Un jour dans la vie d'un maire
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sébastien fournierLa Carolina, en Andalousie. Ángeles Férriz a 29 ans. Depuis 2007, elle est le maire de cette petite commune espagnole de 15 000 habitants. Cafébabel.com l'a suivi 24 heures dans ses fonctions, au pas de charge.
Dans cette petite cité fondée par des colons allemands et français voilà 250 ans afin de repeupler l'Andalousie, l'histoire politique est inédite. Ramón Palacios, le prédécesseur et rival d'Ángeles Férriz, a 87 ans. Avec une carrière de maire commencée sous Franco et aucune élection jamais perdue, le patriarche s'oppose à la jeune politicienne. 58 ans séparent ces deux personnages. Un saut de génération inédit sur la scène politique européenne.
« Je ne serai pas maire toute ma vie, mais pour l'instant, cette profession est à la fois ce qui me plait le plus et ce qui me complique le plus la vie au quotidien », observe Ángeles, encore en pyjama, à 8 h 30 du matin. Fille aînée d'une mère célibataire, la politicienne vit dans un des quartiers pauvres de La Carolina. Le local, « c'est de la politique à l'état pur », souligne-t-elle. « Dans une ville, on ne peut pas se cacher dans une bulle de cristal isolée des réalités quotidiennes : je reçois chaque jour des gens qui ont besoin de résoudre leurs problèmes sur le champ. »
La vie privée en prend un sacré coup : « Je n'en ai pas, en fait, précise Ángeles en route vers la mairie, je la mélange avec la politique. Même quand je suis avec ma mère qui a été secrétaire de mairie, on se met à parler boulot ! » dit-elle contrariée mais heureuse.
Branle-bas de combat
9 h 05, à la maire de La Carolina. Le bâtiment est en mauvais état et atteste des difficultés financières de la commune, malgré les investissements industriels obtenus par le précédent maire, proche de l'ancien Président conservateur Aznar. « Palacios a eu l'intuition politique de parier sur Aznar à un moment où personne n'attendait plus rien de lui », concède Madame le Maire, militante socialiste depuis seize ans.
Une fois dans son bureau, le rythme de travail du maire en place donne le tournis. Quinze appels téléphoniques, des sollicitations permanentes de la part de ses conseillers, des cartes de voeux sur le point d'être envoyées mais farcies de fautes d'orthographe : « Il faut les faire refaire », ordonne Ángeles, méticuleuse. « Je vais changer la culture politique et esclavagiste de cette ville », annonce-t-elle avec la voix et le self-control d'une dame de fer. Au même moment, elle remonte discrètement les bretelles d'un proche collaborateur qui vient de commettre une grosse bourde.
« Avec une dette de plus de 48 millions d'euros et un budget annuel de 14 millions, il faut beaucoup réfléchir avant de dépenser le moindre centime », précise-t-elle. Son salaire mensuel ? 2 500 euros. L'impression générale de la Municipalité est celle d'une tranchée en bien mauvaise posture. Mais Ángeles garde la barre : elle conseille, décide, complimente, parle, parle, parle… et termine toutes ces rencontres par « deux bises et bon courage ».
L'Europe et ses illusions
A 10 h 15, en salle de réunion. Le maire est très attentive aux explications techniques données par l'équipe d'urbanistes qui planchent sur le premier Plan d'Occupation des Sols (POS). De lui dépend la relance économique de la ville. Une relance qu'Ángeles souhaite baser sur le tourisme et les nouvelles industries. « Une 'Plaza de toros', une arène ou un centre commercial ? », demande un technicien. La petite ville de La Carolina compte 1 700 chômeurs. Le maire veut créer 1 000 emplois en 2008. « C'est compliqué ! Les gens s'imaginent que je suis seule à décider de leurs vies et que je suis en mesure de favoriser une personne plus que l'autre. J'ai justement basé toute ma campagne sur le fait que la mairie ne serait pas une INEM (ANPE, ndt) et que le maire ne ferait pas de favoritisme. »
« Nous avons hérité d'une administration publique gérée comme une exploitation agricole », accuse Ángeles. « Avant les élections, mon prédécesseur a créé beaucoup de postes inutiles pour obtenir le vote des personnes embauchées », poursuit-elle. Conséquence : le vote par courrier a atteint presque 10 % à La Carolina, tandis que la moyenne nationale n'atteint pas les 2 %. Deuxième effet : la mairie manque de personnel qualifié. « Beaucoup d'ouvriers, de concierges et jusqu'à 48 jardiniers, il n'y a aucun comptable, pas d'architecte ni de juriste », s'exclame la licenciée en droit. Enfin, dernière conséquence : aucun cabinet ne gère les précieuses aides européennes. « Nous avons déjà changé une chose : il n'y a plus aucune personnalité politique aux ressources humaines de la mairie. »
Suspense en Europe
« Nous venons juste de constituer un dossier pour les aides européenns grâce à un coup de main de la Chambre de commerce et de la 'diputación provincial' (Conseil général, ndt) », commente Ángeles dans une voiture en route vers la mairie. Après avoir inauguré la première caserne de pompiers de la ville vers midi, puis participé, à 14 h 30, à un déjeuner offert par le PSOE (le Parti Socialiste espagnol, ndt) à la presse régionale, elle rentre à son poste.
