Devenir végétarienne : mon histoire persillée
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Les termes « carences » ou « contraintes » sont inlassablement associés au végétarisme. Pourtant du côté veggie de la force on parle d’ « habitude », de « tradition », et finalement de respect des animaux. Même quand on est fan de canard, et habitué.e à manger de la viande chaque jour, le végétarisme peut devenir une évidence. Voici la route que j’ai parcourue pour atteindre mon idéal végétarien.
En 2015, lorsque j’étais stagiaire chez Cafébabel, Katharina, alors coordinatrice éditoriale, nous a confié qu’elle ne consommait de la viande plus qu’une fois par semaine. À ce moment-là, ça m’a paru quasi-insurmontable car j’en mangeais tous les jours. Une assiette sans viande, ce n’était pas un véritable plat. Même si en parallèle, ça faisait déjà un moment que j’avais ouvert les yeux sur l’alliance malbouffe-maltraitance animale proposée par des fast foods comme McDonalds, que je fréquentais donc beaucoup plus rarement. Et c’est au fil du temps, des expériences et des rencontres, que j’ai commencé à réduire ma consommation de viande.
L’étape décisive dans mon cheminement a eu lieu l’hiver dernier. En discutant avec un ami végan. J’ai réalisé que je me mentais à moi-même. Je savais que je ne tuerais jamais un animal, pourtant j’acceptais de laisser quelqu’un le tuer pour moi. Soudain, le puzzle a commencé à s’imbriquer dans ma tête. J’ai eu cet éclair qui m’a fait réaliser qu’à certaines époques sombres de notre Histoire, chaque maillon de la chaîne des atrocités et meurtres commis se dédouanait de toute responsabilité. Dans le cas des animaux, ceux qui les abattent pour en vendre la viande considèrent probablement qu’ils ne font que répondre à la demande des consommateurs. La réalité est que nous sommes co-responsables de meurtres que je suis pourtant incapables de commettre à proprement parler. Je n’étais donc pas en accord avec moi-même. Cette illumination m’a bouleversée au point de culpabiliser à chaque fois que j’en mangeais. Alors pour la nouvelle année, j’ai décidé que c’était le bon moment. Avec l’impression de sauter dans le vide, mais convaincue de la cause. Le 1er janvier 2018, j’ai arrêté de faire tuer des animaux pour moi.
Premiers pas sans pieds paquets
Pour relativiser cette étape, je me suis dit que j’en remangerais peut-être un jour. Même si mon objectif est de ne plus jamais y toucher. Dans l’entourage, les questions sont toujours les mêmes : « Comment vas-tu ? Comment le vis-tu ? ». Je vais bien et je le vis bien. J’ai souvent le teint un peu jaune et des cernes foncées autour des yeux (#onclefétide), mais jusqu’à preuve du contraire, il n’en a jamais été autrement. Au sport, je tiens toujours l’effort de la même façon. J’avoue avoir changé mes habitudes pour éviter au maximum les carences, mais ce changement n’a pas été brutal, ça a été progressif car je n'ingurgitais déjà quasiment plus de viande. J’ai commencé à manger davantage de fruits secs, puis je me suis heurtée aux premières difficultés. On conseille par exemple aux végétariens et végétaliens d’allier lentilles et riz pour leur apport en protéine. Mais disons que la digestion des lentilles n’est pas des plus heureuses. Au restaurant comme chez soi, on a tendance à compenser la viande par du fromage ou des œufs. Même problème, je digère mal tout ce qui est à base de lait de vache. Sans oublier que sur le plan éthique, ce n’est pas idéal si l’on se préoccupe de la cause animale au sens large (élevage de poules et de vaches dans des conditions souvent sordides). Et c’est là que se pose une question fatidique...
« Où est-ce que je place mes limites ? ». Ai-je la même compassion envers le poisson même si je ne peux pas lui faire de câlins et qu’il n’est pas aussi mignon qu’un agneau ? Est-ce que la beauté de ce sac en cuir prime sur la vache qui a permis de l’obtenir ? Et la gélatine de porc dans les bonbons ? Et le lait des vaches ? Et les moustiques écrasés entre mes mains ? On peut s’interroger jusqu’à l’infini. Il revient à chacun de trouver sa limite. En vrai, quand on devient végétarien pour des raisons écologiques, la préoccupation première est de réduire l’impact environnemental lié à la production de viande. Mais quand on devient végétarien par respect des animaux, on tend à aller vers le véganisme. C’est à dire exclure toute consommation de produits issus de l’exploitation animale, afin de bannir tout risque de maltraitance et de souffrance. Devenir végan est une décision qui ne se prend pas à la légère car c’est très marginalisant. Il y a peu de restaurants adaptés, tout est beaucoup plus compliqué et contraignant lors de repas entre amis. En France, en 2017, on comptait seulement 5% de personnes végétariennes et 4% de végans, selon un sondage Harris interactive.
