Watergate à l'italienne : le scandale des écoutes téléphoniques
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Charlotte MonnierFaut-il limiter le recours aux écoutes téléphoniques uniquement aux enquêtes sur le crime organisé et le terrorisme ? Une manifestation nationale était organisée à Rome, le 5 novembre dernier contre ce projet de loi du gouvernement Berlusconi.
La gauche et la droite ont tenté d'empêcher cette publication, invoquant à chaque fois la protection de la vie privée, le spectre d' « écoutes sauvages », des coûts à la charge de l'Etat ou la dénonciation des manipulations de la presse. Les politiciens italiens tentent pour la troisième fois en dix ans d'imposer leur veto à la publication d'écoutes via des projets de loi proposés par un ministre de la justice : le premier a été proposé par Giovanni Maria Flick, Garde des Sceaux en 1998 sous le premier gouvernement Prodi et le deuxième par Clemente Mastella en 2007, sous le second gouvernement Prodi. C'est maintenant au tour d’Angelino Alfano.
La droite et la gauche unies contre les écoutes
Les précédents projets de loi se sont enlisés au Sénat. Cependant, le gouvernement, fort d'une majorité écrasante, semble cette fois-ci décidé à mener la bataille à son terme. Cette loi, qui naît du refus des hommes politiques à voir le pouvoir judiciaire et la presse mettre le nez dans leurs « petites affaires », s'ajoute à une réglementation déjà favorable à la sauvegarde des droits civils des membres du Parlement. En effet, les parlementaires ne peuvent pas faire l'objet d'écoutes, à moins qu'ils ne le décident par un vote, qui est également nécessaire dans le cadre d'écoutes « fortuites » (par exemple : écoute d'une conversation de Rossi, qui a appelé le député Verdi) qui peuvent mettre à jour des comportements relevant du pénal.
Ce sont justement ces écoutes « fortuites » qui ont mis à jour les scandales les plus énormes de ces dernières années, qui ont vu des hommes de pouvoir discuter avec des parlementaires de droite et de gauche. Ces discussions n'ont parfois aucune valeur du point de vue judiciaire mais révèlent les intrigues entre le pouvoir économique et le pouvoir politique. Ce n'est pas un hasard si le projet de loi de Mastella a été voté à l'unanimité par la Chambre des députés en 2007 (447 voix pour, quelques abstentions, aucune voix contre), avant que le mécontentement populaire grandissant ne pousse à un blocage au Sénat. C'est justement à la suite d'écoutes effectuées sur la personne de Sandra Lonardo, femme du Garde des Sceaux et présidente du Conseil régional de Campanie, lors d'une enquête sur des questions de passe-droits, de nominations politiques et d'appels d'offres truqués, que M. Mastella a écrit un « J'accuse » affligé destiné à la magistrature, avant de présenter sa démission. Il déclare à cette occasion : « Entre l'amour pour ma famille et le pouvoir, je choisis ma famille » et fait ensuite tomber le gouvernement Prodi en janvier 2008.
Berlusconi utilise la RAI à des fins politiques
Le leader de l'opposition de l'époque, Silvio Berlusconi, s'est lui aussi trouvé pris dans la tourmente des écoutes téléphoniques. En décembre 2007, l'hebdomadaire Espresso avait publié de longs extraits de ses conversations avec Agostino Saccà, directeur de RAI fiction (télévision nationale italienne), interceptées par le parquet de Naples dans le cadre d'une enquête en rapport avec la corruption. Lors de ces conversations téléphoniques, Silvio Berlusconi révélait clairement que la RAI était un jouet utilisé à des fins politiques, c'est-à-dire pour y placer ses « actrices favorites » et gagner des votes à coups de recommandations et de passe-droits. Le tollé qui s'en est suivi correspond à la levée de boucliers des politiciens, du post-communiste Fausto Bertinotti, président de la Chambre des députés, qui affirme « qu'il n'y a pas d'effet positif ou négatif relatif à la publication des écoutes, seulement un effet négatif », aux réactions de Silvio Berlusconi, qui déclare : « Dans certaines situations, on arrive seulement à travailler à la RAI si l'on se prostitue ou si l'on est de gauche. »
Aujourd'hui, réélu premier ministre pour la troisième fois, l'une des premières décisions prises par Silvio Berlusconi a été de limiter les écoutes et d'interdire leur publication, ainsi que celle des actes d'enquête. C'est le projet de loi qui vient d'être formalisé par Alfano, le Garde des Sceaux. Directeur de l'association Articolo 21 (« article 21 » en français), Giorgio Santelli nous explique que sa probable approbation « signera l'arrêt de mort de la chronique judiciaire ». En voici un exemple : dans le cas d'enquêtes pour banqueroute frauduleuse, on pourrait plutôt parler seulement, par exemple, « d'arrestations qui sembleraient se référer à des événements liés au monde de la finance », un point c'est tout. Si c'était le cas, de nombreux scandales, escroqueries et machinations de cette dernière décennie n'auraient probablement pas encore fait surface.
Translated from La lunga marcia delle intercettazioni telefoniche