Tragédies : pourquoi donnons-nous des priorités ?
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Gregory BigotEn 2015, nous avons été frappés par des attaques bouleversantes fomentées par l'État Islamique (EI) et ses affiliés. Certaines nous ont profondément impactés, d'autres moins. La dernière a eu lieu à l'Université de Garissa au Kenya au début du mois d'avril. Cependant, la nouvelle a été relayée par la presse presque 24 heures plus tard. Pas avant.
Lorsque les attaques de Charlie Hebdo et du Musée National du Bardo à Tunis sont survenues, l'information nous est parvenue quasi immédiatement. Quelques temps après, environ 150 étudiants ont été massacrés au Kenya. Et là, rien. Ou presque. Nous ne semblons pas nous identifier autant à cet événement. Pourquoi réagissons-nous de manière si différente face à ces tragédies ?
Le 7 janvier 2015 : deux terroristes ont fait irruption dans les locaux de Charlie Hebdo à Paris assassinant 12 personnes, dont la plupart étaient des membres émérites du journal satirique. Peu de temps après l'événement, les médias, via les réseaux sociaux et les chaînes d'informations, sont en pleine effervescence. Des milliers de personnes sont choquées et expriment leur solidarité par tous les moyens de communications existants possibles : les photos de profils « Je suis Charlie », symbole de paix relayé dans à peu près chaque capitale européenne, les chefs politiques s'unissant pour la liberté d'expression (dont 6 présidents africains), etc.
Nous avons été témoins d'un phénomène similaire le 18 mars 2015, mais à une plus petite échelle. Trois terroristes, liés à EI, ont pris d'assaut le Musée National du Bardo en Tunisie, tuant 23 touristes, dont une majorité d'occidentaux.
Le 2 avril 2015 : un groupe de radicaux liés à Al Shabaab exécute 147 étudiants de l'Université de Garissa. Avant le carnage, ils ont bien pris soin de séparer les étudiants musulmans des étudiants chrétiens, enfermant ces derniers dans un espace clos où ils pouvaient facilement être massacrés, puis ont provoqué un bain de sang.
Pourtant, cette tragédie n’a semblé seulement engendré qu’une faible couverture médiatique dans la société et les médias occidentaux. Cette fois, aucun meneur politique international ne s'est mobilisé, aucun rassemblement pour la paix n'a été organisé, comme si il fallait nier l'existence de cette tragédie. Seules les images sanglantes partagées sur les réseaux sociaux, montrant les corps massacrés des étudiants répartis sur le sol d'un des bâtiments de l'Université, font office de mémoire. Imaginez un instant ce qui se serait passé si 150 étudiants avaient été tués dans une université européenne ... Serions-nous aussi contradictoires au point de déshumaniser les tragédies ?
Quelques années auparavant, un article très intéressant, intitulé « La hiérarchie de la mort », expliquait les raisons pour lesquelles nous réagissions plus à certaines tragédies qu'à d'autres. Nous avons décidé d'en isoler deux : la proximité et la qualité de l'information.
1. La proximité
C'est assez simple. Nous avons plutôt tendance à montrer de l'intérêt et à s'identifier à l'information qui nous entoure. Logiquement, quand un événement se passe dans notre pays ou dans un pays voisin, nous avons tendance à accorder plus d'attention que si cela se produit sur des territoires plus éloignés, dans des pays de cultures différentes et des sociétés auxquelles nous ne pouvons nous identifier.
2. La qualité de l'information
Dès qu'un événement se produit dans un pays occidental, les médias déploient rapidement leurs envoyés spéciaux et leurs correspondants pour couvrir l'événement, fournissant un flux illimité d'information. Cependant, dans les pays comme le Kenya, le Nigeria et la Syrie, où le danger est beaucoup plus élevé et les ressources beaucoup plus rares, il est beaucoup plus difficile de couvrir l'événement sur le terrain. Cela n'est bien entendu pas faute d'essayer mais souvent les journalistes sont restreints à un espace clos et sécurisé, recevant seulement des informations filtrées.
La proximité et la qualité de l'information nous influencent certainement modérément, parlant davantage de Charlie Hebdo que de l'Université de Garissa. Mais cela ne devrait en aucun cas être une raison pour donner un ordre de priorité aux tragédies.
Beaucoup ont une image préconçue de l'Afrique comme un continent déchiré par la guerre, coincé entre la faim, la misère et la violence. Beaucoup croient que tout cela est tellement éloigné de notre réalité que cela ne reviendra pas nous hanter, mais le terrorisme est une réalité internationale. En déshumanisant une tragédie du fait de l'origine et/ou de la religion, nous ne faisons qu'honneur à Al Shabaab, EI et Boko Haram. Dans un contexte international, tout et tout le monde est intrinsèquement relié et connecté d'une manière ou d'une autre. Il serait peut-être temps d'arrêter de penser que la personne vivant de l'autre côté du monde n'est pas notre semblable. Il s'agit de problèmes universels, que cela se produise à Paris, en Tunisie ou à Garissa.
Translated from Why do we prioritise some tragedies more than others ?