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Vote obligatoire en France : objectif l'urne 

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Elodie Red

Politique

« Voter est un droit, c’est aussi un devoir civique » peut-on lire sur les cartes électorales en France. Si jusqu’à présent le devoir était surtout moral, Claude Bartolone veut aller plus loin. Le président de l’Assemblée nationale veut rendre le vote obligatoire à tous les scrutins. Mais peut-on forcer des citoyens à s’engager ? 

Faire du vote une obligation. Telle est l’une des 61 propositions énoncées dans le rapport de Claude Bartolone, intitulé « Libérer l’engagement des Français et refonder le lien civique ». Commandé au lendemain des attentats de janvier par le président de la République au président de l’Assemblée nationale, et à son homologue du Sénat, Gérard Larcher, ce rapport a pour but de réfléchir sur « l’engagement citoyen et l’appartenance républicaine ». S’il met l’accent sur l’engagement associatif des jeunes et sa valorisation dès le collège via notamment des stages ou des dispositifs comme les conseils de vie collégienne, le rapport fait surtout parler de lui pour cette notion de « vote obligatoire pour toutes les élections ».  

Cette proposition, on la trouve dans la section numéro 4 du rapport qui a pour titre « Promouvoir la citoyenneté ». Comme l’indique son introduction, elle rassemble des propositions destinées  à recourir au « Désintérêt marqué pour la politique, à la  méfiance envers les institutions et le personnel politique, à la non inscription sur les listes électorales, à la progression de l’abstention, et à la représentation électorale des citoyens », des fléaux qui « affaiblissent » la démocratie. « En trente ans, le taux de participation a chuté de 20 à 30 points en moyenne », rappelle le rapport. Pour pallier à cela, la solution magique serait donc d’instaurer le vote obligatoire. Mais la question du rapport étant « l’engagement citoyen », cette notion d’obligation pose problème. Est-ce que l’obligation de voter peut vraiment inciter les jeunes à s’engager ? Nous avons posé la question à des jeunes belges et australiens pour qui se rendre aux urnes n’est pas vraiment une question de choix. 

« Une obligation théorique »

En Belgique, où le vote est obligatoire depuis 1893, une absence aux urnes peut coûter entre 5 et 60 euros pour une première fois. En cas de récidive, le montant de l’amende peut monter jusqu’à 150 euros. Pourtant lorsque l’on interroge les Belges, peu nombreux sont ceux à connaître des gens ayant été pénalisés pour ne pas avoir rempli leur devoir. « C’est plus une obligation théorique, explique Max, 24 ans. Il y a dix ans en arrière si on n’allait pas voter on était sûrs d’avoir une amende, maintenant il y a plein de gens qui ne le font pas et ils n’ont aucun problème. Il y a trop de gens qui ne votent pas, il n’y a pas de suivi. De toute façon, je ne sais même pas qui est sensé émettre ses amendes. » L’année dernière, le taux d’abstention en Belgique a atteint 10,36% mais Max ne faisait pas partie des abstentionnistes. « Je vote plus par tradition qu’autre chose, c’est dans ma culture. Même si je ne le devais pas, je pense que je voterais. Grâce à notre système proportionnel et aux nombreux partis ici, on est sûrs que notre voix sera prise en considération. Cela dit, je ne pense pas que le vote obligatoire pousse à s’intéresser à la politique d’un pays, qu’on le doive ou non, les motivations de vote sont identiques. Il y aura toujours des gens qui ne s’y intéresseront pas et qui voteront un peu n’importe comment, en se fiant à la couleur du parti par exemple. »

Pour Bertrand, 31 ans, le vote obligatoire n’amène pas plus d’intérêt. Il n’est pas non plus convaincu que cela renforce l’idée de citoyenneté. « Peut être un peu car c’est un acte important. Mais si cela devient le simple respect d’une obligation citoyenne, cela perd de son symbolisme. » Pour Manon, 23 ans, « voter devrait être un libre choix, pas une obligation. » Si elle se sent mieux intégrée au pays parce qu’elle participe à sa politique et « tente de lui donner la direction qu’elle souhaite voir s’établir », elle pense que l’obligation passerait mieux si les Belges étaient mieux au fait du fonctionnement de la politique. « Il faudrait que le fonctionnement soit plus clair. Le vote devrait être accompagné au minimum d’une explication claire et éducative pour motiver les électeurs potentiels. Ce genre d’informations serait plus utile que les flyers de candidats dont on n’a jamais entendu parler. Il faudrait qu’on puisse mesurer l’impact de notre vote. » Comme ses compatriotes, Manon vote surtout parce qu’elle le doit, mais elle confie réfléchir un minimum au bulletin qu’elle met dans l’urne, « pour essayer de changer les choses »

« Une perte de temps »

Jacqui, native d’Australie, où ne pas voter vous coûte entre 20 et 170 dollars australiens (entre 14 et 122 euros), ne partage pas l’enthousiasme de Manon pour le vote, et elle ne mâche pas ses mots. « Je déteste le vote obligatoire, ce n’est qu’une perte de temps. De toute façon, les hommes politiques mentent pour être élus. Donc, qu’importe ce qu’ils disent, ils changeront d’avis et de ligne directrice une fois en poste. Quand je dois voter, je me contente d’un bulletin blanc. Je ne connais rien à la politique, et l’obligation de voter ne m’a jamais donné envie de m’y intéresser. » La pensée de Jacqui reflète sans doute le « sentiment d’être éloigné des institutions comme des personnels politiques », évoqué dans le rapport de Claude Bartolone. Mais si ce dernier parle de promouvoir la société civile, d’instaurer des cérémonies d’entrée dans la citoyenneté ou de modifier la Journée défense et citoyenneté, il n’évoque aucune proposition visant à rapprocher les électeurs des institutions qui les gouvernent. Si le vote a une « place essentielle », il ne peut être la seule traduction de l’appartenance républicaine. Et au-delà de l’obligation de voter, les politiques doivent trouver des solutions pour rendre à cet acte citoyen tout son symbole.

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