Bruxelles : la taxe Tobin sort des bois
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C'est juste avant les élections européennes que les ministres de l'économie et des finances des différents États membres ont décidé de se réunir pour décider du futur de la Taxe sur les Transactions Financières (TTF) ou taxe Robin des Bois comme certains aiment à l'appeler.
Lundi 5 et mardi 6 mai : deux jours pendant lesquels le conseil ECOFIN (réunion des ministres des finances des États membres, nda) a fait le point sur la situation et a décidé de l'agenda de cet ambitieux projet.
Il était une fois
L'idée d'une taxe sur les transactions financières est née en 1972 sous la plume d'un célèbre économiste, James Tobin, lauréat du prix Nobel d'économie. Élaborée dans le but de limiter la volatilité des taux de changes, elle s'est aujourd'hui élargie à l'ensemble des transactions financières. Après de nombreuses et vaines tentatives nationales d'instaurer une telle taxe, l'Union européenne a décidé de prendre le dossier en main. La crise économique de 2008 a en effet révélé l'importance de la mise en place d'un système de taxation, et c'est en 2010, après l'échec des négociations du G20 sur la question, que la Commission européenne a commencé à étudier la potentielle faisabilité du projet. Cependant le conseil ECOFIN mi-2012 a établi l'impossibilité d'instaurer une taxation au niveau de l'ensemble des États membres, mais a évoqué le fait qu'une coopération renforcée sur la question était envisageable. C'est ainsi que fin 2012 et début 2013, la Commission, le Parlement et le Conseil ont donné leur feu vert pour que les 11 États membres volontaires puissent mettre en oeuvre, par le biais d'une coopération renforcée, une taxe sur les transactions financières.
La directive du conseil est très claire : « le Conseil a autorisé une coopération renforcée entre la Belgique, l'Allemagne, l'Estonie, la Grèce, l'Espagne, la France, l'Italie, l'Autriche, le Portugal, la Slovénie et la Slovaquie », le Royaume-Uni ayant logiquement et catégoriquement refusé une telle proposition. L'agenda de cette « taxe Robin des Bois » devra cependant être décidé plus tard, a indiqué la directive. Le dernier conseil ECOFIN vient donc de faire le point là dessus.
Cette taxe se divise donc en deux parties : elle prévoit une taxation de 0,1% sur les transactions d'actions et d'obligations, puis 0,01% sur les produits dérivés (représentant 80% des transactions financières). Il semble qu'aujourd'hui, il est plus que primordial que des projets européens comme celui-ci voient le jour. Car ils permettent à la fois de montrer que l'Union européenne est capable de faire des propositions ambitieuses, et de prouver qu'il y a une réelle volonté politique de combattre le monde de la finance, tant critiqué en ces temps de crise.
À en croire le ministre des Finances autrichien, Michael Spindelegger, la taxe Tobin européenne verra le jour au plus tard le 1er janvier 2016. Tandis que certains se montrent optimistes, d'autres semblent au contraire plus que sceptiques quant à l'avenir du projet. En effet, la Slovénie n'a par exemple pas signé le rapport final du conseil économique et social du 5 et 6 mai étant donné qu'elle n'a, en ce moment, pas de gouvernement. Cela réduit ainsi le nombre d'Etats membres participant à 10. De plus, un certain flou entoure le document final. Michel Sapin, ministre des Finances français a laconiquement déclaré que tout dépendra « des dérivés qu'on met dedans ». Il ne s'agit donc que d'un point de départ politique, et tout reste encore à faire.
Suivre l'argent
D'autres questions restent également en suspens. La taxe prévoit par exemple de rapporter 34 milliards d'euros, qui, selon la communication du conseil, devront être utilisés pour des investissements publics. Une notion très vague et peu précise. C'est pourquoi mardi 6 mai, l'ONG Oxfam s'est rassemblée devant la Commission européenne pour témoigner son scepticisme à l'égard de la direction qu'allait prendre l'argent. La présidente du bureau d'Oxfam Bruxelles, Nathalia Alonso, a expliqué à cafébabel que « l'argent dégagé par cette taxe doit être dirigé vers la santé et l'éducation en Europe mais aussi en dehors. Cet argent doit aussi servir à combattre le réchauffement climatique ». Elle indique ensuite que les 34 milliards d'euros que vont rapporter la taxe « peuvent résoudre beaucoup de problèmes de santé et d'éducation dans beaucoup de pays, seulement 5% de l'argent dégagé en un an est suffisant pour payer 1 million d'infirmières en Afrique». Nathalia Alonso ne fait pas spécialement confiance aux insitutions étant donné que leur « communication n'est pas claire sur ce sujet. C'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui, nous attendons de la part des États membres une clarification sur la destination de cet argent ».
Des chiffres et des pertes
Cependant, d'autres interrogations sont aussi à prendre en compte. Parmi elles, le rejet complet du Royaume-Uni. Georges Osborne, ministre britannique des Finances a notamment affrimé que « si les États membres veulent nuire à leur marché de l'emploi et à leur investissements, c'est leur décision. Par contre, s'ils veulent les endommager dans d'autres États, nous avons le droit de contester ». Or si l'on regarde la situation de la finance en Europe, on réalise rapidement qu'une telle taxe n'a pas de sens sur le long terme si la City se tient hors-jeu. De plus, selon Pascal Canfin, ancien ministre français de l'Ecologie, au vu du dernier conseil, « il y a un risque que l'accord porte uniquement sur une taxation des transactions concernant les actions. C'est déjà ce que pratique la France depuis 2012 et qui lui rapporte 600 millions d'euros par an. Mais c'est une assiette très étroite, une mini-taxe, qui ne correspond pas à la philosophie initiale du projet (...) Pour l'Europe, cela reviendrait à ne collecter qu'environ 3 milliards d'euros, sur un potentiel qui a été estimé à 30 milliards au moins. »
Derrière les chiffres, beaucoup d'interrogations concernent le futur et l'avenir d'une telle taxe dans l'Union européenne. Mais comme le souligne Nathalia Alonso « quand il y a la volonté politique tout est possible ». Reste à savoir si la taxe Tobin saura sortir du bois et sera assez forte pour combattre le lobbyisme des banques et de certains États.