Petr Zelenka : « La solitude est le point commun de tous les Européens »
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Fernando GarciaPetr Zelenka, 40 ans, originaire de Prague, est un réalisateur et scénariste tchèque reconnu. Solitude, tristesse et exigence identitaire émaillent son oeuvre.
C’est par l’intermédiaire de ses parents, qui travaillent pour la télévision tchèque, que Zelenka découvre le cinéma. Son bac en poche, il hésite entre une carrière scientifique et l’écriture. Mais son amour du 7ème art l’emporte et Zelenka intègre alors la Faculté de Cinéma de l’École des Arts du Spectacle de Prague, la prestigieuse FAMU. Cinéaste reconnu, Zelenka envisage aujourd’hui d’adapter à l’écran l’histoire des ‘Frères Karamazov’ de Dostoievski.
Nous avons rendez-vous à ‘La Casa Blu’, un club très prisé par les étudiants tchèques qui se trouve être aussi l’un des décors du film ‘Samotái’ (‘Solitaires’, 2000), dont Zelenka a signé le scénario. Le long métrage, conçu à l’origine comme un documentaire sur un groupe de copains, a fait un carton un peu partout en Europe. La solitude serait t-elle propre à la jeunesse tchèque ? « Je ne le crois pas. C’est quelque chose qu’ont en commun l’ensemble des Européens? » répond mon interlocuteur du tac au tac. « J’ai lu dans un sondage que 85 % des Bengalis se déclaraient heureux contre seulement 35 % des Allemands. Mais ça ne veut absolument rien dire. Car après tout, ça signifie quoi, être heureux ? Je suis convaincu que notre capacité à influer sur le cours des choses est dérisoire. Je n’adhère pas à ces thèses selon lesquelles des individus dotés de fortes personnalités pourraient changer la face du monde. C’est pour cela que mes personnages sont indifférents à ce qui les entoure », explique ensuite longuement le scénariste.
Jacob, le toxicomane de ‘Solitaire’ incarne ainsi l’archétype du héros cher à Zelenka. Alors qu’il écoute l’hymne national tchèque, il fait remarquer qu’« il a déjà dû entendre cette musique quelque part »… « À l’origine, ‘Solitaire’ devait être encore plus sombre, mais David Ondricek, le réalisateur, a souhaité redonner un peu d’espoir aux huit personnages », se souvient Zelenka.
Mais d’où provient cette tristesse ? « C’est le fait de réfléchir à la vie et à nos échecs ou de penser à ceux de nos proches qui nous manquent ou sont déjà morts qui nous rend triste. Comme nous sommes humains, nous sommes prédisposés à penser à ces choses. Voilà d’où vient toute la tristesse du monde », affirme Zelenka.
Son autre marotte : les angoisse psy qu’il aime à mettre en scène. Les personnages qu’il a dépeint plus tôt dans ‘Knoflíkái’ (‘Les boutonneurs’, 1996) sont eux en proie à de nombreuses phobies. Comment lui est venue cette idée ? « L’astuce, c’est que le spectateur associe chaque personnage aux phobies qui lui sont propres. Je rencontre parfois des gens bizarres qui m’inspirent par la suite certains héros. D’autres fois, je les crée de toutes pièces», explique Zelenka.
L’homme qui j’ai en face de moi semble pétri de contradictions. Il a souri tout le temps où il me parlait de cette infinie tristesse qu’il peut nous arriver de ressentir. Difficile de savoir s’il est sérieux ou plaisante.
La vie est illogique
Nous commandons un autre café et en profitons pour changer de sujet. Zelenka travaillait il y a peu encore à son nouveau scénario, un script pour le théâtre. « C’est mon dernier projet en date. Le spectacle en question ne se jouera qu’au Vieux Théâtre de Cracovie, et ce pendant 18 mois. Je compte me rendre à Cracovie et apprendre le polonais pour pouvoir communiquer avec les acteurs. Tous ne parlent pas anglais et je veux être en mesure de tenir une conversation sans l’aide d’un traducteur », déclare le metteur en scène.
Apprendre une langue étrangère dans le seul but de monter un spectacle ? Pourquoi pas. Zelenka est parfaitement conscient des difficultés qui peuvent se poser lorsqu’on travaille à l’étranger. « J’aurais voulu aller en Angleterre. Hélas, les Britanniques sont des gens très fermés. Et je pense qu’il en est de même pour les Français. J’ai ressenti une grande frustration et c’est alors que la Pologne m’a ouvert les bras. Ce n’est peut-être pas très logique mais c’est pourtant ainsi que ça s’est passé. La vie elle-même est illogique. C’est probablement en Pologne que me mènera ma quête du bonheur », affirme Zelenka, amusé.
