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Turquie : apaiser les esprits

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La visite sous haute tension de Benoît XVI en Turquie à partir du 28 novembre ne manquera pas de raviver la polémique autour du discours de Ratisbonne qui avait embrasé le monde musulman en septembre dernier.

« Montrez-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau et vous ne trouverez que des choses mauvaises et inhumaines.  » Si l’on peut être surpris devant les réactions provoquées par les propos tenus par la Pape Benoît XVI le 12 septembre dernier à l'Université allemande de Ratisbonne, la plupart des commentateurs n’ont pas réalisé que le débat le plus pertinent concernant les communautés musulmanes est ailleurs.

Si le pape avait eu l’intention d’insulter les musulmans, il aurait choisi un autre contexte et n’aurait certainement pas retiré de tels propos par la suite. Au contraire, il aurait pu prononcer des propos plus durs. Le soutien plausible d’une majorité d’Européens aurait alors légitimé son discours. Les réponses violentes de musulmans dans certains endroits du globe n’ont prouvé qu’une chose : qu’ils étaient d’accord avec l’image contre laquelle ils étaient supposés protester.

Le pape a effectivement sa propre opinion de l’islam et des musulmans qui se base sur 5 points.

L’islam : une réalité extérieure à l’Europe

Selon le Vatican, l’islam est moins une menace qu’une réalité extérieure à l’Europe. Une réalité que l’institution papale a souvent soutenue. Le Pape s’est ainsi opposé à la guerre en Irak, aux caricatures danoises et a apporté son soutien au peuple libanais dans son récent conflit contre Israël. Bien que le souverain pontife partage les craintes d’une partie du monde face à la radicalisation et à la violence de certaines franges de l’islam, il ne semble pas vouloir répondre avec un agenda politique hostile.

Benoît XVI est un traditionaliste qui soutient les réformes édictées par le Concile de Vatican II. Autrement dit, la modernité n’est pas nécessairement bénéfique mais le Saint-Père accepte que l’Eglise se remette en question pour s’engager dans cette vague progressiste. Le Pape voit certainement en l’islam un allié potentiel dans ce courant même s’il ne l’associe pas à l’avenir de la civilisation européenne.

Cette reconnaissance limitée n’est pas non plus sans condition. Benoît VXI entend rester prudent : la possibilité que l’islam soit un allié contre la modernité ne va certainement pas l’inciter à se livrer à une réinterprétation. L’Eglise catholique apparaît de toute manière peu favorable à une « réformation », que ce soit pour elle ou pour l’islam. Mais tout comme l’Eglise a évolué avec le concile de Vatican II dans les années 60, elle pourrait voir d’un bon œil une « réévaluation » interne de l’islam.

L’Eglise catholique a en outre pris conscience qu’au-delà du continent européen, l’islam offrait une alternative sérieuse en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Le catholicisme reste une religion de missionnaires et le fait qu’elle soit sophistiquée ne l’empêche pas -et n’a pas à l’empêcher- de se poser en rival de l’islam en terme de conversions.

Une « croisade » contre l’islam ?

Benoît XVI mène ainsi une croisade différente sur l’Europe et sur l’âme européenne. A ses yeux, le continent est aux prises avec une crise d’identité. Toutes ses interventions, comme ses conversations avec le président du Sénat italien dans « Sans racine : Occident, relativisme, chrétienté et islam », indiquent qu’il s’inquiète du cadre spirituel de l’Europe sans lequel la civilisation européenne ne peut plus exister.

Le discours du Pape à Ratisbonne avait pour but de sauver l’Europe d’une vacuité morale qui la couperait de ses valeurs. Les communautés musulmanes, basées sur des codes moraux absolus, représentent des partenaires privilégiés dans cet effort. Vu dans ce contexte, l’inquiétude du Saint-père quant au relativisme de la morale n’a rien à voir avec l’islam.

Pour autant, les propos du Pape concernent bien la religion musulmane. Dans son discours, Benoît XVI bâtit un raisonnement, implicite de prime abord : l’islam n’a jamais fait totalement partie du passé de la civilisation européenne sauf en tant qu’élément extérieur et hostile. Un statut qui est peu susceptible de changer dans l’avenir. Les musulmans peuvent et doivent vivre en harmonie néanmoins ni leur religion, ni leurs communautés ne sont nées en Europe. Elles ne font pas non plus partie intégrante et positive de l’histoire européenne, qu’elle soit passée ou présente.

Un pavé dans la mare

Et c’est cet élément précis du discours du représentant du Vatican qui provoque des remous, au même titre que les politiques identiques de beaucoup d’Etats européens. L’absence de définition d’un absolu moral dans un cadre multiculturel a conduit beaucoup d’Européens à limiter et circonscrire strictement ce référent dans lequel ils peuvent enraciner leur culture.

Dans ce contexte, la présence des musulmans en Europe est problématique : en tant qu’ingrédient essentiellement étranger, il interrompt la consolidation de l’identité européenne. Nonobstant la vérité historique, le rejet depuis 1400 ans de la composante musulmane dans la construction de la culture et de l’héritage européen est laissée de côté dans ce débat.

Les civilisations ont toujours dû s’équilibrer elles-mêmes pour trouver une stabilité. Benoît XVI le sait parfaitement : après tout, cela reste son argument principal. Mais son argumentation se trouve affaiblie lorsque l’on étudie la manière de parvenir à cette stabilité. Pour l’historien Arnold Toynbee, le développement de toutes civilisations s’effectue à partir de deux éléments : un défi et une « minorité créatrice » qui peut le relever. A la question « Quelle est la minorité créatrice de l’Europe ? », on est loin d’avoir la réponse. Les communautés chrétiennes et musulmanes feraient bien de s’en souvenir.

Translated from Putting out the papal fire