Contestation : le chaudron russe
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Qu’ils soient anarchistes, travaillent pour des ONG occidentales ou animent des associations locales de résistance, nombres de jeunes Russes luttent pour le même idéal : un Kremlin qui se préoccupe enfin de l’explosion de la pauvreté.
En avril 2005, le premier Forum social russe a rassemblé près de 750 personnes dans les locaux de l’Université de Moscou. Un nombre certes peu élevé eu égard aux grandes messes altermondialistes de l’Ouest mais qui traduit néanmoins la capacité de mobilisation de la société civile russe.
A l’issue de cette rencontre ont été créés des forums régionaux de résistance et des soviets de solidarité sociale (SOS) qui regroupent, pêle-mêle, associations et syndicats alternatifs, défenseurs des droits de l’homme, associations d’invalides et de victimes des radiations de Tchernobyl ou organisations de retraités.
Il semble donc que la contestation sociale russe soit en marche et ce, « malgré les tentatives de durcissement de la législation du Kremlin sur les mouvements sociaux et les ONG», comme l’explique Karine Clément, chercheuse française à l’Institut de sociologie de l’académie des sciences de Moscou. Le Président Vladimir Poutine avait ainsi promulgué en novembre 2005 une loi restrictive interdisant aux ONG de recevoir tout financement venant de l’étranger.
La tension monte
Selon Clément, « la montée de cette protestation s’explique par la dégradation des conditions de vie des Russes les plus pauvres, suite à la suppression progressive des systèmes de protection sociale issus de l’ère soviétique ». La chercheuse souligne « que ces garanties constituaient de fait un ‘filet de sécurité’ pour la plupart des familles, incapables d’accéder aux soins, éducation, transports ou logement en comptant uniquement sur leur salaire, s’élevant à 150 euros en moyenne ».
Lors de l'hiver 2005, les grands manifestations contre la remise en cause de l’accès gratuit aux transports publics ou à certains médicaments pour les plus démunis ont ébranlé le Kremlin et obligé Poutine, surpris par l'ampleur du mouvement, à revenir sur les décisions les plus controversées.
Par la suite, une nouvelle vague de privatisation des logements sociaux a encore attisé la grogne sociale : de nombreux jeunes travailleurs se sont ainsi faits escroquer par des sociétés de gestion immobilière censées récolter des fonds pour la construction d’immeubles privatifs qui n’ont jamais vu le jour.
La flambée de ces mouvements non institutionnels s'est vue en outre favorisée par le verrouillage du système politique : le gouvernement Poutine a ainsi mis en place de nombreuses contraintes bureaucratiques à toute personne désireuse de créer un parti politique dissident, voire une association d'opposition.
Carine Clément juge que « le Kremlin a encouragé les méthodes musclées des forces de l’ordre et le contrôle des grands médias télévisés, ainsi que la mise en place d’une société civile dite ‘officielle’ avec la création d’organes désignés et dominés par le pouvoir présidentiel, à l’instar de la Chambre civile. » Car Poutine veut à tout prix « empêcher que se produise en Russie une éventuelle ‘Révolution orange’ copiée sur le modèle ukrainien.»
Quelle attitude face à Poutine ?
Pour autant, « l’organisation du premier G8 en Russie le mois prochain à Saint-Pétersbourg est une excellente occasion de fédérer les énergies et de donner au monde une autre image de la Russie que celle des discours de Vladimir Poutine » souligne Maxime Egorov, dirigeant du mouvement national contre la pauvreté, la plateforme russe de l’Appel mondial contre la pauvreté, une coalition internationale regroupant 150 millions de militants dans 80 pays.
« Nous allons profiter de la présence de plus de 2000 journalistes pour attirer l’attention de l’opinion publique internationale sur la montée de l’extrême pauvreté en Russie et faire pression sur les autorités russes afin qu’elles agissent dans les domaines du logement social et du maintien de l’accès à l’éducation pour tous » explique Egorov.
Même s’il affiche une certaine méfiance, ce jeune militant russe qui a également fondé Nochlezhka, une ONG active dans la protection des sans logis en Russie considère positive la récente initiative de Vladimir Poutine : permettre l’organisation d’un grand sommet de la société civile en marge de la rencontre officielle.
Près de 600 représentants d'ONG russes et étrangères se sont ainsi donnés rendez-vous les 3 et 4 juillet dernier au forum ‘G8 civil 2006’. Poutine, bien qu'ayant accru son contrôle sur les associations locales, s'y est montré particulièrement conciliant, se disant prêt à amender la loi restrictive sur les ONG.
« Nous devons pourtant rester fermes avec Poutine car les priorités du Kremlin concernent l’énergie nucléaire plutôt que l’investissement dans les énergies renouvelables, la sécurité ou la santé des Russe, » met en garde Olga Myrasova, une jeune militante anarchiste.
De fait, les « alters » russes sont souvent plus pragmatiques que leurs homologues de l’Ouest qui perçoivent la question de la pauvreté dans un angle très rhétorique, se concentrant essentiellement sur le continent africain. « C’est vrai que j’ai trouvé étrange de voir des drapeaux de Lénine ou de Marx lorsque je me suis rendu au Forum social européen organisé à Athènes au printemps dernier » se souvient notamment Maxime Egorov. Néanmoins, « les mouvements sociaux qu’ils soient localisés en Europe occidentale ou ailleurs doivent lutter ensembles : la pauvreté est un problème universel ».