Rapports de (bon ?) voisinage
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Les rapports Grèce-Turquie ont toujours été complexes et marqués par l’Histoire. Le mois de juillet a vu les journalistes grecs se pencher sur le sujet de leur imposante voisine, avec des perspectives différentes.
Déjà début juillet, les journaux grecs s’intéressaient particulièrement à l’arrestation en Turquie de 21 personnes soupçonnées d’être activement liées à l’organisation Ergenekon. Cette organisation, accusée de préparer un coup d’état et des assassinats politiques pour déstabiliser le pays (voir article), est décrite dans un article publié dans Eleftherotypia du 06 juillet comme un ensemble de “nationalistes fanatiques, de militaires, mais aussi de bons citoyens bien en vue, et d’hommes d’affaires. L’organisation prévoyait des attaques à la bombe, des assassinats et d’autres actes de provocation, lesquels seraient attribués à des groupes islamistes ou des Kurdes afin de faciliter le recours à l’armée.” (voir article). L’article dresse par ailleurs un tableau inquiétant de la place de l’armée dans la société turque, en citant un texte de l’Etat-Major (paru récemment dans le journal turc Taraf) recommandant d’approcher les universités, les présidents de tribunaux, la presse, les artistes susceptibles de faire évoluer l’opinion publique afin que “leur action soit alignée sur celle des forces armées”. La presse grecque ne peut s’empêcher de voir un lien entre ces arrestations massives et la menace d’interdiction qui plane sur le parti du Premier Ministre Erdogan, l’AKP, pour “tentative d’instauration de la loi islamique” dans le pays. La classe politique est dans l’attente du verdict de la Cour constitutionnelle qui doit ou non confirmer cette interdiction. Si l’on croit, avec Eleftherotypia, que “la Cour constitutionnelle turque, qui a déjà à son actif la dissolution de 24 partis, obéit aux forces armées, lesquelles ont jugé peu élégant de descendre dans la rue avec les tanks, comme elles l’ont déjà fait à quatre reprises jusqu’à aujourd’hui”, les arrestations parmi les militaires seraient donc une réaction anticipée au verdict de la Cour.
Quelques jours plus tard, la situation en Turquie inquiétait de nouveau les journaux grecs : un attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Istanbul faisait 6 morts et 3 blessés. Aux questions : “Qui étaient les auteurs de l'attaque ? Que voulaient-ils?”, les réponses divergent. Le lien avec l’affaire Ergenekon est vite venu à l’esprit, mais les autorités de la sécurité turque ont évoqué un attentat-suicide. Des journalistes et des responsables politiques ont parlé d’Al Qaïda, mais le faible équipement en armes et le fait qu’il n’y ait pas eu explosion de bombe (et donc pas de massacre de civils), rendent les spécialistes sceptiques. Le maire d’Istanbul a d’abord assuré que les terroristes étaient des citoyens turcs venus du Sud-Est du pays, laissant penser qu’il pourrait s’agir de Kurdes. Plus tard, des rumeurs en faisaient des porteurs de passeports syriens. Finalement, il semblerait que les trois hommes tués étaient deux Turcs et un étranger (avec passeport syrien), et que l’attaque visait avant tout l’ambassade des Etats-Unis (voir article 1 et 2). Néanmoins, les divergences d’opinions publiques déclarées laissent deviner à quelles récupérations politiques ces attaques ont donné lieu.
La même dangereuse imprécision a prévalu lors de l’attaque terroriste survenue dans la même ville le 27 juillet au soir. Le Premier ministre Erdogan aurait d’emblée incriminé les indépendantistes kurdes, lesquels se défendent d’être impliqués dans l’attentat. Lors des cérémonies de funérailles des victimes de l’explosion, de jeunes gens auraient scandé “Allah est grand” et montré le poing en criant des slogans nationalistes... Les Grecs s’inquiètent beaucoup des conséquences de ces attentats à répétition. On pouvait lire dans ''To Vima'' du mardi 29 juillet que “la Turquie, plongée dans l’incertitude politique dans l’attente du verdict de la Cour Constitutionnelle (…), ensanglantée par le massacre d’Istanbul, doit affronter le spectre d’une instabilité pouvant la mener à l’explosion”; le 29 juillet encore, le journal Apogevmatini titrait en une: “la Turquie: un volcan prêt à exploser”. Beaucoup d’articles soulignent à quel point cette instabilité politique éloigne le pays d’une intégration à l’Union européenne.
