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Odessa : le vrai champ de bataille de l'Ukraine

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Story by

Cafébabel

Translation by:

Véronique Mazet

Politique

Les choses sont en train de chan­ger en Ukraine sur les côtes de la mer Noire, en par­ti­cu­lier dans le port prin­ci­pal d’Odessa,  que le pré­sident Pou­tine a dé­crit de façon in­quié­tante comme une par­tie de la « Nou­velle Rus­sie ». Que peut faire le nou­veau gou­ver­ne­ment pour gar­der le contrôle d’une ville où règnent contre­bande et cor­rup­tion ?

Les com­bats ont lieu à l’est de l'Ukraine, mais les luttes d'ar­gent entre cols blancs et grosses en­tre­prises sont aussi achar­nées à Kiev et à Odessa. La mort ré­cente de ma­ni­fes­tants es­sen­tiel­le­ment pro-russes dans l’in­cen­die de la Mai­son des syn­di­cats a mis en lu­mière la si­tua­tion ex­plo­sive d’Odessa, et l’éten­due de l’in­fluence russe. Les « pe­tits hommes verts » dont nous avons en­tendu par­ler dans l’est du pays (mys­té­rieux sol­dats venus en sou­tien aux sé­pa­ra­tistes pro-Russes, ndlr), n’ont pas be­soin d’al­ler à Odessa. Ils y sont déjà puisque la ville est un lieu de re­traite pri­vi­lé­gié  des « an­ciens » membres de l’ar­mée et de la ma­rine de l’époque so­vié­tique, et aussi du GRU (Di­rec­tion gé­né­rale des ren­sei­gne­ments de l’État-ma­jor des forces ar­mées russes et so­vié­tiques). Per­sonne ne se re­tire ja­mais du GRU.

Ce qui in­quiète réel­le­ment le nou­veau gou­ver­ne­ment à Kiev, à juste titre. Aussi, ils re­cherchent ac­ti­ve­ment l’aide oc­ci­den­tale pour s’at­ta­quer « en pro­fon­deur » aux pro­blèmes de « là-bas. »  Une telle aide, si elle ar­rive, devra être plus concen­trée et mieux in­té­grée cultu­rel­le­ment, stra­té­gi­que­ment et tac­ti­que­ment que dans la passé, où quel­que­fois l’as­sis­tance a été mal co­or­don­née.

Odessa est im­por­tante. La ville est une sorte de Ber­lin-Ouest ou de Vienne où se tient une nou­velle guerre froide entre l’Ukraine, pen­chant vers l’Oc­ci­dent, et la Rus­sie. Comme  dans ces villes ap­pa­raissent des al­liances in­té­res­santes et in­ha­bi­tuelles, parce tout le monde sait où les corps sont en­ter­rés. La plu­part des pro­duits agri­coles consom­més en Ukraine tran­sitent par Odessa. C’est aussi le cas de beau­coup d’im­por­ta­tions agri­coles vers la Rus­sie.

COR­RUP­TION ET POU­LETS

La perte de la Cri­mée n’a en­core rien changé. Sé­bas­to­pol n’est pas un port de conte­neurs de haute-mer et ne le sera pas avant long­temps. Les deux pays comptent for­te­ment sur les taxes à la consom­ma­tion, donc leurs im­por­ta­tions sont re­liées de très près à l'ar­gent pu­blic et favorisent les énormes ten­ta­tives de cor­rup­tion. Un exemple probant : l’im­por­ta­tion mas­sive de pou­lets d’Amé­rique du Sud dans l’en­clave de Trans­nis­trie en Mol­da­vie, où il n’y a pas de contrôles. Les ventes sont en train de battre des re­cords dans les grands su­per­mar­chés d’Ukraine, de Trans­nis­trie, de Mol­da­vie et pro­ba­ble­ment de Rou­ma­nie. Tout le monde pro­fite des pro­duits non taxés, y com­pris les Russes ou les groupes pro-russes basés ou connec­tés à Odessa.

Bande an­nonce - Le Cui­rassé Po­tem­kine de Ser­gueï Ei­sen­stein

Que peut faire le nou­veau chef du SBU, le ser­vice de sé­cu­rité de l’État ukrai­nien, M. ​Nalyvai­chenko ? En fait, ce qu’il va faire dans le futur à Odessa sera cru­cial, et un pre­mier in­di­ca­teur de ce qui ar­ri­vera à long terme. Comme chaque « groupe » a pro­fité de la cor­rup­tion et de la contre­bande à Odessa, tous y sont mêlés et craignent un dé­man­tè­le­ment du tra­fic. Les ac­teurs : l’élite de la Ré­vo­lu­tion orange, les pro-Ia­nou­ko­vitch et les Russes, ces der­niers étant évi­dem­ment les plus proches du cercle de Pou­tine. Mais les di­vi­sions ne sont pas ab­so­lues et les oli­garques sont connus pour avoir des liens avec plu­sieurs ou même l’en­semble de ces par­ties.

