Un show très gay en Serbie
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Philippe-Alexandre SaulnierA Belgrade, tout le monde attend impatiemment le show musical. Pour la communauté gay et lesbienne des Balkans, cet événement représente l’espoir de sortir enfin de la semi-illégalité dans laquelle ils se trouvent.
Durant les récentes élections municipales et législatives, alors que les ultranationalistes et les pro-européens se disputaient avec acharnement mairies et parlement, la ville de Belgrade en profitait pour faire peau neuve afin de montrer aux touristes un visage plus accueillant. A l’approche des festivités, c’est donc avec zèle et célérité que l’on a entrepris de réparer les trottoirs délabrés, rafraîchir les façades sans oublier surtout de nettoyer les murs de la ville de tous les graffitis hostiles à l’Occident.
Dans le très pittoresque quartier de Zemun, les petits marchands et autres revendeurs de produits de première nécessité qui foisonnent autour du grand marché ont, quant à eux, été jugés indésirables. Durant l’Eurovision, fripiers et chalands se voient donc dans l’obligation d’aller gagner leur vie ailleurs. « On ne veut pas de nous ici pendant le concours », déplore Marko au milieu de ses paniers remplis de pots de miel et de produits d’entretien. Mais, qu’ils soient pour ou contre le concours, tous sont pourtant d’accord sur un point : le ménage de printemps de la capitale serbe s’est accompli dans les règles de l’art. Vite fait, bien fait !
Ouverture musicale au monde
C’est à l’Aréna, entre le 20 et le 24 mai que se déroulera le 53ème Concours de l’Eurovision. D’une superficie de 48 000 m2, cette salle omnisports compte parmi l’une des cinq plus grandes d’Europe, offrant une capacité de 20 000 places assises. L’Aréna, véritable fleuron du quartier ultramoderne de Novi Beogradest relié directement à l’autoroute Zagreb-Nis. Qui n’a pas traversé un jour ou l’autre cet endroit autrefois mal famé, connu surtout pour sa bretelle d’autoroute en direction de la Grèce et de la Turquie ? Mais les temps ont changé. Ces dernières années, l’endroit s’est transformé en un prestigieux quartier d’affaires.
Pour un grand nombre de jeunes déjà ouverts sur l’Occident grâce aux livres et aux médias, le concours représente une occasion rêvée de côtoyer des gens du même âge qu’eux et de toutes les nationalités. Jasna, 20 ans, originaire de Jagodina, ville du Sud de la Serbie s’en félicite : « Je me réjouis vraiment que la Serbie s’ouvre enfin au monde car elle n’avait pas pu le faire à cause de la guerre ». La jeune femme qui a commencé des études d’allemand depuis l’automne dernier reconnait pourtant ne pas apprécier particulièrement ces styles de musique. Malgré tout, le fait qu’une telle manifestation se déroule dans son pays la rend fière. En Serbie, on n’a jamais connu ça.
En revanche, Dario, un de ses camarades, ne partage pas la même ferveur : « Bien sûr, c’est chouette de voir par ici les rues pleines de monde, mais j’ai peur que, peu à peu, cela devienne un peu trop pédé à mon goût. L’affichage de ses tendances sexuelles par les homos et les lesbiennes comme on le voit en Allemagne... Ici ça ne passe pas », estime-t-il.
La vieille rengaine homophobe
Boban Stojanovic, 30 ans, connait bien cette rengaine : « J’étais journaliste dans l’Est de la Serbie, mais c’était impossible pour moi d’y travailler plus longtemps, voilà pourquoi je suis revenu à Belgrade. » Depuis l’automne 2000, il milite au sein d’une petite association gay composée de dix personnes, Queeria. En 2001 déjà, cinquante casseurs ont débarqué dans les locaux de l’association dévastant tout sur leur passage et molestant les membres de l’organisation en raison de leur engagement pour la reconnaissance du mariage homo. Les peines prononcées du bout des lèvres contre ces nervis n’ont pas excédées trois mois.
Il existe bien d’autres groupes comme Labris, Gayten, Gay straight alliance ou Transgay, mais ils n’enregistrent guère plus d’adhérents. « Les gens ont tout simplement peur », reconnait Boban qui déplore que des voix fortes parlant au nom des minorités ne se soient pas exprimées plus tôt : « Avec la prise de position de Marija Serifovic, lesbienne d’origine Rom, on pourrait avoir la fausse impression, à l’extérieur, que la Serbie se montre tolérante vis-à-vis de ses minorités. En réalité, elle ne s’est engagée ni pour les uns ni pour les autres. Elle s’est achetée un appartement, une voiture et a pris fait et cause pour les radicaux (nationalistes). »
Forces de sécurité dans la rue
Pour les homos et les Roms, c’est une grande déception. Il y a longtemps que les gays sont pourchassés par le mouvement patriotique Obraz (qui signifie Honneur). « Nous militons pour que Belgrade reste à l’avenir une ville libre et chrétienne », proclame le site Internet du mouvement qui ne supporte pas la « généralisation du mal », par exemple la Gaypride. Et envoie des patrouilles dans les rues pour « les nettoyer ».
De leur côté, le Président Boris Tadic et les organisateurs de l’Eurovision 2008 se sont empressés de garantir une sécurité totale aux hôtes de passage. Sur le terrain, cette volonté se traduit par un accroissement des forces de police comme beaucoup l’auraient souhaité en février dernier au moment des manifestations hostiles devant les ambassades. Reconnaissables à leurs vestes jaunes, cloutées et phosphorescentes, portant des pancartes où le mot « Policija » est visible de loin, les forces de l’ordre vont ainsi arpenter les rues pendant toute la durée du concours. De son côté, Boban recommande autant aux homos qu’aux hétéros, de se dispenser d’agiter le drapeau d’un pays ayant reconnu l’indépendance du Kosovo.
Translated from Schwulenfreundliche Party in einem homophoben Land?