Le moralisme de la gauche européenne
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Nicola Dell'ArcipreteEn France, Le Pen n'a pas gagné, c'est la gauche qui a perdu. L'antifascisme socialiste du lendemain n'est rien qu'un requiem pour un reformisme qui a cedé le pas dans toute l'Europe.
La presse et les analystes européens sont tous d'accord en soulignant d'une façon alarmiste la montée de l'extrème droite en France.
Il faut lire cependant les données electorales avec attention pour voir si cette alerte est justifiée et pour analyser les grands orientations politiques de ce pays.
En réalité, l'admission de Jean Marie Le Pen au deuxième tour des présidentielles ne doit pas cacher des données essentielles pour comprendre le phénomène en cause:
-en termes absolus le leader du FN n'a fédéré que de 200.000 voix supplémentaires par rapport aux présidentielles de 1995;
-le candidat socialiste Lionel Jospin perd pour sa part plus de 2.500.000 voix toujours par rapport au premier tour de 1995.
Ces considérations sont parfois cachées par une evaluation "en terme de pourcentage". Il est donc possible de dire ce qui suit:
-l'extrême droite n'est pas une force montante et incontrolable du panorama politique français, les alertes sont injustifiées;
-l'admission de Le Pen au deuxième tour a été rendue possible par l'hémorragie de voix socialistes.
Dans le cadre d'élections qui ont vu un record d'abstentions, les électeurs de gauche sont ceux qui se sont le moins mobilisés, en préferant les candidats de l'extrême gauche au rose décoloré de Jospin.
De cette façon, un an après la debacle électorale de la gauche italienne, les électeurs français sanctionnent la faillite d'une autre expérience de gouvernement de "gauche", d'un autre modèle de "gauche possible".
Dans le cas italien on avait expliqué les cause d'une defaite sans précedent dans la puissance médiatique de la droite et dans la dangereuse confusion de pouvoirs d'un monstre qui s'appelle Silvio Berlusconi.
Heureusement (de ce points de vue, bien evidemment!) la France n'est pas l'Italie. Aucun citoyen français ne pourrait devenir Premier ministre en contrôlant un empire mediatique, ni détenir une telle quantité de concessions publiques.
On ne pourrait donc couvrir la défaite de la gauche française par le parapluie trop petit de l'alibi médiatique.
On peut par contre lire cette défaite dans le cadre d'une crise générale et importante de la gauche en Europe.
Il y a seulement quelques années l'état-major du socialisme européen était fier de controler 13 des 15 gouvernements de l'Union. Aujourd'hui, comme les représentants de la droite le disent clairement, un fantôme traverse l'Europe, celui de la gauche, qui en attendant le vote allemand, n'a presque plus aucun poids.
Mais nous voyons comme devant la montée de phénomènes plus ou moins inquiétants comme Berlusconi et Le Pen la réaction de la gauche se limite au moralisme. "La honte!" dit-on. Et basta!
Le résultat est l'ouverture d'un énorme espace politique à une droite bourgeoise et en pantoufles, sans projets d'avenir et de changement, qui se charge d'accomplir une seule et unique tâche : expédier les affaires courantes.
On cherche à gauche l'envie de changer les choses. On trouve le néant déguisé en moralisme. "La honte" dit-on. Et après? Après, ce qu'on appelle de "peuple de gauche", formé à l'engagement politique et le moins mobilisé lors du vote, car on ne peut pas mobiliser avec des projets désormais vieillis. Après, des sermons qui ne font pas partie de la politique, et qui au contraire peuvent la frustrer. Après, on laisse ouverte la voie du changement soit à des forces qui veulent le retour au mur de Berlin, soit à d'autres qui interprètent mieux que la gauche traditionnelle les exigences du monde du travail (ce n'est pas un hasard si le FN est le premier parti ouvrier de France). Après, des gouvernements d'administration courante peuvent imposer les politiques d'un libéralisme perverti sans aucune opposition, sinon "moralisme" vide d'alternative.
Le seul endroit où les forces de la "gauche" gouvernent sans problèmes de consensus est l'Angleterre du "New Labour" et d'un reformisme qui sacrifie tout ce qu'on peut sacrifier sur l'autel de l'administration courante.
Si nous définissons la gauche comme l'ensemble des forces réformistes et de changement, ceux qui ont un projet de changement de la société, nous pouvons dire que la gauche n'existe plus en Europe.
Mais est-il juste de se résigner à l'absence d'un futur possible? Est-il juste d'être jeunes et de se contenter d'une administration courante des affaires ? Est-il juste d'être lâche?
En réalité perdre l'envie de changer les choses et d'étudier des projets pour notre avenir et pour celui de nos fils, se cacher derrière un moralisme sacré, mais inutile, ne signifie pas tuer la gauche, signifie décider la fin de tout esprit critique, des alternatives, de la recherche politique de solutions aux problèmes. Cela signifie en bref tranformer la politique en administration publique. Cela signifie tuer la politique.
C'est à nous jeunes européens de tuer les tueurs de la politique.
C'est à nous de fonder une nouvelle alternative vidée de tout moralisme et ancrée dans l'avenir.
Translated from La "questione morale" della sinistra europea