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Valérie Favre, comédienne acrylique

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Culture

Valérie Favre, 47 ans, est une artiste d’origine suisse qui travaille à Berlin après avoir longtemps vécu à Paris. Actrice devenue peintre, elle aime mettre en scène sur la toile ses expériences.

Les éclairs illuminent l’atelier sombre : l’eau tambourine puis ruisselle sur les larges baies vitrées. Au loin, les grondements de tonnerre font danser Berlin. L’orage s’est invité sur Prenzlauer Berg, le quartier branché et arty de la capitale allemande. « Quelle violence ! J’espère que cela ne va pas durer. » Vêtue d’un simple jean et tee-shirt tachetés de peinture, les cheveux négligemment relevés, Valérie Favre déambule parmi les pots de peinture éventrés et les toiles. La mince silhouette revient ensuite se pelotonner dans un vieux fauteuil en cuir, une bière à la main.

Mon hôte a le regard pétillant et une allure nonchalante qui contraste avec sa productivité et sa renommée dans le milieu de l’art contemporain. Successivement actrice, peintre puis professeur aux Beaux-Arts, Valérie Favre affirme pourtant être une « une paresseuse qui se cache ».

A Berlin, une ville « underground dans laquelle les choses arrivent spontanément », mon interlocutrice aime à dire « qu’elle ne vit pas grand-chose. J’ai choisi mon existence qui est assez recluse et préservée du monde. » Sauvage à temps partiel, « je suis tellement habitée par ce que je fais que je n’ai plus besoin de rien : que ce soit consommer ou avoir une voiture. »

Actrice provisoire

Née en 1959 à Evrilard en Suisse, Favre décide très vite de quitter le charme discret des prairies helvétiques « Nul n’est prophète en son pays. La Suisse était trop petite, moi je voyais Paris comme le temple de la culture. » Sans même passer son bac, « cela m’a longtemps complexée et je compensais par le travail ou la passion », elle file vers l’Hexagone. Direction les planches des théâtres parisiens. « Quand on est jeune, on n’a rien à dire, on est un peu bête : or il faut de la maturité et savoir supporter la solitude pour peindre. »

A 20 ans, plongée dans la faune du 7ème art, elle pétrit la vie, emmagasine les rencontres et multiplie les expériences. « Un jour, j’ai eu la chance d’être en face de Jean-Luc Godart : nous avons discuté très simplement et j’ai pris 10 ans de leçon de vie. » Avant d’ajouter, lucide : « les rencontres qui m’ont le plus marquées sont celles d’inconnus. »

Quatre ans de courts-métrages et de pièces de théâtre plus tard, pile au moment où sa carrière commence à décoller, Favre prend un virage inattendu : elle abandonne tout. « Je sentais bien au fond que je n’étais pas habitée par le démon de l’acteur », justifie t-elle aujourd’hui. «  Et puis j’avais envie de raconter des histoires, ce que le métier de comédien ne me permettait pas ». Dans la nécessité de gagner à nouveau sa vie, elle admet avec humour avoir « fait beaucoup de merde ». Favre écrit un temps, notamment dans la revue pour enfants ‘Je bouquine’ avant de reprendre ses bonnes vieilles habitudes, « celle de tenir un pinceau dans ma main ».

En 1987, elle participe à l’Usine Ephémère, un projet qui vise à convertir des friches industrielles parisienne en centres de création contemporaine : saisissant l’opportunité, Favre essaie de développer son réseau, même si elle refuse toute sorte de « mondanités.  ». Et apprend qu’en peinture, comme dans la vie, « il faut savoir prendre son temps car tout vient naturellement. » 1996 : elle part exposer à Berlin : c’est le coup de foudre pour la ville « beaucoup plus aventureuse que Paris même si la culture underground y est moins présente qu’après la chute du mur. » Favre y pose ses chevalets.

Business émotionnel

L’Allemagne serait-elle le nouvel eldorado des peintres ? « Le marché allemand est plus à l’écoute des artistes et les mécènes comme les collectionneurs y sont plus actifs,  » analyse Favre. « Alors qu’en France, il y a une sorte d’auto flagellation permanente.  » Selon elle, « être Européen aujourd’hui n’est pas forcément la meilleure carte de visite pour un artiste. La Chine et le Maghreb engendrent des talents prometteurs. Les jeunes artistes doivent de toute façon bouger et se frotter à d’autres cultures. »

Favre étend ses longues jambes avant de se lever : l’heure est au nettoyage de son matériel de peinture. Du fonds de l’atelier assombri, j’entends sa voix claire résonner : « C’est vrai que le milieu de l’art contemporain ressemble à un micmac souvent proche du business. Et puis l’art est fait pour les riches, pour ceux qui ont les moyens de réfléchir.  »

Favre ajoute ensuite, sans fausse pudeur : « être artiste aujourd’hui est devenu un concept bien huilé, loin de l’époque de Van Gogh. Si de nombreux artistes crèvent la faim, certains sont de grosses machines. Jeff Koons par exemple a son propre staff d’assistants qui peignent pour lui. » La frontière entre imposture et réalisme devient très ténue. « L’artiste doit être pragmatique tout en n’hésitant pas à mouiller sa chemise, » juge Favre. «  Même si peindre reste un choix émotionnel : je travaille de manière très romantique jusqu’à un certain point. Tout est question d’équilibre

Pinceau phallus

Avec sa série sur les ‘Lapines Univers’, entamée en 99 et représentant une « femme animale entre Lara Croft et la Bunny Girl de Playboy », Favre revendique son penchant féministe –« il faut l’être » dit-elle. « J’utilise cette ‘la-pine’ comme un phallus. » Une revanche sur les artistes misogynes ? « Bien sûr que la peinture est un milieu assez machiste : c’est un médium sale, lent et compliqué qui a en plus perdu de sa gloire, détrôné par la vidéo ou les installations. Si j’éprouve beaucoup de plaisir à toucher la matière et mélanger les couleurs, il est difficile de rivaliser avec les hommes en terme de puissance physique nécessaire pour maîtriser ce medium », explique t-elle longuement. « Alors il faut biaiser : en faire moins mais de façon plus pertinente. »

De la vague provoc, elle dit que « tout a été vu : de l’urinoir de Duchamp au meurtre d’animaux. Je crois qu’il faut chercher sa propre singularité et la bonne attitude pour l’exprimer. » La progression dans son travail est constante : « nous les artistes sommes des traducteurs. Avec l’expérience, je vois plus clair dans ma tête et mes idées ‘follettes’, je sais de mieux en mieux comment les exprimer. » Mutine, Favre finit par se planter face à sa dernière toile et lâche : « finalement, je me sens plus metteur en scène que peintre ».

Valérie Favre a exposé avec la Fondation Hippocrène dans le cadre de "Propos d'Europe V"