Pendant ce temps, la présence turque en Grèce fait aussi parler d’elle. La partie la plus orientale du pays, la Thrace, comporte en effet une minorité musulmane d’origine turque numériquement importante; cette situation est le résultat des échanges de population opérés dans les années 20. Or, depuis quelques temps, les autorités turques s’intéressent de plus en plus à ces populations qu’elles visitent régulièrement. Le 24 juillet, ''To Vima'' annonçait l’arrivée prévue à Xanthi (Grèce) de 10 députés du parti AKP au pouvoir en Turquie à l’occasion de la commémoration de la mort du député musulman Ahmed Sadik, survenue en 1995 à la suite d’un accident de voiture. Apparemment cette commémoration est devenue depuis quelques années un prétexte pour le consulat de Turquie de Komotini (Grèce) de rappeler sa présence active. Plus tard, le 2 août, étaient attendus en Thrace 30 députés du même parti turc pour fêter la naissance du prophète Mohammed. Le 5 août, ce sont 50 députés du parti gouvernemental turc qui devaient se rendre dans le département d’Evros (Grèce) pour une cérémonie religieuse… Pourquoi autant de visites et un tel intérêt pour ces populations turcophones vivant sur le sol grec ? Selon deux journalistes de To Vima (voir plus haut et un autre article), les autorités turques ont peur de perdre la ‘bataille de l’éducation’. En effet, après les avoir longtemps délaissés en termes d’éducation, l’état grec a lancé depuis 1997 des programmes spécifiques destinés aux enfants de cette minorité: construction de nouvelles écoles adaptées, introduction de nouvelles méthodes pédagogiques (et donc abandon des méthodes des années 60 encore en cours dans certaines écoles pour minorités…), mise en place d’un réseau de télévision. Les autorités turques répondent par des promesses de bourses pour des élèves turcophones désireux de faire leurs études en Turquie, organisent des voyages parapédagogiques et constituent des organisations d’étudiants musulmans dans les villes grecques comme Thessalonique, Giannena, Larissa. Tout cela pourrait être de bonne guerre, mais la presse grecque voit dans ces initiatives la main active d’une organisation extrêmiste, les “Loups gris”, et rappelle les prises de position de députés musulmans, élus de partis politiques grecs, qui revendicaient “leurs droits en tant que minorité turque, ainsi que le droit d’apprendre leur langue”.
Les relations Grèce-Turquie se révélaient enfin récemment dans le domaine culturel par un long article paru dans ''Eleftheros Typos''. Il rapportait le 15 juillet les remarques peu amènes faites par l’Unesco aux autorités de la ville d’Istanbul, qu’elle menace d'expulser du Comité pour le patrimoine culturel: en cause, la négligence dans la conservation du patrimoine culturel byzantin présent sur son territoire. L’article s’appuie sur un rapport de l’Unesco qui déplore des négligences dans l’entretien et la conservation de monuments comme Sainte-Sophie, les ruines de l’Hippodrome de Constantin, ou la destruction du quartier Souloukoulé, où vécurent les premiers groupes de Tsiganes en Europe… L’état de Sainte-Sophie est détaillé comme dans un rapport médical, des excréments des pigeons qui détériorent sa décoration en marbre aux retards dans les travaux dus à la bureaucratie, en passant par la remise au jour des mosaïques byzantines recouvertes d’inscriptions musulmanes d’époque ottomane… C’est drôle, mais certaines de ces remarques me rappellent quelque chose, non ? (voir plus bas Sites antiques en danger…)