Vendre la Serbie, le pire cauchemar des relations publiques
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Jimmy DevemyEn Serbie, on trouve des immeubles bombardés, les habitants les plus accueillants au monde, un festival de musique qui cartonne mais aussi de grands mystères, comme le chef militaire serbo-bosniaque Radovan Karadzic. Ce pays des Balkans est-il peuplé d’habitants las des théories du complot juste prêts à faire la fête ? Comment vendriez-vous cela ?
Quand Liu Xiaobo a reçu le prix Nobel en 2010, les dictateurs habituels manquaient à l’appel : Vénézuela, Corée du Nord, Chine, Cuba... et la Serbie. Le soutien de la Chine quand le Kosovo a proclamé son indépendance à ses dépends en 2007 fut la raison avancée à cette absence. Mais dans sa course pour rejoindre l’UE, la Serbie ne devrait-elle pas faire plus attention aux pays aux côtés desquels elle choisit de se positionner ? Dans notre monde dominé par le marketing, avec sa réputation déjà controversée, la marque « Serbie » en a pris un sacré coup.
Marque « Serbie » et génocide
Faire d'un lieu une marque dans l’ex-Yougoslavie fragmentée s’est avéré plus aisé lorsqu’il possédait une plage. Des marques puissantes induisent une prospérité économique, ceci s’appliquant aussi bien aux cigarettes qu’à la lessive mais aussi aux lieux. Les forces de la marque Serbie sont « les associations émotionnelles et fonctionnelles attribuées à une marque par ses clients et ses prospects », dont font malheureusement partie « génocide » et « nettoyage ethnique », d’après un spécialiste des marques nationales, Simon Anholt. Des pays dépensent des millions pour des experts en relations publiques afin de remettre en valeur leur image, dans le but d’attirer touristes et investisseurs. « Que ce soit juste ou injuste, la Serbie représente l’un des plus grands challenges pour n’importe quel expert en marque », déclare Philippe Mihailovich, directeur des modules management de marque à l’école parisienne ESLSCA. Une « marque pays » se développe de différentes manières. L’Irlande s’est positionnée sur la scène internationale comme « l’Irlande, le centre des nouvelles technologies » en quelques années. Paris est une marque qui a grandi au fil d’années de croissance et de développement culturel. Cette marque est aussi très lucrative, et quelque soit le produit qui y lie le mot Paris (pensez à l’Oréal), il convoie des notions d’élégance et de raffinement.
Mais on trouve également des lieux aux marques véhiculant des images négatives, comme Belfast, la Serbie ou encore jusqu’à peu l’Afrique du Sud. Contrairement aux produits, les lieux ne peuvent être abandonnés (mais peuvent-être renommés, souvenez-vous de la Rhodésie). L’Afrique du Sud, déclare Mihailovich dans son article « Kinship branding : A concept of holism and evolution for the nation brand », a réalisé un grand travail de reconversion et semble de plus en plus être appréciée. La combinaison savante d’une fin de régime, d’un fort mouvement d’unité avec bien sûr la personnalité de Nelson Mandela. Bien évidemment, la Serbie et l’Afrique du Sud se sont vues attribuées leur mauvaise réputation pour des raisons bien différentes. Mais repositionner une marque pays nécessite une réelle unité au sein de la population et un sens de la fierté. La Serbie est fière, mais elle n’est pas connue pour son consensus.
Un autre Tito ?
A Belgrade, vous réalisez rapidement que les Serbes sont difficilement du même avis, quelque soit le sujet. Au cours d'une soirée froide square Republik, dans l’un des plus rupins et enfumés kafanas, entre les bouteilles de bière Jelana et les assiettes de sarma, des blogueurs et experts en relation publique ou en communication nous affirment que l’incapacité à se mettre d'accord mènera le pays à la ruine. « Quand vous avez deux Serbes autour d’une table, vous obtenez trois opinions », devise Miloje Sekulic, un consultant en marketing. « Nous avons aujourd’hui un gouvernement tellement divisé que, si vous jetez un œil aux journaux quotidiens, d’un ministre à l’autre vous n’avez pas la même déclaration sur le même sujet », ajoute Miodrag Kostic, directeur d’une entreprise en relation publique de Belgrade. La Serbie est à la recherche de la démocratie mais seulement jusqu’à un certain seuil, déclare Danica Radisic, une consultante. « Malheureusement, nous avons besoin d’un leader pour prendre le dessus et une décision pour tout le monde. Nous avons besoin d’un dictateur. » Tout le monde hoche la tête en signe d’acquiescement. La Serbie est-elle plus éloignée de Bruxelles qu’il n'y paraît ? Un autre Tito pourrait faire avancer les choses, comme le dit Danica, mais aurait du mal à faire entrer la Serbie dans l’UE.
