il est injuste que ceux qui n’ont pas d’ordinateur ou les personnes âgées qui ne peuvent ou ne veulent pas apprendre deviennent automatiquement des citoyens de seconde catégorie, » juge Mariann, une serveuse de 21 ans.
Sans parler des conséquences d’un hacking sur le fonctionnement du pays. Au printemps dernier, suite à la crise ayant suivi le déboulonnage du soldat de bronze de Tallinn, des raids russes ont été menés sur les serveurs informatiques estoniens. Le Centre national contre la cyber-criminalité est intervenu aussitôt et a maîtrisé la situation mais la question reste aigüe.
Un responsable de la banque centrale d’Estonie, [Hanzpank] désireux de garder l’anonymat se montre sceptique : « le centre n’a pas résolu le problème. La seule chose qu’ils ont faite, c’est de bloquer l’accès des ordinateurs ayant un IP étranger aux serveurs estoniens. Cela a arrêté les pirates, mais aussi empêché les Estoniens vivant à l’étranger d’accéder à leurs comptes bancaires. L’offensive et l’action de sauvegarde nous ont causé des pertes sérieuses et je crains que de telles situations seront plus fréquentes dans le futur. »
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