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Esperanzah ! Festival de combats

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En été en Belgique, on n’a pas la Méditerranée, mais on a des festivals. Avec plus de 400 fiestas musicales, pas facile de se démarquer. Près de Namur, un petit festival a choisi de s’impliquer à fond dans l’activisme à l’échelle locale. De la lutte contre la pauvreté et le racisme, aux traités de libre-échange et la dénonciation du patriarcat et des privilèges, l’équipe de jeunes qui portent les sujets vient bousculer le public, jusqu’à lancer sur le web leur propre média.

« Une fête. De l’art. Du sens. Autrement. » C’est ainsi que se présente le festival Esperanzah !, qui se tient à l’Abbaye de Floreffe, en Wallonie, le 2, 3 et 4 août prochain. Créé en 2002, l'événement musical, plutôt orienté « world music », tient l’inspiration de son nom de l’album de Manu Chao « Proxima Estacion : Esperanza ». Jean-Yves Laffineur, créateur et directeur du festival, raconte son envie de lancer à l’époque un rassemblement ouvert et engagé, à l’époque où la Belgique connaissait un retour du racisme, dans l’ère post-11 septembre. Tourné vers la découverte d’artistes des pays du « sud », positionné dans ses débuts pour l’annulation de la « dette du Tiers-Monde », Esperanzah a été « assez vite identifié comme faisant parti de la vague altermondialiste », raconte le pilier du festival. Plus de quinze ans plus tard, la compétition se fait rude entre les festivals se voulant « engagés » d’une manière ou d’une autre. Pendant ce temps-là, Esperanzah a su garder un public fidèle avec des ingrédients bien spéciaux.

Depuis la première édition, en 2002, les choses ont bien changé. De 9 000 personnes à ses débuts, le festival est vite passé à 25 000 visiteurs, pour atteindre 36 000 l'année dernière. Les artistes continuent d’être originaires du monde entier, mais depuis quelques années les campagnes militantes se sont centrées sur des thèmes plus précis et surtout s’appuient sur un réseau très local d’associations, plutôt que sur des grosses ONG internationales. Chaque année, un fil conducteur est choisi pour faire réfléchir le public entre deux bières et un pogo. De « les alternatives ne connaissent pas la crise », à « tout autre chose, mais pas n’importe quoi », on passe à des sujets plus thématiques et d’actu comme l’aide aux réfugiés, avec « Des ponts contre leurs murs », pour le millésime 2017 et l’anti-sexisme, quand l’édition 2018 s’attaque au « Déclin de l’empire du mâle ». Chaque année, au cœur du site historique où se tiennent les festivités, un « Village des possibles » accueille les assos et les collectifs belges qui viennent présenter leurs actions et leurs initiatives en écho avec la discussion du moment.

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Mais après avoir testé et éprouvé les classiques workshops et conférences pendant le festival, et même le format court-métrage de fiction, l’équipe de campagne et de communication a voulu expérimenter un nouveau support. « Le public nous disait apprécier la manière dont on traitait les choses. Avec un côté sérieux, mais jamais grave, pas culpabilisant ou victimisant », explique Jérôme van Ruychevelt, le coordinateur des campagnes depuis 2014. C’est comme cela qu’est né, l’année dernière, le web-média « Tout va bien », pour distiller de petites vidéos didactiques sur les thèmes chers aux organisateurs, à mi-chemin entre le format youtubeur et l’enquête journalistique. Pour coller à l’ADN de festival, « on voulait une diversité de profils et de visages pour pouvoir s’adresser à des gens qui nous ressemblent. Des hommes, des femmes, des personnes racisées, des homos, des hétéros… », souligne Jérôme, qui a monté un collectif de jeunes talents, entre 25 et 30 ans, issus des milieux militants, syndicaux et d’autres bossant dans l’audiovisuel pour créer la chaîne Youtube.

« On se sent assez complémentaire des médias traditionnels, pas en opposition »

Face caméra, à tour de rôle, Nabil, Paul ou encore Betel exposent en quelques minutes et quelques chiffres, un sujet qui les fait réagir, en s’adressant à des gens de leur âge, avec autant d’humour, de bricole que de sérieux. « On assume totalement la non-neutralité de nos propos, mais on essaie d’être rigoureux sur le contenu qu’on va avancer, on source, et si on se trompe, on le dira. Notre objectif, c’est de dire ce qu’on pense. On se sent assez complémentaire des médias traditionnels, pas en opposition. » Pour le jeune trentenaire, les réseaux sociaux, en Belgique, sont « sous-exploités comme espace de lutte. L’idée est que ce qu’on peut faire dans le monde de la musique, sur le festival, on peut le faire aussi sur les réseaux sociaux. » Du coup, le collectif s’est tout de suite démarqué en rebondissant sur l’actualité du plat pays : la pollution à Bruxelles, une nouvelle loi sur les visites domiciliaires de la police (visant les « hébergeurs de migrants »), des propos racistes tenus par des politiciens, etc.

En juin, les 12 ambitieux se sont même lancés dans un mini-doc d’investigation. Leur long format expose les coulisses du projet de construction d’un complexe pénitencier au nord de Bruxelles : la prison de Haren. Selon eux, « un petit projet entre potes » politiciens et entrepreneurs du privé pour rentabiliser la gestion des prisonniers, sans trop demander l’avis des contribuables. C’est sûr, Elise Lucet fait des émules en Belgique ! Car les commentaires et retours sont déjà très positifs pour une première. La vidéo sera diffusée au public du festival dans un espace qui sera dédié pour présenter la nouvelle web-tv. « On va continuer à en faire. Même si ça sort un peu du cadre purement du festival, ça fait vivre les campagnes sur l’année et ça renforce l’image d’Esperanzah. C’est important pour son identité. On se bat sur des thématiques pas évidentes. Et c’est vrai que depuis quelques années, on est perçu comme plus radical qu’avant », concède Jérôme.

Cette année, le programme de réflexion va tourner sur un mode introspectif. Il annonce « Démasquons nos privilèges ! ». Un choix pas facile, qui découle en fait des débats de l’année précédente sur la demande du public d’avoir des outils pour changer la société – dans ce cas-ci, lutter contre le harcèlement, le sexisme et à grande échelle : le système patriarcal. Même en pleine vacances, au milieu de la détente et de la fête, les « ateliers et débats sont pleins », nous assure-t-on. Alors certes, ce ne sont qu’une centaine de personnes sur les 12 000 visiteurs quotidiens, mais les plus militants sont là. À côté des trois jours de festivités, c’est toute une vie qui s’est progressivement créée, avec des formations de bénévoles, des rencontres avec les organisations locales, l’éducation populaire dans certaines écoles, etc. Un ensemble qui, au-delà de la musique, maintient une communauté de fidèles, pas prêts de déserter l’Abbaye de Floreffe.


Crédits photo : Elodie Gregoire

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