Trieste: chut, on dort ! La traque aux noctambules
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Jessica Devergnies-WastraeteDepuis Trieste, première ville italienne en terme de qualité de vie selon le quotidien Il Sole 24 Ore, une babélienne constate qu'à Paris, la fête est finie. Alors que dans sa ville, un comité de voisinage s'acharne à faire fermer tous les lieux nocturnes, qui avaient aussi une vrai fonction sociale, elle décide de témoigner. À Trieste aussi la fête est finie? Témoignage.
Trieste, ville la plus agréable à habiter d’Italie ? Oui, à en croire le classement annuel du quotidien Il Sole 24 Ore. Non, à en croire les citadins du centre de la Vénétie julienne, réunis au sein du comité « Trieste habitable », comité dont le seul message posté sur leur blog remonte à 2008. Et le blog ne mentionne aucunes coordonnées, aucune adresse e-mail, et aucun nom de responsable. À Trieste, ceux qui vivent la nuit savent qui se cache derrière le comité : c’est Marina Della Torre, propriétaire d’une mercerie dans le fascinant quartier de Cavana, derrière la célèbre Piazza Unità. Depuis un an, la commerçante mène une lutte basée sur des accusations tranchantes contre plusieurs associations et lieux nocturnes du centre-ville. Leur faute? Trop de bruit, impossible de dormir.
Le tissu associatif se déchire
Derrière son refus du boucan, le comité « Trieste habitable » met en danger tout le tissu associatif du quartier de Cavana qui, avant l’arrivée des associations Etnoblog et Tetris en 2000, était considéré comme dangereux et malfamé. « L’association culturelle Etnoblog, m’explique son président Paolo Rizzi, est une organisation non lucrative à utilité sociale qui, parmi ses diverses activités, gère Colors, un projet éditorial pour immigrants, émis sur les médias locaux. La coopérative sociale On Stage s’occupe en son sein de l’aménagement de scènes musicales pour le club situé dans le centre -ville jusqu’à l’année dernière, ou pour des scènes extérieures. Etnoblog soutient aussi le projet Overnight, qui inclut un service de bus nocturnes pour les moins de 30 ans, précise Paolo RIzzi. C'est un projet de réinsertion des détenus dans la société. C'est donc tout un petit monde que les citadins de « Trieste habitable » pointaient du doigt comme bruyant lieu nocturne plein de jeunes gais lurons. L’année passée, après plusieurs dénonciations et amendes salées de la préfecture de police, l’association a dû déménager plus loin du centre, sur le bord de mer triestin : « Il y a eu un acharnement de la part de la policeet c’est dommage de ne plus être dans le centre, poursuit Rizzi. Le centre parvenait à sortir de leur ghetto toute une myriade d’individus, du freak au « minet ». Mais nous ne pouvions pas risquer une fermeture définitive et c'est pour cela que nous avons déménagé: fermer aurait impliqué la perte d’emploi pour trop de personnes et de familles ».
Bourgeois vs noctambules
L’autre club « incriminé », c’est le Tetris, qui a reçu une amende de 3000 euros de la préfecture de police l’année passée. Le motif ? Être le lieu nocturne « masqué » d’associations culturelles. « Mais jusqu’à présent, on a jamais pu prouver que cela était vrai, déclare Andrea Rodriguez, directeur artistique de l’association, parmi les fondateurs du club. Cependant, nous n'avons pas eu d’autres problèmes après l’année dernière. Nous, nous continuons à aller de l’avant, à offrir de la musique et du divertissement aux jeunes ». Mais mis à part ces associations, d'autres lieux nocturnes risquent de fermer. « Il y a eu un moment, il y a quelques mois, où un ami et moi pensions sérieusement à un plan bien précis échafaudé par les autorités pour fermer tous les lieux nocturnes de la périphérie et pour dévier la clientèle vers des endroits bien plus chics du centre et ainsi éliminer de la rue les « épaves » humaines, raconte Luca, un ingénieur de 30 ans, à propos du quartier de San Giacomo. Je me réfère en particulier à la fermeture de l'Angelo Blu de l’ancien trapéziste Bruno, et du Famous British Beer à côté de la piazza Sansovino. Même le superbe Caffè Italia qui se situait là-bas a été fermé pour en faire un supermarché ou un parking que nous n’avons pas encore vu, au lieu de préserver cet endroit en tant que café historique. Lorsqu’on y entrait, c’était comme revenir en arrière, dans les années cinquantes ».
Trieste: vivante ou habitable ?
De nombreuses associations se sont réunies au sein d’un comité appelé « Trieste vivante », en opposition à « Trieste habitable », dont le manifeste, cité sur le très suivi groupe sur Facebook, en dit long: « Que disparaissent les vieilles oppositions qui ne sont qu'un prétexte : il n’y a aucun choc « jeunes contre anciens ». C’est une invention créée exprès afin de garder en vie un mode de vie bien précis, celui d'un individu qui s'adapte peu à peu aux logiques commerciales qui prétendent régler chaque aspect de l'existence. Comme si l'urgence de s'exprimer et les impulsions de l’âme étaient des choses qui devaient s'écouler au fil des années pour faire uniquement place à une dimension active de travail dans laquelle on produit et ensuite on se repose. » À Trieste, ceux qui souhaitent éteindre la nuit doivent désormais faire face à une bande de citoyens éclairés bien décidés à la laisser allumée.
Photo: london ally/flickr; Roberto Lisjak
Translated from Trieste, si spengono le luci: tempi duri per i nottambuli