Une "ambassadrice officieuse" au sein de l'Union européenne
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Camille BaissatAlors que l’Union européenne et la Russie se retrouvent bloquées dans la spirale de la crise ukrainienne, cafébabel s’est demandé quel impact cet engrenage pouvait avoir sur la vie de milliers de Russes résidant au sein de l’Union européenne ?
Alexandra Ovchinnikova, 27 ans, est étudiante à l’université Luwig-Maximilians de Munich en économie. Sa première licence, elle l’a réalisé en journalisme international à l’université de Moscou State Institute of International Relations (MGIMO-University) et a travaillé en tant que journaliste depuis ses 18 ans. Avant d’atterrir en Allemagne, Alexandra et une de ses amies de l’université ont conduit une ONG destinée à venir en aide aux orphelins ainsi qu’aux personnes âgées à Moscou. Cela fait trois ans et demi qu’Alexandra se trouve à Munich. Elle parle le russe, l’anglais, l’allemand, l’italien et étudie l’arabe. Alexandra s’intéresse à l’aide humanitaire ainsi qu’aux problématiques liées au développement.
Cafébabel : Quel est ton point de vue au sujet des difficultés actuelles qui mettent à mal les relations entre la Russie et l’Union européenne ?
Alexandra Ovchinnikova : Pour répondre à la question, il faut déjà savoir de quelles difficultés on parle. Pour moi, elles montrent qu’on a échoué à bâtir un modèle viable régulant les relations entre la Russie et l’Union européenne et qui conviendrait aux deux parties après l’effondrement de l’Union soviétique. En ce sens, je ne parlerai donc pas de difficultés « actuelles » mais plutôt d’un phénomène qui remonte aux années 1990. Pour moi, il est regrettable d’avoir perdu autant de temps. Cependant, le climat actuel me donne également l’espoir de voir s’établir un vrai dialogue qui arrangerait la situation.
CB : Est-ce-que cette situation a eu un impact sur ta vie en Allemagne ?
AO : Ces trois dernières années, je me suis habituée à être officieusement une ambassadrice de mon pays. Mes amis ainsi que les personnes que je rencontre occasionnellement me posent beaucoup de questions sur la Russie et je leur en suis reconnaissante. Tout d’abord parce qu’ils tentent d’aller au-delà des idées préconçues, d’apprendre plus et de récolter des informations venant de sources différentes. Egalement, car leurs questions m’aident à mieux comprendre mon propre pays et à voir ce qui différencient ou rapprochent les Russes des Européens. Je me pose beaucoup de questions en raison de ce qui se passe en Ukraine.
CB : Que retiens-tu de tes conservations avec les citoyens de l’Union européenne quand on aborde le conflit en Ukraine ?
AO : Elles sont variées. Mes amis sont étudiants en relations internationales, donc nous échangeons les nouvelles, les rectifications quant aux informations qui nous sont données par les médias. Nous sommes tous d’accord sur le fait que l’actuel climat politique et médiatique ne facilite pas une compréhension mutuelle ainsi que la recherche d’un compromis, que ce soit en Ukraine, en Russie ou en Europe. Nous pensons qu’il est temps de trouver une solution au lieu de passer son temps à rejeter la faute sur l’autre. Et puis il y a d’autres angles. Vous connaissez Elizabeth Lotus ? C’est une célèbre psychologue américaine qui s’est spécialisée dans la construction de la mémoire chez l’être humain. En général, les Américains sont très bons sur ce terrain-là. Elle conduit des expériences où elle fournit à des personnes des faits qui n’ont jamais eu lieu. Soudain, les gens commencent à s’en souvenir, à décrire la façon dont ils se sont produits, à ajouter des détails. Je n’arrive plus à me sortir Mme Lotus de ma tête ces jours-ci.
CB : Quel est ton point de vue sur le conflit en Ukraine ?
AO : Il est à l’origine de trop de décès, de trop de tragédies, que ce soit du côté des pro ou des anti-Russes en Ukraine, ou même du côté de personnes qui n’ont aucun lien avec la Russie ou l’Ukraine. Je pense que c’est terrible. Je ressens également de la peur. Quand je lis les posts Facebook de certains hommes politiques ou de témoins et vois qu’ils tentent d’entériner les divisions et de répandre la haine chez les gens, je trouve cela inacceptable. Il est difficile d’imaginer tout ce qui peut être écrit par des humains. Je suis choquée quand je me rends compte que nous perdu autant d’humanité de nos jours. C’était récemment le centenaire du début de la première guerre mondiale – je regrette de dire une chose pareille, mais je n’ai pas l’impression que les erreurs de nos ancêtres nous ont appris quoique ce soit.
CB : Que penses-tu des réactions du côté russe et de l’Union européenne ?
AO : Au niveau humain, nous nous retrouvons. Mon père loge des amis ukrainiens dans notre dacha (maison de campagne) et mes amis allemands aident de leur côté en faisant des dons. Au niveau politique, je pense que la nouvelle concernant les « nouvelles sanctions » ont fait de l’ombre au problème de la souffrance que les gens endurent et à la manière dont nous pouvons résoudre ce problème. C’est curieux mais on entend peu de voix s’élever pour dire que ces sanctions risquent surtout de ravager la vie de la population civile dans le pays ciblé. Pour moi, les sanctions sont à même de détruire la vie de certains de mes compatriotes, des gens ordinaires qui ont leur vie quotidienne ainsi que leurs rêves. Cela me rend furieuse.
CB : Que penses-tu de la couverture que les médias russes et européens font du conflit ?
AO : J’ai été moi-même journaliste pendant des années, c’est pourquoi je ne préfère pas commenter le travail de mes collègues. Cependant, comme je suis de près ce qui ce fait dans la presse russe, européenne, américaine et même arabe, je comprends les difficultés auxquelles le public est confronté. Nous nous trouvons trop souvent face à des interprétations de faits ou d’évènements. Nous nous posons tous la même question : à qui devons-nous faire confiance ? Puisque je suis moi-même journaliste, je prends en considération les opinions de mes collègues, mais je m’intéresse surtout aux sources qu’ils utilisent. A l’heure d’Internet, il est facile de les retrouver. J’ai donc regardé les vidéos des briefs de presse au département des Etats-Unis et avec Barack Obama. J’ai écouté les interviews avec Sergueï Lavrov [ministre russe des affaires étrangères, ndlt] et Vladimir Poutine, celles Angela Merkel et David Cameron font aussi partie de ma liste. Il y a aussi les fuites qui s’avèrent fiables, cela est moins éthique certes, mais pertinent. Et puis bien entendu, il y a l’histoire, l’économie (permettez-moi de mettre en gras) et le bon sens. Ceci étant, je me demanderais : comment résumer l’information que je détiens ? Quel genre article j’écrirais si je devais le faire ?
Translated from Between a Rock and a Hard Place: Being Russian in the European Union