Le projet semble véritablement prometteur pour l’artiste, aujourd’hui âgé de 40 ans. « J’arrive à un véritable tournant de ma vie. N’oublions pas que la ville de Cracovie, même si elle est plus petite que Prague, a également fait partie de l’Empire austro-hongrois, au même titre que la République tchèque. Et l’ambiance y est incroyable », s’enthousiasme t-il.
Ennemi intime de Kundera
Pourtant, malgré un engouement manifeste pour la Pologne, Zelenka n’arrive pas à dissimuler bien longtemps un profond attachement pour sa ville natale. « Comparée à d’autres grandes villes, Prague est un véritable paradis sur terre. Les années 90 et l’arrivée de nombreux Américains venus s’installer en République tchèque ont marqué pour Prague le début d’un âge d’or. C’était incroyable. La ville entière a été rénovée et de nouveaux clubs ont vu le jour. Aujourd’hui, il ne reste rien de cette atmosphère d’effervescence même s’il est toujours agréable de vivre ici. Prague est une ville paisible. La vie y est bon marché et les transports en commun sont les plus efficaces au monde. Il y a ici tout ce dont peut rêver un écrivain. »
Aucun inconvénient alors ? « Excepté les sans abri », me répond-il aussitôt avant de reprendre : « Ca me fait penser à un film d’Abel Ferrara, ‘Driller Killer’, où un type tue un SDF à l’aide d’une perceuse. Le gouvernement doit trouver une solution. Malheureusement, il est encore beaucoup trop tendre. »
Les journalistes comparent souvent Zelenka aux plus grands noms de la littérature tchèque comme Bohumil Hrabal ou Milan Kundera. Le réalisateur désapprouve aussitôt cette comparaison. « C’est vraiment ridicule de me comparer à Hrabal. C’est un si grand auteur. Quant à Kundera, vous savez ce que je pense de lui... » Lors d’une rencontre qui s’était déroulée à l’Institut du théâtre de Varsovie, Zelenka avait traité l’écrivain d’« idiot ». « En effet. J’ai ensuite reconnu que j’avais eu tort et j’ai essayé de lire ‘L’insoutenable légèreté de l’être’ -qui n’a par ailleurs jamais été publié en République tchèque, et ce à la demande de Kundera lui-même- mais je n’en ai pas été capable. C’est alors que j’ai déclaré que tout compte fait je m’étais trompé et que Kundera était bel et bien un imbécile. Il plagie d’autres auteurs et leur vole des idées. Il est juste mauvais. C’est pourtant flagrant, non ? », me confie Zelenka avec dégoût. « D’un point de vue strictement technique, ses romans sont bons. Il parvient si bien à combiner les choses pour tromper son monde qu’on pourra dire tout ce qu’on veut sur lui, on ne pourra pas lui enlever une certaine honnêteté », ajoute-t-il avec agacement.
Zelenka se montre également très critique à l’égard des héritiers de la Révolution de velours des années 70. « Le problème avec l’intelligentsia tchèque, c’est que ses membres sont tout sauf intelligents. Je me souviens que dans les années 70, il était bien vu parmi les gens instruits d'être grossier. Pourquoi ? Nul ne le sait. C’est très tchèque cette façon de s’auto dénigrer par le langage. »
Autre cible de Zelenka : la jeune génération. « Ils savent ce qu’ils veulent. Ils sont dépourvus de tout sentiment romanesque. Le romantisme n’est pas de mise. Vous pouvez vivre comme un chien, parce que tel est le cas de votre héros littéraire. Parvenir à débusquer la beauté dans le monde sans pitié du communisme était romantique à un point que ne peuvent imaginer ni comprendre les jeunes d’aujourd’hui. »
Quant à l’Europe, elle n’a pas non plus les faveurs du réalisateur. « Je pense que les principales préoccupations européennes sont d’ordre financier et sécuritaire, » glisse t-il. »Alors non, je ne me sens pas européen. On ne m'a pas élevé ainsi. Ces choses sont inculquées aux enfants dès leur plus jeune âge », conclut-il.
Translated from Petr Zelenka: "Kundera jest idiotą"