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'Tu es étrangère tu ne peux pas comprendre’

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La plupart des Européens vivant en France ne pourront pas voter lors des élections présidentielles. Si chacun a son opinion, les accents nationalistes de la campagne sont unanimement critiqués.

« Je paie des impôts ici depuis 21 ans, mais ne peux pas voter, c’est complètement absurde ! » Lorsque Richard Sammel parle des élections présidentielles en France, il est au bord de la crise de nerfs. Sammel habite en France depuis les années 80 et ses deux filles vont à l’école dans l’Hexagone. Parce qu’il n’a pas voulu renoncer à la nationalité allemande, il ne peut voter lors des prochaines élections.

Sammel, 46 ans, se décrit comme un « comédien européen ». Natif d’Heidelberg, une petite ville du sud de l’Allemagne, il a toujours vécu là où les opportunités étaient les plus intéressantes. Il a passé 6 ans en Italie, une année en Espagne et une année en Angleterre. Aujourd’hui encore il voyage à travers toute l’Europe pour jouer les rôles de ses films.

Sammel le comédien n’est pourtant que spectateur du théâtre de la course à l’Elysée 2007. Alors que la socialiste Ségolène Royal veut gagner des électeurs avec son slogan ‘La France Présidente’, l’ancien ministre de l’Intérieur et candidat conservateur Nicolas Sarkozy fait parler de lui en exigeant un durcissement de politique d’immigration et de sécurité.

« Il n’y a pas de vrai débat », déplore Sammel. « Il en était autrement lors des élections de 2005 en Allemagne. On se battait au sujet de la réforme libérale Hartz IV sur le marché du travail. Je pouvais tout à fait être contre ou être pour. Mais ici ? Le seul message de Ségolène Royal se limite à dire ‘je suis une femme’. Et les déclarations de Sarkozy sur les problèmes dans les banlieues ne sont qu’une tactique pour gagner des électeurs d’extrême droite ».

Voter avec ses jambes

Selon les chiffres de l’Institut national des statistiques (INSEE), 1,9 million d’Européens vivaient en France en 2004. Ils constituent la majorité des immigrés, devant les Nord-Africains. L’estimation exacte reste toutefois incertaine car les ressortissants de l’Union européenne n’ont, depuis 2004, plus besoin d’autorisation de séjour pour s’installer en France. Il est juste clairement établi que la majorité de ces Européens n’ont pas la nationalité française et à ce titre ne disposent pas du droit de vote aux élections présidentielles.

C’est pourquoi certains n’hésitent pas à « voter avec les jambes ». Comme Sabine, une Belge de 26 ans. En 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen crée la surprise en arrivant au second tour des élections, elle se joint aux nombreuses manifestations contre le leader de l’extrême droite. « Cela a été la seule façon de m’exprimer. Nous les Européens sommes exclus, » dit-elle aujourd’hui. Sabine est née en France. Ses deux parents étant Belges, elle aurait dû à l’âge de 18 ans opter pour la nationalité française. Mais elle n’a pas voulu abandonner la nationalité belge.

Bien qu’elle n’ait pas le droit de vote, la participation du citoyen à la politique reste la principale aspiration de Sabine qui travaille au service de presse d’une mairie de la banlieue parisienne. « La politique de clientélisme qui s’y exerce m’exaspère. La mairesse fait des cadeaux qui à untel, qui à tel groupe d’intérêt, » évoque-t-elle d’un air désabusé. « Cela n’a rien à voir avec la démocratie ».

Sabine pense pourtant que la socialiste Ségolène Royal est différente. Elle a participé à un débat citoyen organisé par la candidate socialiste en marge de la campagne électorale – et a été convaincue. « C’était intéressant et passionnant. Royal est proche de la vraie vie des gens ».

