Le DUC
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Certains affirment que Booba, c’était mieux avant. Avant 0.9. Aujourd’hui, le Duczer serait un cliché. Rappeur bodybuildé, misogyne, vulgaire, un concentré de testostérones pour qui l’humilité est un concept flou. Et si ce n’était qu’un je (u) ?
On peut supposer plein de choses sur Booba, mais une seule affirmation a le mérite d’être placée à la hauteur de l’intrigue : le bonhomme a réussi. Vingt ans de carrière. Disque d’or. Disque de platine. Roule en Lambo. Maison à Miami. Deux enfants. Au sein du rap game, le natif de Boulogne-Billancourt a compris mieux que personne comment fonctionnait le business. Les règles du « Duc » ? « J’attends plus l’argent, j’vais l’prendre ».
Une punchline qui sonne comme un aveu. Parce qu’au départ, Booba l’a attendu, l’argent. L’histoire commence quand il fonde avec Ali, un groupe qui marquera une rupture avec son temps, Lunatic. Six ans après, le duo sort son premier album intitulé Mauvais Œil. Six ans au cours desquels il aura fallu monter une structure indépendante – 45 Scientific -, composer sans le soutien de la radio la plus influente de France – Skyrock – et surtout, se sortir de la prison dans laquelle Booba est enfermé pour une sombre histoire de taxi-basket. À l’époque, le gamin d’une vingtaine d’années est une petite frappe. La prison va l’endurcir. C’est en cellule qu’il mûrit ses textes, soigne ses phases et donne la substantifique moelle d’un album devenu légendaire puisque Mauvais Œil restera comme le premier album certifié Disque d’or à sortir sur un label indépendant.
Lunatic choque l’époque. Leur premier morceau, Le crime paie, est devenu un classique du rap français. L’omniprésence de la violence au sein des textes de Lunatic, leur vaudra l’étiquette de « rap hardcore ».
Mais le Duc rêve grand et se lance dans une carrière solo. Il sort son premier album solo Temps mort en 2002. Cette fois encore, ça sera sans l’aide de Skyrock. L’album est rude, sombre, assassin et violent. Mais est malgré tout considéré par les puristes comme le meilleur album de Booba. Le Duc a un réel talent d’écriture et sur ce point, tout le monde est d’accord.
Businessman dans l’âme, faim de réussite et de billets violets, il lance son label Tallac Records, crée sa ligne de vêtements Ünkut, sort une mixtape et un album tous les deux ans.
Pourtant, nombreux sont ceux qui affirment que Booba c’était mieux avant. Et plus précisément, ses trois premiers albums – Temps mort, Panthéon, Ouest side. Pourquoi ? Tout simplement parce que, l’égo de Booba a augmenté proportionnellement au nombre de billets gagnés. Dans son quatrième album - 0.9 - le Météore dépeint pendant 15 morceaux son nouveau mode de vie luxueux. Egotrip à outrance. Les gens ne sont pas prêts. Déjà loin le temps où Booba rappait « moi j’rape depuis peu, pour certains j’suis encore p’tit ».
Si la plupart des rappeurs estiment sa prose imagée, il ne fait néanmoins pas l’unanimité auprès de la presse. Celle-ci mentionne rarement les succès musicaux rencontrés, mais préfère alimenter l’image de « faux gangster ricain » que Booba a créée autour de ses nombreux clashes. À chaque nouvelle phrase-choc postée sur les réseaux sociaux du Duc, les médias s’empressent d’en faire une polémique. Ce fut notamment le cas en juillet 2014 lors du massacre de plusieurs milliers de Palestiniens à Gaza, lorsque Booba publia un post maladroit sur son Instagram : « Tous ceux qui croient aider la Palestine avec des posts Instagram, Facebook, etc., vous faites vraiment pitié, bande d'hypocrites. Pas d'politique ici. Si vous voulez aider allez sur le terrain bande de truffes ou sinon fermez-la à jamais ! » Ce post suscita un grand nombre de réactions horrifiées et lui valut d’être catégorisé de « pro-israélien ». Par la suite, Booba s’était expliqué sur son post en affirmant qu’il soutenait les militants actifs, mais pas les hypocrites qui pensent faire leur béa du jour en utilisant simplement un hashtag tel que freegaza. Ce post avait également provoqué l’agacement chez Tariq Ramadan qui avait alors condamné la volonté de Booba de passer ce massacre sous silence. Ironie : dans son morceau Destinée, sorti en 2002, Booba affirmait être « d’humeur palestinienne », phrase alors censurée par la plupart des radios…
Plus récemment, c’est le clash entre Luz, dessinateur pour Charlie Hebdo, et Booba qui a alimenté la toile. Le Duc avait tenu des propos assez controversés à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo auxquels Luz avait répondu par une caricature mettant en scène le rappeur à son désavantage. Booba avait alors répondu lui aussi par un dessin provocateur et agressif.
Personnage admiré par certains, détesté par d’autres. Et malgré tout, personne ne peut contester son titre de numéro 1. Pourquoi est-il le meilleur ? Parce que c’est un forcené du travail. Personne n’a autant soif que le Duc. C’est le plus américain des rappeurs français. Il compile un beau palmarès de featurings notamment avec P.Diddy, Akon, Future, 2 Chainz, Ryan Leslie, etc. Son rap est crapuleux, vulgaire et sale. Certes, on ne retrouve pas le rap intelligent et conscient d'Akro, Disiz ou Youssoupha. Le tout avec Booba, c’est de prendre du recul, le voir comme une caricature. De prendre ses textes à « 1 degré 5 ».
Les rappeurs qui racontent des crasses, on ne les compte plus. Mais personne ne les décrit aussi bien. Avec autant d’images. Roi des métaphores. Roi des « métagores », néologisme inventé par Thomas Ravier dans son article Booba ou le démon des images publié dans la Nouvelle Revue Française pour décrire « des rapprochements qui n’ont pas lieu d’être et immédiatement, une apparition, vénéneuse, rétinienne, brusque, brutale, impossible à se retirer de la tête. Je croyais mettre un disque, j’ai ouvert un album photo, un livre de chair, de son, verbe en sang, une boîte de Pandore »....)