« Il est difficile de penser marque quand vous avez un million de chômeurs », poursuit Miloje. Nous avons le salaire le plus bas des Balkans (300 euros soit 253 livres par mois). » La plupart des Serbes se moquent de leur image à l’international ou de rejoindre l’UE dans des temps si dur économiquement. 55 000 personnes se sont réunies à Belgrade le 27 février pour défiler et exiger des élections anticipées. Mais, comme l’affirme Miodrag, la Serbie ne devrait peut-être pas attendre d'être un pays prospère avant d’écrire son histoire. « La Turquie et l'Égypte ont des économies en difficulté mais aussi de très belles histoires qui attirent les touristes. Ils n’ont pas attendu de relancer leur économie pour ensuite faire venir les touristes, ils ont d’abord raconté leurs histoires. »
Pour faire comprendre à quel point les atouts de la Serbie sont ignorés, Predrag Milicevic, blogueur belgradois qui a créé le site de voyages Enter Serbia, parle en métaphore : « Vous voyez votre ami avec son fils, qui a de grandes oreilles mais de jolis yeux bleus. Dites que ce garçon a de grandes oreilles et tout le monde pensera qu'il est moche. Mais dites qu’il a de grandes oreilles et les plus beaux yeux que vous n'ayez jamais vus, et tout le monde saura qu’il a de beaux yeux. C’est à vous de choisir quelle est la vérité ». Nous pouvons choisir de parler des splendides yeux bleus de la Serbie (la nourriture, la gentillesse et l'air pur) et ainsi espérer détourner les regards de ses grandes oreilles (crime, trafiquants d’armes, Srebrenica…).
Belgrade, la fête plus que l'amour
Certains voisins de la Serbie ont choisis des approches banales pour se dissocier des réalités si peu glamour comme les tensions ethniques régionales. Si le contraire de la guerre est l’amour, la Bosnie est « le pays en forme de cœur » tandis que l’Albanie se vend comme « le nouvel amour méditerranéen ». En Slovénie, le slogan touristique est « I Feel S'Love'nia ». Les Serbes sont pour l’instant restés loin du ramdam de l’amour. A la place, ils ont développé l'image d’un lieu où on fait la fête, comme l’atteste le nombre de Slovènes s’y déplaçant pour le nouvel an à la mi-janvier. Le festival « July Exit » à Novi Sad a son quota de Britanniques éméchés, vomissant, se battant et entretenant l’image distinguée du Royaume-Uni à l’étranger. Mais l’image de lieu festif n’est pas celle que tous les Serbes perçoivent comme faisant le mieux justice à la richesse historique de leur pays et à son héritage culturel. Un agent serbe de voyage en ligne demande aux visiteurs du site de « jeter un œil à votre vieux voisin », suggérant que le passé de la Serbie vaut le coup d’être exploré. Les habitants de Belgrade sont les plus susceptibles de citer l'histoire comme l’attraction numéro un de la Serbie.
Mais louer les vertus de l’histoire serbe peut représenter un risque. N’importe quelle campagne visant à restaurer sa réputation en se basant sur sa glorieuse histoire pourrait être vue comme un retour au nationalisme, de la propagande plutôt que de la promotion. Les fêtes et l’histoire (ancienne) pourraient tout de même réussir à nous faire aimer la Serbie. Quoique signifie la marque « Serbie » à l'extérieur, la plupart des Serbes s’accorderaient à dire que leur pays est à la croisée des chemins entre l’Est et l’Ouest. Ce n’est pas Venise, mais c’est un bon début.
Cet article fait partie d’Orient Express Reporter 2010-2011, la série de reportages réalisés par cafebabel.com dans les Balkans. Pour en savoir plus sur Orient Express Reporter.
Photos: Une : (cc) darkwood67/ Ioannis Kontomitros; Tito dans Life magazine (cc) LimbicJonathan Davis; festival Exit : (cc) EXIT Festival; toutes les photos sont publiées avec la courtoisie de flickr
Translated from Selling Serbia, a PR nightmare