Wael Nawara: «En Egypte, on déteste Moubarak»
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Laura BrignonIl est passé du pétrole à la politique. A 49 ans, le voilà à la tête de l’opposition égyptienne. Voile, corruption, réformes politiques : rencontre avec le numéro deux du parti « Demain ».
L'Egypte est un pays riche mais il a été pillé par la corruption du Parti national démocratique de Moubarak »
Appelez-ça bonne une « bonne conscience » si vous le voulez. Quand je voyage dans des pays magnifiques mais intolérants, je ne peux pas m’empêcher de gratter là où ça fait mal. Pas d'exception à la règle en Egypte où, durant une douce nuit cairote de fin avril 2009, j'ai rencontré Wael Nawara, numéro deux de Demain, principale force d'opposition au régime de Hosni Moubarak. Nous atterrissons à l'aéroport du Caire à 22 h. Rendez-vous fixé à 23 h avec le dissident Nawara. Cadence soutenue prévue pour l'interview, le vol de retour est fixé quelques heures après. Mais notre taxi se fait vite avaler dans la circulation délirante du Caire. Klaxon, tapage, lumières... Nous arrivons à 11 h 30 dans une zone résidentielle du Caire.
25 membres de l’opposition en prison
Nawara m'ouvre la porte de son appartement : 49 ans, expert en marketing et politicien à ses heures perdues, c'est l'adjoint d'Ayman Noor, arrivé second aux élections présidentielles de 2005. Après une carrière de globe-trotter dans le secteur pétrolier, Nawara a éprouvé la nécessité de rentrer au pays pour changer les choses. « En 2002, j'ai commencé à penser à la création d'un parti. J'étais convaincu que des réformes économiques étaient nécessaires pour relancer le pays. Mais je me suis rendu compte qu'on ne pouvait pas tout résoudre avec l'économie. Des réformes politiques s'imposaient. » Puis advient sa rencontre avec Noor en 2003 et la fondation du parti. « C'est moi qui ai orienté la campagne d'Ayman », raconte Nawara.
Leur slogan ? « Hope for change, Obama nous a copié », plaisante (pas tellement) Nawara qui liste les « thèmes inédits » du parti de Demain : « Fracture numérique, abattements fiscaux pour les petites entreprises, réformes politiques ». « La participation de l'Etat n'atteignait même pas 100 000 euros et nous avons eu 540 000 votes selon les estimations officielles et 1,7 million selon nos sources. » « Après les élections, Ayman Noor a été arrêté par le régime. J'ai été le voir souvent et je dois dire qu'il n'a pas été victime de mauvais traitements. Puis il y a eu le mouvement des Jeunes du 6 avril et ils ont arrêté au moins 25 des nôtres. Aujourd'hui, une centaine est encore en prison pour des raisons politiques. » Et en novembre 2008, « des criminels à la solde du régime », ont brûlé le siège du parti.
La théorie de l'Etat parallèle
« L'Egypte est un pays riche mais il a été pillé par la corruption du Parti national démocratique de Moubarak, que désormais les gens détestent. » A cela s'ajoutent les problèmes liés au fondamentalisme islamique. « Ma mère ne portait pas le voile. A son époque, moins d'un tiers des femmes le portait. Aujourd'hui, au contraire, 80 % des femmes sont voilées, mais je dois dire que depuis quelques années, je sens une inversion de la tendance. Le 11 septembre et les attentats de Louxor en 1997 ont épouvanté les Egyptiens qui sont un peuple pacifique. » Selon Nawara, l'Egypte n'a pas besoin de « laïcité, un mot que nous utilisions auparavant à tort », mais d'une saine séparation entre l'Etat et l'islam, qui respecte toutefois la religion car celle-ci fait partie intégrante de la culture du pays.
«Si nous ne rétablissons pas la confiance dans les valeurs libérales, le Moyen-Orient tombera entre les mains des fondamentalistes »
Quel est le plus grand problème en Egypte : Moubarak ou les Frères Musulmans, principale organisation islamique radicale du pays ? « Ce sont les deux revers de la même médaille, répond Nawara d'un ton amusé. C'est comme pour Tom et Jerry, la peur de l'un légitime l'existence de l'autre. » A quand le changement ? « Dans les trois années à venir. Le parti de Moubarak a perdu sa légitimité à cause de la corruption. Mais il n'y aura pas de grande révolution. J'imagine plus une table des négociations à laquelle l'opposition saura gagner sa place. En Egypte, il existe ce que j'appellerais la théorie de l'Etat parallèle. Le niveau d'instruction est extrêmement bas. Nombre d'Egyptiens envoient leurs enfants prendre des cours dans des écoles privées. La presse officielle n'est pas libre. Les blogs se mettent à proliférer et à présent, on assiste à un engouement pour Facebook. Mais aujourd'hui, il nous faut un autre président. Moubarak ne peut pas penser sérieusement transmettre le pouvoir à son fils, comme dans une monarchie héréditaire. »
Son propre allié
Pour favoriser le changement, le soutien international sera nécessaire. Qui est l'allié principal des libéraux égyptiens ? Les Etats-Unis ou l'Europe ? « Ni l'un ni l'autre. Le peuple égyptien est l'allié principal, répond Nawara avec aplomb. Bien sûr que le soutien international est important dans un monde global, mais par exemple, nous ne recevons aucun financement étranger. Ce que nous essayons d'expliquer aux Etats-Unis, c'est que si nous ne rétablissons pas la confiance dans les valeurs libérales, le Moyen-Orient tombera entre les mains des fondamentalistes, du Maroc au Pakistan. »
Le temps a passé, l'avion m'attend. Nawara m'accompagne à l'aéroport dans sa belle berline, à travers des rues désormais très calmes. Nous arrivons à une heure. Du moins, c'est ce que je croyais. Car aux contrôles de sécurité, on m'explique que l'Egypte vient tout juste de passer à l'heure d'été, avançant les aiguilles d'une heure. « Monsieur, vous avez raté l'avion ». Au moins, j'ai ma conscience en paix.
Merci à France Dutertre pour son aide.
Translated from Io, dissidente d’Egitto, Mubarak e Tom & Jerry