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Zhenya Strigalev : « Le Royaume-Uni est un grand mélange de sons »

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BrunchCulture

Ce compositeur prodige organise des jam-sessions jusqu’au bout de la nuit. A 28 ans, il est le seul saxophoniste alto russe à se produire sur la scène londonienne.

L’air sérieux, des cernes sombres sous les yeux, ce jeune homme mince, aux longs cheveux tombant sur les épaules, et en partie soigneusement dissimulés sous un bonnet de laine tricoté, m’apparaît dans l’obscurité d’une cage d’escalier en briques rouges. Je profite du festival de jazz londonien pour le rencontrer, alors qu’il y présente son nouveau morceau de fusion intitulé Findamorale.

Il m’accueille avec un large sourire : « C’est super que vous ayez pu venir ce soir », me dit-il en m’invitant à le suivre à l’étage où nous prenons place dans la confortable salle des musiciens, au Baltic restaurant, sous les poutres d’un ancien atelier somptueusement restauré. Sa formation particulièrement éclectique, formée d’un pianiste mélodiste, d’un tromboniste frénétique à la peau noire et de Michael, chanteur qui apporte une touche reggae à quelques uns de ces morceaux, enchaîne, avec énergie, solo de saxo et compos d’ensemble.

« La couleur de la fusion dépend totalement de ce que chaque musicien est en train de jouer », m’explique Strigalev. « 80 % de la réussite d’un morceau consiste à trouver la bonne tonalité, le reste relève du genre musical choisi - bossa nova, be-bop ou n’importe quoi d’autre - et à ce que les musiciens, basses, batterie y mettent ou en font…. Je peux avoir une influence sur un morceau que j’ai écrit, mais en aucun cas je ne peux contrôler son exécution. » Zenya, qui paraît plus mûr qui me parait plus mûr que son âge, prend son métier très à cœur.

Prix du meilleur jeune musicien

« Mes parents ont eu très tôt une influence sur mon avenir. J’ai reçu des leçons de piano dès l’âge de huit ans avec l’obligation de me montrer assidu. Non parce qu’ils voulaient faire de moi un musicien, mais dans le souci de me donner une éducation soignée. Mes professeurs disaient que j’avais du talent, si bien qu’à quatorze ans, je me suis orienté vers le saxo », raconte le jeune homme. Durant un an, il étudie la musicologie, puis continue sa formation en autodidacte. « J’ai toujours été fasciné par le jazz », poursuit-il. « Mon père qui a joué un rôle marquant sur la scène russe des années 70-80 était bien plus qu’un simple phénomène underground… A la maison, il y avait toujours des disques, et je me suis fait la main en écoutant Sonny Rollins ou Charlie Parker. J’ai essayé d’apprendre leur style, de le copier, enrichissant ainsi mon vocabulaire musical, persuadé que je pourrais jouer comme eux et interpréter avec la même facilité ce qu’ils exprimaient dans leur musique. »

Quelques années plus tard, quand l’embouchure de son instrument se casse, Zhenya ne peut pas continuer à pratiquer car se procurer une anche en Russie n’est vraiment pas une mince affaire. « Pendant deux mois, je n’ai plus joué », se souvient-il. « Quand j’ai appelé le gars qui m’avait vendu le saxo, il a hurlé : tu ne mérites pas de faire de la musique ! Tu ferais mieux de me refiler le saxo que je puisse le vendre à quelqu’un qui en fera un meilleur usage ! Après ça, je me suis remis à travailler tous les jours. » C’est ainsi qu’à 17 ans, il fut sacré meilleur saxophoniste à l’issue d’un prestigieux concours national.

Départ pour Londres

Contraint de faire son service militaire, un passage obligé en Russie pour tous les hommes de 18 ans, Zhenya travaille de 7 h 30 à 18 h, puis se joint à l’orchestre de la caserne. Une promotion qui lui permet de s’exercer musicalement plusieurs heures par jour dans le cadre de son service. « C’était difficile et fatiguant de pratiquer la musique durant ces trois années car tu dois aussi bosser pour l’armée. Pour improviser, le seul moyen était de se rendre en ville et de se faire un bœuf toute la nuit. »

Après son service militaire, plein de projets, Zhenya fait des allées-retours réguliers entre Moscou et St-Petersbourg. Il enregistre alors trois albums. A 25 ans, il gagne un séjour scolaire à l’Académie Royale de Musique de Londres. L’Angleterre l’attirait : « En comparaison, la scène est beaucoup plus ouverte à Londres qu’à Moscou. Ici, il y a un grand mélange de sons et les gens s’intéressent à presque tout. C’est ce que j’aime au Royaume-Uni ! », décrit-il. « Je ne fréquente pas vraiment la communauté russe bien que j’ai des amis parmi mes compatriotes. Mais je désire avant tout découvrir l’Angleterre, apprendre la langue, trouver ma propre place et comprendre la culture locale sans influence extérieure. Certains Russes vivant ici se plaignent du Royaume-Uni, mais ne veulent pas en partir non plus. D’autres aiment l’Angleterre et prétendent que la Russie, c’est l’enfer. Ce que je n’aime pas entendre puisque, bien évidemment, c’est faux. »

Aujourd’hui Zhenya travaille avec des artistes anglais, comme le pianiste Nick Ramm de Fire collective qui a composé trois chansons pour son dernier album. « C’est difficile de parler d’identité nationale en musique », dit-il. « C’est ici, en Angleterre, que j’ai vraiment découvert une nouvelle approche et enrichi mon vocabulaire musical. Mais il est vraiment pas simple de savoir si la composition que je viens d’achever est plus russe qu’une autre. »

Il se dessine un avenir plein de collaborations fécondes. « C’est agréable de jouer avec des gens différents. En retour, tu peux faire profiter ton groupe des expériences émotionnelles acquises et en tirer parti. Je veux faire plus de scène ici à Londres, comme dans le quartier très « arty » de Hoxton, rencontrer plus de fans de jazz et faire venir des formations continentales encore rares pour le moment. » Sur ces mots, Zhenya enfile son bonnet de laine en me décochant un large sourire : « Cette semaine, nous enchaînons chaque nuit jusqu’à 3 heures… Tu veux venir ? » Difficile de refuser.

Pour entendre ZHENYA :

- sur CD : Off the cut est le nom de son plus récent album. Sélection de ses meilleurs morceaux de jazz acoustique inspirés du genre de musique banni en Russie durant les années 50, 60 et 70. Findamorale sortira en CD en Juin 2008 (Baltic Music)

- à Findamorale : comme toute sa musique, le titre est une fusion. Sorte de mot-valise formé de deux racines, l’une anglaise, l’autre italienne. Nous avons le mot find pour trouver et amorale (amoral). Mais vous pourriez tout aussi bien lire : trouver une morale (To find a morale ) selon qu’il s’agisse d’un état ou d’un impératif.

- en live and free : Chez « Charlie Wright » au bar international du Baltic à Hoxton de 10 heures à 3 heures du matin, les jeudis et vendredis.

- enfin, vivant et bien portant au festival Findamorale à Hoxton en Juin 2008.

Translated from Zhenya Strigalev: 'London's jazz scene is more open than Moscow's'