Une jeune activiste en Irak
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Camille BaissatA quoi ressemble la vie d’une activiste en Irak ? Cafébabel discute avec N. une jeune femme courageuse qui se bat pour son pays.
N. est une activiste de 24 ans qui travaille pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) en Irak. Auparavant, elle était journaliste et planchait sur des sujets comme le trafic humain et les attaques terroristes dont elle était témoin. Elle a également réalisé des recherches sur les crimes d’honneur en Irak (le meurtre d’une femme par un de ses parents, dans le but de rétablir l’honneur familial bafoué).
N. est née dans le sud de l’Irak, dans une famille bien éduquée. Elle a gagné plusieurs awards nationaux pour son travail en tant que journaliste et activiste. Alors qu’elle avait seulement 18 ans, N. est devenue activiste en raison des problèmes quotidiens auxquels sont confrontées les femmes irakiennes et la société en général, difficultés qu’elle a connu personnellement. Selon elle, il y a beaucoup de femmes qui sont socialement actives et non-conformistes en Irak. Elle sent qu’elle appartient, elle aussi à ce groupe. Régulièrement sollicitée pour des workshops ou des conférences, elle est passionnée par les voyages. Telle une jeune femme moderne, N. adore les vêtements colorés, les hijabs ainsi que les hauts talons qui lui valent parfois quelques insultes dans la rue. N. a demandé à rester anonyme en raison des opinions qu’elle exprime ici.
N. nous raconte
C’est difficile de décrire ce qui se passe actuellement en Irak. Si certaines journées sont calmes à Bagdad, cela veut souvent dire que de grosses explosions sont à venir. Des gens trouvent la mort chaque jour...
Quand je sors de chez moi, je me dis que je vais peut-être tomber sur une bombe, sur un terroriste. Et il n’y a aucune garantie que cela n’arrive pas. J’ai le sentiment que tout le monde, y compris le gouvernement, s’en fiche.
Ainsi, vous demandez à une jeune femme si elle devrait être optimiste face à l’avenir. Je garde espoir, car sans cela, je mourrai. Après chaque explosion, j’ai souvent le sentiment que rien n’a de sens et que rien ne changera jamais. Mais à l’intérieur de moi, quelque chose me pousse à avoir envie de m’amuser, de sourire, d’aller au travail.
La guerre affecte les Irakiens – ils n’ont pas uniquement perdu des personnes qu’ils aimaient, ils ont aussi changé leur attitude envers la vie. J’ai l’impression que les gens étaient plus gentils auparavant.
Je travaille régulièrement pour le UNHCR. Je m’occupe du registre des réfugiés au sein de l’agence et je parle souvent avec eux. Je n’ai pas la garantie d’être en sécurité à ce poste, mais le bon côté des choses, c’est ce que c’est en train de changer ma vie d’une façon positive.
Une fois, alors que je voyageais dans un bus, je me suis retrouvée au beau milieu d’une tentative d’attentat. J’étais assise derrière le terroriste, qui heureusement n’a pas pu activer sa bombe. L’armée s’est occupée de la situation et a fait du bon boulot. Ce cas de figure m’a donné espoir : l’armée prête attention à ce qui est en train de se passer.
Mon père est ingénieur et ma mère a fait des études d’électronique. Ils se sont rencontrés en 1988 et mon père est tombé amoureux au premier regard. Ils sont une grande source d’inspiration pour moi. C’est toujours douloureux pour moi de me souvenir du jour où un terroriste a tiré sur ma mère. Les terroristes s’en prennent souvent à des personnes éduquées en Irak, ils tuent des médecins, des ingénieurs, des professeurs. Un jour, en 2007, des terroristes ont pénétré notre maison. Un d’eux voulait tuer mon père et j’étais sur le point de le stopper quand il a décidé de tirer sur moi. Ma mère a tenté de me protéger. Elle s’est hissée devant moi et a reçu la balle. Elle souffre encore de ses blessures.
Comment les jours passent
Et bien, je me réveille à 5h30 tout les matins. Je prie et je me prépare à aller au travail avec le sourire. Mon travail reste le seul endroit où je peux passer un bon moment et sourire. En réalité c’est le seul endroit où je peux vraiment aller. Autrement, il n’y a pas d’endroits pour s’amuser, surtout en raison du harcèlement dont nous les femmes sommes victimes dans la rue. Parfois, les hommes lâchent seulement quelques mots ou nous jettent leur numéro de téléphone à la figure, mais de temps à autres, cela nous blesse. Pourquoi font-ils ça ? En réalité, je ne comprends les hommes en Irak. En harcelant les femmes, ils compensent pour quelque chose d’autre. Et quand on leur dit de ne pas le faire, ils répliquent « Regarde-la, regarde comment elle est habillée ! » ou bien « C’est à cause de ses vêtements ! ». Ils rejettent la faute sur les femmes.
Les weekends, je fais du sport et bien entendu, j’en fais à la maison. On ne peut pas en faire dans les parcs, c’est impossible en raison de l’Irak traditionnel qui freine la liberté des femmes. Cependant, il y a beaucoup de cours de gym pour les femmes, mais ce n’est pas pratique car les horaires proposés ne s’accordent pas bien avec le temps de travail. Et en général, ce n’est pas sécurisé. Mais qu’est-ce-que je peux faire ? Je ne peux pas me cacher à la maison. Pourquoi la police ne fait rien ? L’armée n’a pas la capacité de protéger les gens. Malgré tout, c’est ici où je suis née et où j’ai grandi, c’est pourquoi il est dur pour moi de partir.
Porter un voile et de hauts talons
J’enfile des vêtements plus longs dans certains quartiers de Bagdad, mais comme que je porte le voile, je ne considère pas que marcher là-bas soit un grand défi. Peut-être que je dis ça puisque j’avais l’habitude d’être dans cette situation. De toutes les façons, vous devez apprendre à vous battre seule et ça n’est pas facile. Et parfois, il me faut cacher ce que je pense. Autrement, cela me causerait des soucis, bien que les gens à qui je m’adresse soient bien éduqués.
Tu peux noter que mes robes préférées sont faites en Allemagne. C’est super de pouvoir changer le style de mon voile tous les jours, comme ça on ne s’ennuie pas et on peut rester dans le coup, tout en portant le voile. Je regarde des émissions de mode et surfe sur le net pour être au point au sujet des nouvelles tendances. Je choisis les habits qui me vont le mieux. Cela est primordial car je dois couvrir mon corps, à l’exception de mon visage et de mes mains. Comment les gens vous acceptent ? Cela dépend du quartier où vous vivez et où vous travaillez. Les gens parlent beaucoup, et cela représente beaucoup de pression. Et puis il y a le harcèlement.
Translated from High Hopes and High Heels in Iraq