UNE RÉ­AC­TION ANTI-ANTI-RUSSE ?

S'at­ta­quer à un groupe, c'est bien sûr s'at­ti­rer les foudres de ce­lui-ci, mais c'est aussi faire chan­ter, et mettre en dif­fi­culté les in­té­rêts des autres par­ties. Et se concen­trer sur les groupes russes, c'est prendre le risque du contre-ar­gu­ment selon le­quel le net­toyage était en réa­lité une ac­tion anti-russe dé­gui­sée ou anti-idées russes, et non une réelle ten­ta­tive de lutte contre la cor­rup­tion. Il sera donc aussi in­té­res­sant de voir qui sera visé et qui ne le sera pas. Le SBU a été de­puis de nom­breuses an­nées for­te­ment pé­né­tré par son ho­mo­logue russe, le FSB, et cela avant que les pe­tits hommes verts om­ni­pré­sents d’Odessa ne soient pris en compte.

Les autres ins­tances char­gées d'ap­pli­quer la loi en Ukraine ob­servent les actes hé­si­tants de M. Na­ly­vai­chenko avec grand in­té­rêt. Ils réa­lisent que les caisses pu­bliques sont for­te­ment tri­bu­taires du contrôle d’Odessa, et que celui qui a ce contrôle a un pou­voir de vie ou de mort sur l’Ukraine. Début avril, quand le risque d'« in­va­sion » était au plus haut, le ser­vice des douanes a es­timé qu’une perte du contrôle com­mer­cial d’Odessa était une pos­si­bi­lité réelle, et qu’elle en­traî­ne­rait la perte de l’in­dé­pen­dance de l’État. Le sud a au moins au­tant d’im­por­tance que l’est.

L’OC­CI­DENT DOIT IN­TEN­SI­FIER SON AC­TION

Mais les ho­mo­logues oc­ci­den­taux doivent jouer leur jeu de ma­nière plus si­gni­fi­ca­tive. Ce n’est plus as­sez, et cela ne l’a ja­mais été, de consi­dé­rer l’Ukraine comme une aide sur les pro­blèmes d’im­mi­gra­tion illé­gale, de contre­bande de ci­ga­rettes, et plus ré­cem­ment de tra­fic de co­caïne et d'hu­mains. La ques­tion qui se pose main­te­nant, c'est com­ment l’Union eu­ro­péenne et ses États membres, la Tur­quie, les États-Unis et le Ca­nada peuvent aider à tra­quer tous les pro­cédés de ces crimes et les ni­veaux gar­gan­tuesques de contre­bande et d’éva­sion fis­cale. De très grosses sommes d'ar­gent sont, de plus en plus sys­té­ma­ti­que­ment, dé­po­sées en de­hors de l’UE et des États-Unis grâce à des fi­liales d'en­tre­prises.

Vous pou­vez être sûrs que cer­taines per­sonnes, même beau­coup de per­sonnes sor­ties de cette ar­mée de cos­tumes à fines rayures de Londres, les comp­tables, les avo­cats, les « for­ma­tion agents » qui créent des en­tre­prises, les cour­tiers ma­ri­times ou en­core les as­su­reurs, fa­ci­litent tout cela ou ont une idée pré­cise des per­sonnes qui le font.

Ce qui est dif­fé­rent main­te­nant c’est qu’il y a des gens en Ukraine qui sont prêts à as­su­mer leur res­pon­sa­bi­li­té dans le tra­fic. Et les in­for­ma­tions qu’ils peuvent four­nir se­raient em­bar­ras­santes pour la Rus­sie – à tous les ni­veaux. Ces in­for­ma­tions ser­aient très utiles comme mon­naie d’échange pour l’UE et les USA. Aussi es­pé­rons que l’Ukraine ob­tienne une re­con­nais­sance ap­pro­priée pour les four­nir. Il fau­dra que les per­sonnes les plus in­tègres s'en chargent, dans les meilleurs en­droits aux meilleurs mo­ments pour que cela fonc­tionne. Es­pé­rons qu’ils aient déjà com­mencé, et soyons conscients que tout ce qui concerne Odessa n’est pas seule­ment relié à Kiev mais aussi à Mos­cou et Saint- Pé­ters­bourg.

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Translated from Odessa is Ukraine's Real Battleground