« Et la surproduction de soja, tu y as pensé ? »
La plupart du temps, j’oublie de prévenir mes hôtes ou de vérifier la carte avant de choisir un restaurant. J’ai l’impression que c’est facile et évident pour tout le monde en 2018, parce qu’il y a généralement des alternatives. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et puis, je n’ai pas envie de l’imposer aux autres. Par chance, je dois avouer avoir reçu beaucoup de réactions de compréhension et de témoignages de soutien (plus que l’inverse). En particulier de la part de ma famille et même de ma grand-mère, et on sait comme il est difficile de changer ses habitudes à partir d’un certain âge. J’ai aussi pu constater une tendance croissante de « flexitarisme » (en résumé : manger moins souvent de viande et privilégier la viande du boucher à celle du supermarché) dans mon entourage. Mais dire « non merci, je ne mange pas de viande » soulève toujours un débat. Les gens veulent connaître mes motivations et posent beaucoup de questions. Même si je ne juge pas les autres et ne cherche pas spécialement à parler de ce choix, ça les fait généralement réagir. Ils ressentent le besoin de justifier leurs habitudes alimentaires ou de me communiquer leur volonté de franchir le pas et leur difficulté à le faire. Plus rarement, j’ai droit à des théories pro-viande, ou à des tentatives de décrédibilisation de ma démarche qui tendent à les rassurer. « Oui mais tes chaussures, c’est bien du cuir ? », « Et la surproduction de soja, tu y as pensé ? ». Je ne leur en veux pas, leurs questionnements sont légitimes. Mais la plupart du temps, je ne ressens pas l’envie ni le besoin de me lancer dans ce genre de discussion. Chacun ses choix, chacun ses convictions !
Au bout de deux mois, j’ai commencé à ressentir l’envie de viande, j’ai eu du mal à faire le deuil notamment du pâté en croûte et du canard, que j’ai tant aimés. J’ai commencé à faire des rêves où j’en mangeais, et je me disais « Merde, mais pourquoi tu fais ça ? Tu fiches tout en l’air ! ». Un peu comme quand on rêve qu’on trompe la personne avec qui l’on est. Alors oui, parfois ça me fait envie (de manger de la viande, pas de tromper mon copain), mais au final ce n’est pas si difficile de résister quand on a quand même la possibilité de manger de bonnes choses, et l’envie me passe aussitôt le repas terminé. Quant à ma passion pour les sushis, ne pouvant ignorer la menace de disparition de certaines espèces de poissons, j’ai décidé d’opter pour des sushis végétariens. Finalement, c’est surtout le rituel qui me plaisait, plus que le poisson, qui ne me manque pas plus que ça.
Une autre nouveauté est apparue dans un second temps. Par le passé, les publicités liées à la consommation de viande me laissaient totalement indifférente, voire me donnaient faim (on ne va pas se mentir). Aujourd’hui, je suis choquée de voir des publicités dans lesquelles des familles mangent de la viande comme si c’était tout à fait normal. Bienvenue du côté « veggie » de la force !
Quoi de boeuf docteur ?
Cela fait désormais un peu plus de six mois que je suis devenue végétarienne. L’heure du bilan a sonné. Dans un premier temps, j’ai consulté mon généraliste. À ma grande surprise, il n’a pas du tout essayé de me décourager et n’a pas remis en cause mon nouveau régime alimentaire. Il m’a prescrit des analyses sanguines et m’a expliqué qu’il fallait faire avant tout attention aux valeurs relatives à l’acide folique, la vitamine B12 et la ferritine. Munie de mon ordonnance, je suis donc allée faire ma prise de sang. Quelques jours plus tard, j'obtenais déjà mes résultats avec l'impression d'être une élève de terminale qui attend ceux du bac. Verdict : je n’ai qu’une petite carence en vitamine B12, la fameuse vitamine ne se trouvant en grande quantité que dans les protéines animales. Plusieurs études médicales ont confirmé que les végétariens étaient plus sujets à des carences en vitamine B12, en fer, en vitamine D, et en oméga 3. Rien d’insurmontable selon les médecins, qui préconisent alors un régime plus adapté, avec des sources végétales bien choisies, ou, comme dans mon cas, des compléments alimentaires si nécessaire. La bonne nouvelle, c’est qu’on peut se procurer de la vitamine B12 en pharmacie, sans ordonnance et sans tuer d’animal.
Devrai-je acheter et cuisiner de la viande pour mes enfants ou pourrai-je les nourrir autrement ?
Je perds désormais moins de temps à me décider pour un plat au restaurant, mais je n'ai surtout plus mauvaise conscience. Je me sens davantage en accord avec moi-même malgré la question quasi-insoluble des limites. Aujourd'hui, toute tentative de réduire la souffrance animale me paraît louable. Savoir que la tendance prend de l'ampleur me rassure, car ce n'était clairement pas le cas trois ou quatre ans auparavant. Je me dis que ça a forcément des répercussions sur le volume de production de viande et de poisson. Je prévois donc de poursuivre ma démarche, sans forcément franchir le cap végan, mais en me posant encore quelques questions, notamment liées à la maternité. Faudra-t-il que je remange de la viande si je tombe enceinte ? Devrai-je acheter et cuisiner de la viande pour mes enfants ou pourrai-je les nourrir autrement ? Ce serait un réel sacrifice pour moi de devoir le faire. Mais il est évident que je ne mettrai jamais ni ma santé, ni celle de personnes sous ma responsabilité en péril.
Finalement, la question de manger ou non de la viande est avant tout personnelle. Quant à la société et ses habitudes, je reste persuadée qu’un jour, ces meurtres et maltraitances d’animaux en masse nous choqueront autant que ceux commis d’homme à homme. Nous considérerons alors les animaux comme nos semblables et vivrons en paix avec eux. D’ailleurs les Wallons ont déjà entamé cette démarche avec un Code du Bien-être animal qui reconnaît notamment la sensibilité des animaux. Pour ce qui est de la France, il faudra sûrement du temps pour changer nos habitudes. Mais on trouve déjà certaines nouvelles encourageantes : la consommation de viande a baissé de 10% sur les dix dernières années en France.