Un futur death-metal pour l’art kosovar
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philippe-alexandre saulnierL’art contemporain, une facette lumineuse du Kosovo, parfois plongé dans le chaos. A l'image des œuvres d’Artan Balaj, un jeune artiste plasticien de 29 ans.
Quelques jours avant la proclamation d’indépendance du Kosovo, l’exposition Exception/Art contemporain de Pristina qui devait avoir lieu à Belgrade a du être annulée, après l’attaque de la galerie Kontekst où elle était programmée, par un commando nationaliste serbe. Suite à cette information officielle publiée par la presse, l’Académie suédoise des Beaux-Arts de Malmö a signé une pétition adressée aux autorités de Belgrade pour montrer son soutien.
Lors de la soirée d’ouverture écourtée par l'attaque, un photographe de Getty Images, la célèbre banque d’images, a saisi la silhouette d’un visiteur marchant devant l’œuvre d’Artan Balaj, l’un des onze artistes kosovars albanais exposant. Un peintre aux nombreux ustensiles, de l’huile à l’acrylique, en passant par les encres, le pastel, les collages, la photographie ou carrément les doigts.
KKK
L’utilisation de ces trois lettres rouges qui renvoient à la tristement célèbre organisation raciste du sud des Etats-Unis sent un peu la provoc. Elles expriment la réalité d’une crise. Une traversée du désert que les artistes contemporains du Kosovo traversent actuellement. Ces trois lettres signifient en albanais « Krijuestit Kontemporante te Kosoves ». Balaj, en détournant le sens du sinistre acronyme, montre ici qu’il est temps de sortir de l’impasse sectaire dans laquelle est enfermée la création kosovare.
« Depuis presque trois décennies, des années 70 jusqu’à l’après-guerre, l’association des artistes plasticiens du Kosovo constitue une sorte de petit clan élitiste renfermé sur lui-même », explique l’artiste au crâne rasé… « Elle était tenue en main par Mehmet Belhudi. C’est un prof et conférencier de l’Académie des Beaux-Arts de Pristina qui a permis aux étudiants de présenter leurs portraits aux expositions de la Galerie Nationale en l’an 2000. A l’époque, cela fit un gros scandale », se souvient l’artiste de 29 ans dont les toiles font référence à Pink Floyd, Typeoneg et Aerosmith, dans leur titre.
« Durant les deux dernières décennies, comparés à la littérature, les arts visuels au Kosovo se sont distingués car ils ont su être avant-gardistes », enchaîne Fahredin Shehu, un auteur, poète et calligraphe de 36 ans, vivant à Pristina. Pour cette raison, Balaj, dont le père était peintre au Théâtre national, a connu un début de célébrité en 2005. Cette année-là, il fut sacré jeune artiste de talent à la Biennale d’art contemporain d’Arad en Roumanie. « Il a pris l’exemple d’un critique d’art local qui jugeait que l’on ne peut pas être un artiste accompli avant l’âge de 40 ou 50 ans, raconte sur son blog la vidéaste américaine Colette Copland, Balaj lui a prouvé qu’il avait tort. L’empreinte agressive que l’on trouve dans ses œuvres fait ressurgir métaphoriquement son expérience douloureuse dans un Kosovo déchiré par la guerre ».
La guerre et les Pink Floyd
Guerre et musique : deux univers qui s’assemblent et résument les influences de Balaj. A 15 ans, Balaj joue dans une formation de death metal, Demogorgon, le diable littéralement. « On ne parlait pas seulement de Satan mais aussi de politique ! », se souvient-il. Les six musiciens donnent des concerts dans une maison privée et au Théâtre Dodona. « Les lieux où nous pouvions jouer étaient vraiment rares. C’était l’époque où les Albanais perdaient leur boulot, voyaient leurs mômes se faire virer des écoles secondaires. Nous devions faire cinq à six kilomètres de marche pour pouvoir étudier. Cela se passait dans des maisons clandestines, c’était illégal. Il fallait éviter de se faire tabasser par la police en s’y rendant. »
Balaj cite le Suisse Hans Giger, qui a travaillé à Alien, comme l'une de ses plus grosses influences (Photo: Nabeelah Shabbir)
Lorsqu’un million de Kosovars fuit le régime de Milosevic pour se réfugier dans des camps en Macédoine, Balaj gagne, lui, fuit en Pologne pour éviter d'être envoyé sur le front en Croatie et se battre au nom de Milosevic. Sa mère, interprète auprès de la KFOR à Pristina, est polonaise. Grâce à elle, Balaj dispose d'un passeport européen. « J’avais 15 ans et je ne voulais pas quitter le Kosovo. J’avais un grand nombre d’amis dans le heavy metal », poursuit l’artiste. Ensuite, Balaj part vivre un 18 mois à Stuttgart. Une expérience difficile qu'il dit difficile pour un Albanais: « Et c’est encore très compliqué aujourd’hui de vivre, même ici au Kosovo », disait-il en novembre dernier, lors d’une rencontre au Traffic Café dans le centre-ville de Pristina. Il y a quelques mois, le Kosovo était encore une province serbe administrée par l’ONU, depuis l’arrivée des forces internationales après la guerre. « Etre un bon artiste ou pas, n’a pas beaucoup d’importance, poursuit Balaj, de toutes façons, les gens qui voudraient acheter mes œuvres ne le peuvent pas. »
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Cliquez en haut à droite pour voir quelques œuvres d’Artan Balaj
« L’inspiration du peintre aujourd’hui, est plus spirituelle, tendance gothique. C’est une expression de la révolte qui l’habite depuis toujours, précise Shehu. Ils ne sont qu’une petite poignée mais ce sont les artistes qui doivent faire bouger les choses, faire sortir le pays de l’inertie des générations passées. » Dans cette époque de transition qui s’ouvre pour le Kosovo, les toiles de Balaj trouvent leur résonnance. Cette nuit historique du 17 février, Balaj était à l’Illiryan, un bar du centre-ville. « Nous attendions le premier ministre Hashim Thaci, venu prononcer les paroles que tout le monde attendait. Ce fut comme un rêve. Personne ne peut décrire ce qu’il a ressenti à ce moment-là. Tout devenait nouveau », décrit-il. « NEW-BORN », comme cette scultpure de Finsk Ismaijli, directeur de l’agence de pub Ogilvy-Kosovo, en lettres de métal jaunes, haute de trois mètres, qui fut inaugurée dans un centre commercial le jour de l’indépendance.
En mai prochain, Artan Balaj exposera à la Biennale de Puglia. Il travaille actuellement à un documentaire sur l’indépendance du Kosovo, avec le réalisateur espagnol Diego Hurtado de Mendoza et produit par la compagnie italienne Fabrice Cinema. « Chaque chose repart maintenant à zéro, il faut donc avancer pas à pas, en posant un pied l’un après l’autre », affirme celui qui dans ses catalogues d’expo salue l’influence des mouvements comme le « heavy metal, punk, alternative, trans et hippies ». Ces parties intégrantes de la culture kosovare actuelle. Pendant ce temps, avec ses mains couvertes de bagues, il farfouille fébrilement dans son petit journal de bord et finit par nous lire une citation de Bill Viola, le pionnier américain de l’art-video : « L’art doit faire partie de la vie quotidienne, il lui suffit d’exister. »
Extrait de Serbie, je t’aime ! : une manifestation devant la galerie Kontekst
Merci à Vera, Paulina Sypniewska et Flora Loshi.
Translated from The future is death metal-inspired art in Kosovo