Musulmans en terre grecque
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La Grèce a toujours compté un certain nombre de musulmans sur son sol, en particulier en Thrace, pour des raisons historiques. Depuis une bonne dizaine d'années, le nombre de cette population augmente en proportion tout simplement du nombre d'immigrés venus de pays musulmans, et se concentre plutôt dans les centres urbains d'Attique.
Or, la prise en compte des besoins cultuels de ces nouveaux arrivants dans une grande capitale comme Athènes, qui attire pour des raisons économiques un nombre grandissant d'immigrés, n'ont jusqu'à aujourd'hui pas été prises en compte par l'Etat grec
Voici ce que dénonçait déjà un article paru dans ''Kathimerini'' début mai: 220.000 musulmans en Attique, dont 20.000 Grecs, et pas un cimetière ni une mosquée (les seuls qui existent en Grèce se trouvent en Thrace). Des projets existent depuis le début des années 90, mais ils sont sans cesse repoussés pour des raisons administratives ou des problèmes liés au choix des lieux. Outre les organisations de musulmans grecques, les autorités religieuses orthodoxes grecques, en la personne de l'archiépiscope Hiéronyme, demandent aussi que soit érigée une mosquée et soit construit un cimetière musulman en Attique, qui concentre actuellement la majorité des musulmans vivant sur le sol grec. Pourquoi tant de retard dans ces projets qui relèvent aujourd'hui d'une nécessité non seulement religieuse, mais aussi sociale, s'interroge-t-on dans plusieurs journaux ?
Or, des incidents survenus la semaine dernière à Athènes viennent relancer le débat sur ces projets. Mercredi 20 mai, lors d'un contrôle de police exercé sur un étranger de confession musulmane, un policier aurait déchiré les pages du Coran que l'individu contrôlé tenait en mains, et les aurait piétinées (à lire dans ''Eleftheros Typos''). Suite à ce que les organisations musulmanes grecques considèrent comme un sacrilège commis contre leur livre sacré, des manifestations ont eu lieu, en marge desquelles de nombreux incidents et dégâts matériels ont été constatés. Le président de l'Union des musulmans de Grèce a fermement condamné ces violences, laissant aussi entendre qu'elles pourraient être le fait de « partis politiques » grecs qui cherchent à exploiter la colère qui gronde (''Ta Nea''): est-ce une allusion à des groupes anarchistes qui exciteraient la colère de jeunes immigrés musulmans excédés, ou des groupes d'extrême-droite qui en profiteraient pour laisser éclater au grand jour leur idéologie raciste (comme lors de l'incendie d'un squatt, le 26 mai dernier)? Personne ne répond encore de façon claire.
Quand le samedi matin suivant, aux aurores, un sous-sol du centre de la capitale grecque qui sert de lieu de prière musulman a été volontairement incendié par des individus qui semblaient parfaitement savoir que des fidèles étaient à l'intérieur du local (et ont heureusement pu échapper aux flammes), à la colère a succédé l'effroi d'une population déjà condamnée à un exil misérable, confrontée au chômage, et globalement très fragilisée. On rappelle en tout cas à cette occasion que les musulmans vivant à Athènes doivent se contenter de ce genre de lieu de prière improvisé.
Comme souvent en pareil cas, l'incident de départ n'a pas encore été élucidé (le policier nie une totale responsabilité dans l'affaire, et pensait avoir déchiré de simples papiers photocopiés), mais les conséquences, elles, se développent rapidement et dans des directions diverses.
Tout d'abord, les organisations musulmanes réitèrent leur demande de mosquée et de cimetière (article).
Ensuite, l'ambassadeur des Etats-Unis en Grèce (à lire dans ''To Vima'') a repris des thèmes récemment développés par le président américain en affirmant que la Grèce doit être un pont entre les pays chrétiens et les pays musulmans, mais en insistant sur le problème de l'immigration clandestine en provenance du Pakistan, Afghanistan, Irak, Somalie. Sa déclaration souligne donc à la fois un problème d'ordre social et humain, et est une incitation pour que la Grèce joue un rôle médiateur d'importance dans un débat brûlant au niveau mondial, celui des dialogues entre les religions.
Parallèlement, ces incidents relancent aussi les rumeurs de camps de rétention pour les immigrés clandestins. Même si les deux sujets ne sont qu'indirectement liés, tous les musulmans vivant en Grèce n'étant pas immigrés clandestins, les journaux relayaient dans la foulée une information déjà évoquée dans des articles plus anciens (par exemple fin avril dans ''Ta Nea''): on préparerait des « camps d'accueil » pour les clandestins, qui devraient permettre de désengorger les centres de rétention de la capitale, saturés. Or, le ministère de l'Intérieur, après les sueurs froides dont il a été victime ces derniers temps du fait des incidents déjà évoqués, préparerait une « opération nettoyage » dont le but serait de vider le centre-ville (en particulier le triangle place Omonia, place Karaïskaki, place du Théâtre) de ces indésirables dont les conditions de logement sont misérables (à lire dans ''Ta Nea''). Indésirables, ils le sont donc aux yeux des autorités, comme l'étaient en 2004 les sans-logis ou les toxicomanes que le gouvernement voulait envoyer quelques semaines (le temps que se déroulent les JO) dans le même type de centres, inachevés, et dont il suffirait de terminer la construction pour qu'ils soient opérationnels pour « recevoir » ces immigrés. Ils fonctionneraient sur le même modèle que celui de Lampeduza, en Italie, et le journaliste appelle cela simplement un « ghetto ». Avant même d'ironiser sur le nom, le moins que l'on puisse dire, c'est que construire ce genre de local semble poser moins de problèmes que la construction d'une mosquée...
Enfin, les conséquences politiques, qui ne sont pas à négliger en ces temps d'élections... Le PaSok, parti d'opposition, a condamné l'absence de politique d'immigration de l'actuel gouvernement (dans ''Kathimerini''). Plus intéressantes sont les candidatures aux élections européennes de deux femmes musulmanes de Thrace, qui expliquaient leur choix et leur mission au journal ''Ta Nea'' samedi 30 mai. L'une, Sibel Moustafaoglou, déjà élue locale, défendra les couleurs du PaSok aux prochaines élections, et espère surtout ouvrir la voie à la représentation des minorités au niveau politique. Dilek Chabib, de son côté, est candidate Syriza (parti de gauche) pour la même occasion, et défend l'originalité de sa candidature en tant que femme, et issue d'une région où, dit-elle, « nous avons assez payé le prix du nationalisme ».
Deux femmes grecques, grandies en Allemagne et issues d'une minorité religieuse en Grèce, qui proposent une Europe plurielle et multiculturelle, c'est, malgré tout, une bonne nouvelle et une note d'espoir.