La Carolina n'a jamais participé à un programme de développement européen. Aucune aide agricole n'est arrivée jusqu'ici et personne ne connait le programme 'Equal'. Pour Ángeles, il y a dans la politique européenne beaucoup d'illusions et un besoin impérieux « de mélanger à l'expérience, la fraîcheur des jeunes européens ». Le best de l'Union européenne ? « La chute des frontières. L'Allemagne, le Royaume-uni et la France sont les principales sources de revenus touristiques de l'Espagne ».
La conquête du pouvoir
La préparation : En 2003, le parti de la maire en place perd les élections mais prend en charge la vice-présidence de la 'Diputación provincial' : « J'étais responsable du service qui apportait toujours de bonnes nouvelles : les aides européennes, les projets touristiques, les projets pour le développement durable... Je passais tous les jours à la télé ou dans la presse . »
La stratégie : « Le candidat précédent a perdu deux fois et n'a pas voulu faire marche arrière. Mais pour mettre en pratique des idées, il faut obtenir le pouvoir et il ne suffit pas de disserter sur ses échecs aux Assemblées du parti. Il a fallu se rénover. Je me suis proposée pour endosser cette responsabilité à deux conditions : que ce soit les militants qui m'élisent et qu'on me laisse choisir mon équipe de campagne et mon équipe municipale. »
La tactique : « Nous avons réuni les jeunes qui n'aimaient guère s'enfermer au siège du parti, dans les bars ou dans la rue pour qu'ils nous parlent de leurs idées. Les anciens ne servaient pas à grand chose, alors on a créé un comité des sages. Ce sont eux qui connaissaient le mieux les quartiers et les familles, leurs habitudes de vote... Nous avons donné à chacun une tâche en fonction de ses capacités faute de quoi ils se sentaient frustrés. Tout le monde doit se sentir utile. »
Un conseil municipal très jeune
A 19 h 15, réunion du conseil. Huit personnes de sexes différents. L'âge moyen tourne autour de 35 ans. Chaque membre à en charge plusieurs portefeuilles. Seule la moitié d'entre eux ne travaille pas en dehors de sa fonction à la mairie. La responsable de l'économie et de la culture a 30 ans. Elle travaille chaque jour jusqu'à 17 h 00 chez Bosch. Ensuite, elle vient à la mairie faire les comptes.
Aujourd'hui, en 1 heure et 45 minutes, les huit membres du conseil nous offrent un festival de dynamisme et d'efficacité : ils préparent le débat sur le budget de 2008, le réveillon (en Espagne, le réveillon du 31 décembre se fête sur la place principale de chaque ville face à l'horloge de la mairie qui sonne les douze coups de minuit, ndt), la publicité pour le théâtre municipal, le concert du Nouvel an, la procession des Rois (en Espagne, le 5 janvier, les Rois Mages viennent porter des cadeaux aux enfants, ils sortent en procession dans l'après-midi à travers la ville, ndt), la mise en route d'un centre d'apprentissage, les fêtes pour le Carnaval, sans oublier les problèmes d'organisation et de protocole de la maison des associations. A 21 h 00, tout le monde rentre chez soi. Qui dit mieux?
Translated from Mujer, muy joven y alcaldesa