Le drapeau tricolore plutôt que la banière aux douze étoiles

Ces Européens voient naturellement assez mal le fait qu’il soit plus question de l’identité nationale que de l’Europe dans la campagne électorale française. En cas de victoire électorale, Nicolas Sarkozy a d’ores et déjà annoncé la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Royal a pour sa part appelé les Français à placarder un drapeau tricolore sur leur maison. « En Angleterre, en Italie et en Allemagne on parlerait au moins de l’Europe », regrette Sammel. « Ils doivent enfin comprendre qu’ils ne perdraient pas leur identité culturelle en étant Européens ».

« Les Français ont l’air d’avoir vraiment peur en ce moment ». C’est ainsi que Martina Colombier explique le ton nationaliste de la campagne électorale. La quadragénaire autrichienne qui vit en France depuis vingt ans trouve cette joute électorale « navrante. On parle de tout mais rien de concret n’est dit. Une mare trouble, dans laquelle tous nagent et veillent seulement à ne pas sombrer », remarque la professeur d’allemand avec un sourire moqueur. «On hisse le drapeau tricolore et on joue la Marseillaise parce qu’on n'est plus capable de se mettre d’accord sur quoi que ce soit ».

Le renforcement de la politique en matière d’immigration et de sécurité proposé par Sarkozy et Le Pen ne sont des mesures peu populaires parmi les immigrés d'origine européenne. Une aversion qui n’est pourtant pas partagée par tous. Selon une étude menée par l’institut de sondages IFOP, 17 % des électeurs d’origine italienne veulent voter pour Le Pen. En ce qui concerne les immigrants d’origine espagnole et portugaise, la proportion passe respectivement à 11% et 8% pour cent.

Dans les années 60, les habitants de la pauvre Europe du Sud ont afflué en masse vers la France des Trentes Glorieuses, alors en pleine croissance industrielle. Pour eux, comme pour leurs enfants, voter à droite n’est plus tabou. Plusieurs de ces exilés plaident aujourd’hui pour une intervention énergique dans les banlieues et redoutent que d’autres immigrés ne leur disputent leur place au sein de la société française.

 « Une France trop bureaucratique »

« Sarkozy veut exclure ou exploiter la moitié de la société », pense Guy Benfield « Il est comme Thatcher: dangereux et capable de tout ». Cet Anglais âgé de 37 ans habite depuis 8 ans à Paris, où il travaille pour un site web. Il a travaillé aux Pays-Bas et en Italie et dit qu’il se sent plus « Européen que Britannique ». Comme l’ancienne Premier ministre britannique Margaret Thatcher, Sarkozy essaiera de faire passer des réformes libérales en France. « S’il y parvient, le taux de chômage en France augmentera dramatiquement en France comme après les réformes de Thatcher, » prédit le jeune Britannique.

Son compatriote David Spencer, qui travaille à Paris dans le secteur de la publicité, pense autrement. Il est certes de gauche et ne veut pas de Sarkozy comme président mais « ses idées amélioreraient les conditions de la croissance en France ». Le Britannique critique avant tout la réglementation des 35 heures introduite à la fin des années quatre-vingt-dix par le gouvernement de Lionel Jospin. « Comparée à la Grande-Bretagne, la France est beaucoup trop bureaucratique ».

Martina Colombier se dit elle aussi plutôt favorable à des réformes. La critique de la professeur d’allemand s’adresse essentiellement contre la carte scolaire, selon laquelle les parents doivent envoyer leurs enfants à l’école dont dépend leur domicile. « Tout le monde sait que les parents aisés mettent leurs enfants dans des écoles privées ». Elle ajoute : «il serait plus honnête d'affirmer: ‘La France un pays avec des différences’ plutôt que de se mentir en permanence. Les Français croient en leurs idéaux d’égalité et de fraternité. Et quand je leur dis que la réalité est toute autre, ils répondent : ‘Tu es étrangère : tu ne peux pas comprendre’ ».

Translated from „Wir Europäer sind von den Wahlen ausgeschlossen“