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Transition turque : l'égalité des sexes est-elle une UEtopie?

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Bruxelles

La victoire écrasante du Parti Justice et Développement (AKP) aux élections législatives prouve encore que la question du droit des femmes est, en Turquie, jugée non pertinente, voire parfois complètement déplacée. Dans ce contexte, repenser le rôle de l'UE donnerait un nouvel élan aux anti-Erdogan, qui craignent un volte-face concernant le respect des droits civils et humains en Turquie.

Pinar Tremblay, journaliste pour le Al-Monitor’s Turkey Pulse, a écrit un article sur la sous-représentativité politique des femmes en Turquie. Il y explique qu’en 85 ans, la législation turque n’a pas su combattre les inégalités dans l’arène publique. Le parti de l'AKP en exercice est le seul grand parti dont le nombre de sièges détenus par des femmes a considérablement chuté – 69 candidates sur 550 inscrits sur la liste AKP. Le ton est donné : on est encore loin de la parité en Turquie.

Emine, énigme non résolue

Emine est la femme dans l'ombre de Recep Tayyip Erdogan - président turc, homme fort du régime, et désormais allié de l'Occident à travers les plus de 2,2 millions de réfugiés qu'il a accueillis et qui bénéficient d'une protection temporaire de la Turquie. La première dame est un symbole révélateur du paradoxe turc : elle critique ouvertement le poids limité des femmes dans les prises de décisions politiques, tout en représentant une figure emblématique de l'establishment. Côté pile, l'épouse du président rejoint le W20 (le G20 pour les femmes) et parraine des campagnes de soutien aux candidates pour les élections locales. Elle demeure une actrice incontournable des évènements de l'AKP en faveur de la cause des femmes. Pour ses sympathisants, Emine pourrait paver la voie pour une nouvelle génération de femmes en politique, et pour une nouvelle aile progressiste au sein du parti.

Côté face, de nombreux détracteurs occidentaux, notamment parmi les militants pour les droits des femmes, estiment que ce portrait est extravagant. Sa loyauté au parti, couronnée par ses apparitions controversées portant le voile lors de cérémonies officielles, rendent la première dame bien moins moderne que ses homologues occidentales. Surtout, ce paradoxe décrédibilise sa position de leader d'opinion sur la question de l'égalité des sexes. Les observateurs les plus critiques estiment qu'Emine témoigne de la perte d'influence occidentale et du tournant turc vers un 'conservatisme musulman'. 

Malgré le discours "pro-femmes" de le première dame, la Turquie reste à la traine en termes d'équité politique et de participation citoyenne. Le pays est classé 125 sur 140 selon le Global Gender Gap Index 2014. Le rapport de l'UE sur les politiques pour l'égalité des sexes, publié par la Commission Européenne, révèle ainsi que seulement 28% de la population active turque est féminine. La moyenne européenne s'élève à 63%.

>> Lire aussi : Femmes et politique : les inégalités structurelles de la société turque

Hashtag #WeAreTurningOurBacks

Sous le hashtag provocateur #WeAreTurningOurBacks (on te tourne le dos), des milliers de femmes, et d'hommes, ont réagi sur Twitter aux propos hostiles d'Erdogan lors d'un rassemblement de femmes revendiquant plus de parité dans la politique nationale. Des photos de messages scotchés dans le dos ont alors envahi le réseau social. Le président turc a jugé cette mode lancée par les twittos "offensante, de l'ordre de l'insulte morale".

En dépit des tentatives de censure de Twitter et Youtube, cette dernière campagne illustre à la perfection comment il est possible de confronter le gouvernement aux inégalités des chances dans le secteur privé, les études supérieures et la représentation citoyenne. Le journaliste turc Gulsum Alan considère que "cette campagne encourage les femmes à prendre davantage de place en politique, même si sa cible est limitée à une certaine frange de la société".

De nombreux autres mouvements émergent et font parler d'eux sur les réseaux sociaux. Ils combattent vigoureusement les discriminations basées sur le sexe, ou plus largement toutes les formes de violences - meurtres, pédophilie, harcèlement sexuel. Courant 2015, une forte mobilisation s'est transformée en une âpre protestation contre la mort brutale d'Ozgecan Aslan, une jeune fille de 20 ans. Le viol et meurtre commis par Ahmet Suphi Altindoke, 26 ans, ont abouti à une véritable vague de rage, réaction aux taux alarmants de violence recensés dans le pays.

Cafébabel s'est entretenu avec Aylin, 31 ans, sympathisante du mouvement 'Kara Kalpaklilar', rattaché au parti nationaliste MHP. La mouvance défend ardemment la mémoire du "père des Turcs" Mustafa Kemal Ataturk, et le touranisme associé. Idéal politique, le touranisme défend l'unification de plus de 253 millions de Turcs et de Turkmen sur un territoire qui s'étendrait du Bosphore, en Syrie, jusqu'aux frontières d'Ouzbékistan et du Kirghizstan. 

La séparation de l'Eglise et de l'Etat est un pillier fondamental de l'Etat turc moderne, fondé par Ataturk en 1923. Aylin, qui s'est convertie au christianisme malgré la confession musulmane de ses parents, est préoccupée par les récentes orientations d'Erdogan. En tant que chrétienne pro-européenne, elle pense que "l'islamisation de la Turquie restreint les libertés des femmes". Femme d'affaire, née en Allemagne, la jeune femme estime qu'il est urgent d'engager une plus franche coopération avec l'UE. Ce virage est crucial pour garantir et élargir les libertés des femmes turques modernes, explique-t-elle au volant de sa Citroen DS rouge. 

>> Lire aussi : Femmes et laïcité : les évolutions lentes de la société turque

Le miracle européen?

Au-delà des spéculations autour de l'entrée de la Turquie en Europe, il est clair que la question de l'élargissement de l'UE pourrait servir les intérêts des femmes vis-à-vis de l'application des lois, de la démocratie et des droits fondamentaux. La Turquie comme prétendante à l'appartenance de l'UE va de paire avec des réformes inspirées par l'Occident, comme davantage d'égalité dans la société civile par exemple.

La Constitution turque garantit bien le droit des femmes, mais l'absence de moyens concrets pour faire appliquer la loi n'est un secret pour personne. Il y a maintenant 50 ans que l'UE pousse aux réformes dans les politiques nationales turques et à l'égalité des sexes à travers de nombreuses recommandations. Dans la même veine, le comité sur le droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement Européen (FEMM) a intégré la question de la parité dans tous les domaines des politiques publiques.

Dernièrement, Vera Jourova, Commissaire aux Consommateurs et à l'Egalité des genres, a réaffirmé lors d'une déclaration commune que "combattre toutes les formes de violence contre les filles et les femmes est un pilier fondateur du respect des droits humains et une priorité pour l'Union Européenne, en interne et au-delà de ses frontières".

Translated from Turkey in transition: Is gender equality a EUtopia?