« Une intervention militaire russe en Ukraine est possible »
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À Kiev, l’opposition ukrainienne n’abandonne pas sa lutte pour une Ukraine sans Poutine. À Paris, nous avons rencontré les organisateurs de l’Euromaidan parisien, Natalia Pasternak et Iryna Lystopad. Dans l’appartement très parisien de Natalia, elles nous ont expliqué pourquoi il fallait se méfier de Poutine maintenant que l’enjeu de Sotchi est presque terminé.
cafébabel : Pourquoi vous êtes-vous lancées dans l’organisation de l’« Euromaidan » parisien ?
Iryna Lystopad : Je fais un doctorat en philosophie médiévale à l’École Pratique d’Hautes Etudes, donc ce n’est pas mon métier de faire la politique. Dans notre collectif « Euromaidan France », on est simplement des expatriés ukrainiens concernés par ce qui se passe dans notre pays. Ma famille est en ce moment à Kiev, mais ils ne sont pas tout le temps sur les lieux des manifestations. Malgré ce que pensent les Français, la vie continue là-bas, et les gens qui manifestent travaillent à côté.
« Il a fallu du sang pour que les médias français s'intéressent à l'Ukraine »
cafébabel : Et vous, Natalia, en tant que présidente du Comité représentatif de la communauté ukrainienne à Paris, vous faites de la politique à plein temps ?
Natalia Pasternak : Pas du tout. Cela fait 12 ans que je suis mère au foyer, et 7 ans que je suis à la tête du Comité représentatif de la communauté ukrainienne à Paris. Je suis Française d’origine ukrainienne. Mes grands-parents sont venus ici dans les années 1920. Je me suis vraiment engagée à partir de 2003, pendant la commémoration d’Holomodor (la grande famine organisée par les autorités soviétiques, qui a eu lieu en Ukraine en 1932 et qui a fait entre 3 et 5 millions de victimes, ndlr) et après avec les évènements de la Révolution Orange. J’étais observatrice électorale internationale au second tour des élections (2004), et je me suis retrouvée en plein cœur de la Révolution.
cafébabel : Pourquoi, selon vous, la France et les Français ne s’intéressent pas beaucoup à la situation actuelle de l’Ukraine ?
Natalia Pasternak : La presse en France a été très lente à réagir, il a fallu du sang pour que les médias et les dirigeants français s’y intéressent. C’est dû à une méconnaissance importante de l’Ukraine en général. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans une simple division (Ukraine de l’Est contre Ukraine de l’Ouest), mais l’Occident ne le voit pas parce qu’il n’y a pas de journalistes occidentaux là-bas. Par contre, il y a de plus en plus de personnes en France qui s’intéressent à l’Ukraine. J’ai des amis français comme des parents d’élèves à l’école de mes enfants qui disent vouloir soutenir l’Ukraine.
Iryna Lystopad : En même temps, ce qui nous freine, c’est l’attachement culturel très poussé des Français pour la Russie. De plus, l’ambassade d’Ukraine à Paris diffuse l’idée selon laquelle les manifestants viennent de l’extrême droite, ce qui est faux.
cafébabel : Effectivement, les manifestants sont décrits par les médias comme des militants d’extrême droite. Vous le niez totalement ?
Natalia Pasternak : Ce serait trop simple. Après les attaques du 19 janvier, les médias se sont focalisés sur un petit groupe qui a lancé des cocktails Molotov sur les CRS. Cela s’est passé après deux mois de manifestations. Si ce groupe là était majoritaire, il y aurait beaucoup plus de violence. Les attaques du 19 janvier étaient une provocation politique de la part de la Russie. Poutine connaît l’Occident et sa peur du fascisme, il joue avec. Azarov (ex-Premier ministre ukrainien, ndlr) a parlé de pogromes, ce qui a ravivé le fascisme de la Seconde guerre mondiale dans l’esprit collectif. Seulement, il faut savoir que Poutine a aussi complètement blanchi Staline, qu’il présente comme le sauveur de l’Europe. Il divise pour mieux régner parce qu'il a besoin de l’Ukraine, surtout maintenant que la Chine monte en puissance.
Mafia, compromis et coup de bluff
cafébabel : Donc vous pensez réellement que Poutine veut annexer l’Ukraine ?
Natalia Pasternak : Gouverner le pays indirectement ne va pas lui suffire. Je pense honnêtement qu’il se contient jusqu’à la fin des jeux de Sotchi. Après, je crois qu’il est complètement possible de voir une intervention militaire russe en Ukraine. A l’est, ils y sont déjà.
cafébabel : Dans ce cas là, est-ce qu’il ne serait pas mieux de trouver un compromis avant que Poutine intervienne ?
Iryna Lystopad : Mais quel compromis ? Nous avons commencé les manifestations parce que le gouvernement n’était plus fiable aux yeux des citoyens.
cafébabel : Le gouvernement a proposé de démissionner et annuler les lois. Que souhaitez-vous obtenir de plus ?
Natalia Pasternak : C’est un coup de bluff ! Maintenant, nous voulons plus que l’annulation des lois : nous voulons le respect des droits de l’homme et du citoyen, et l’éradication de la corruption. Le seul moyen, c’est de changer la totalité du gouvernement. Quand on sera libéré de cette mafia, l’Europe ne va plus être une question, mais une évidence.
cafébabel : Et vous croyez vraiment que ce sont les revendications de tous les Ukrainiens, même dans l’est du pays ?
Natalia Pasternak : Dès le début du mouvement, il y a eu des gens à Donetsk ou a Kharkov (deux villes à l’est du pays, ndlr) qui ont manifesté au péril de leur vie. Il y a une grande différence avec la Révolution Orange, où le clivage était net. La seule division vient du manque d’information à l’est. Là-bas, il n’y a pas de médias indépendants. De plus, l’héritage d’Holodomor a des conséquences encore aujourd’hui, et continue de semer la terreur. Même les russophones de l’est ne veulent pas de rapprochement avec la Russie et le retour de l’empire soviétique.
Tous propos recueillis par Monika Prończuk
La version complète de l'interview sera bientôt disponible ici.