The Museum of Everything : envers et contre tout
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Cécile Vergnat« The Museum of Everything », c’est le nom d’un ambitieux musée qui voyage à travers toute l’Europe depuis 2009, et permet d’offrir au monde l’opportunité de découvrir une créativité carrément non-conventionnelle.
En accumulant les oeuvres d’illustres inconnus, de créateurs autodidactes, souvent atteints d’un handicap physique ou mental, le directeur des lieux insiste sur son combat contre le fascisme du marché de l’art et l’obsession de coller des étiquettes. Reportage.
« Samedi après-midi, dimanche matin. Nous sommes disponibles quand vous voulez. » Voilà la réponse que j’ai reçu à ma demande d’interview. Une réponse qui reflète parfaitement l’état d’esprit du musée qui propose une époustouflante exposition, presque universelle, comme pourrait d’ailleurs le suggérer son nom, Museum of Everything. Le musée s’est installé le 15 octobre dans les locaux de la Chalet Society, un ancien séminaire de Paris qui a récemment été remis à neuf. L’endroit se tient derrière une joyeuse porte blanche et rose qui étincelle au milieu du boulevard Raspail et laisse place à un bazar d’objets d’art ainsi qu’à une collection extravagante d’artistes en herbe aux vies tourmentées.
Lewis Carroll tourmenté
James Brett, patron et grand marionnettiste du seul musée nomade de toute l’Europe, reçoit assis dans l’accueillant café du musée, lors d’un samedi après-midi pluvieux. Il me regarde avec ses lentilles bleues, puis détourne rapidement les yeux sur son ordinateur pour me dire qu’il me consacrera peu de temps, « parce que la clé de ce musée tu dois la trouver toute seule ». J’insiste un peu et lui demande de me raconter son histoire. « Un signe du destin », me dit James. Tout a débuté avec un certain William Brett, lui aussi illustre inconnu, octogénaire résident à l’île de Wight, qui a recueilli la plupart des objets les plus importants, eux-mêmes accumulés au cours de son existence. « Ayant le même nom », et la même idée de génie, « je me suis senti en devoir d’ouvrir une sorte de filiale londonienne ». Londres a en 2009 été le point de départ de l’aventure du musée ambulant. Son ouverture a attiré plus de 35 000 visiteurs dans un espace d’environ 1000 mètres carrés. Le musée a ensuite traversé l’Italie, la France, la Russie et se prépare à débarquer à Stockholm puis en Australie.
Sous la chaude lumière du bistrot, quelqu’un dessine en croquant dans un muffin et en sirotant un capuccino. James observe la scène derrière son Mac et promet : « lorsque tu sortiras de ce musée tu ne seras plus la même », C’est ainsi que je laisse James et sa concision pour monter les escaliers du musée jusqu’au deuxième étage. C’est ici que débute l’exposition avec les gravures d’Henry Darger - sorte de Lewis Carroll tourmenté - dont les tableaux représentent des dizaines et dizaines de petites filles transsexuelles. Elles sont ses Vivan Girls.
Je rencontre Lazare, 49 ans, hypnotisé par d’inquiétants hommes de fer-blanc : « nous sommes habitués à nous laisser fasciner par la figure des artistes », me dit-il, « mais ils ont la plupart du temps eu des vies effrayantes et ont beaucoup souffert. » Il suffit de jeter un coup d’œil à une alcôve reconstruite dans une petite salle au dernier étage pour s’apercevoir que c’est en fait le refuge de l’âme en peine de Soeur Gertrude Morgan. Sa maison a été emportée par l’ouragan Katrina. Du coup, elle voyage aujourd’hui dans toute l’Europe avec le musée, et propose des écrits et des cadres chargés de diffuser l’éternelle « mission évangélique ». Ces thèmes comme la vision du paradis par une sœur ne semblent pas être si enthousiasmants au premier abord… mais Lazare précise, « dans ce cadre, la pauvreté des matériels, les sujets épineux, les vies difficiles, j’ai l’impression que tout est beau. »
« Il paraît que le coup d’une batte de baseball lui a fait perdre la vue »
Je quitte Lazare et écoute le guide qui se situe devant les effrayants moineaux d’Hawkins Bolden. « Il paraît que le coup d’une batte de baseball lui a fait perdre la vue, et qu’il s’est vengé en perçant ces hommes de fer-blanc, ou il leur a peut-être rendu hommage avec ce que lui avait perdu pour toujours. » A côté de Bolden, on peut découvrir les dessins de James Castle, silencieux - qui ne sait ni lire, ni écrire. Écouter l’« art brut », c’est la seule étiquette à laquelle le musée qui se veut démocratique, fervent opposant de tout fascisme artistique et de toute ségrégation culturelle veut être associé. Les artistes ne restent pas indifférents non plus à l’adjectif d’ « outsider ». Comment le pourraient-ils ? Pourtant, d’après leurs biographies on constate qu’ils exercent des métiers aussi simples que singuliers, comme Felipe Jesus Consalvos, un ouvrier dans une usine de cigares.
« Nous sommes habitués à nous laisser fasciner par la figure des artistes, mais ils ont la plupart du temps eu des vies tourmentées »
« You don’t need to understand to love it » : en plus d’être inscrit au rez-de-chaussée, ce slogan semble être inventé par James. « Il n’y a pas de clé de lecture ou d’interprétation, les œuvres peuvent aussi bien te mettre en rogne ou réussir à déclencher une émotion particulière, ça dépend juste de toi. » souligne-t-il. Une partie de moi reste perplexe face à Possum Trot, la série de poupées dans le désert de Mojave réalisée par Calvin et Ruby Back, ou encore devant l’obsession d’ACM à l’égard des rouages cassés des machines à écrire, recyclées dans un minutieux complexe architectural. Mais ma perplexité laisse rapidement place à la fascination que suscite ce lieu. Une salle qui a quand même flatté la sensibilité de personnalités comme Nick Cave,Maurizio Cattelan et David Byrne. Tous ont prêté leurs stylos et leur âme pour le musée.
Je ne peux m’empêcher de lire le peu de lignes autobiographiques qui accompagnent chaque œuvre. Chaque partie de ce musée est une histoire dans laquelle on peut se plonger. C’est ainsi que je m’arrête pour regarder dans les yeux les marionnettes de toute la famille des bois construite par Morton Bartlett. J’y lis toutes les obsessions d’un homme divorcé et seul, transcrites sur des calendriers en papier de Prophet Royal Robertson. Je m’arrête pour faire la connaissance des 12 personnalités de Kim Noble, une peintre capable de peindre en douze styles différents, et j’essaye de suivre le fil des sculptures de laine de Judith Scott, « la plus belle histoire au monde », selon James. Je retourne au rez-de-chaussée en repensant à ces fragments d’histoires vraiment éloignée de la mienne, mais peut être traversées par les mêmes inquiétudes.
James est encore derrière son ordinateur. Je le salue cordialement, sans lui poser aucune question. Je pense avoir trouvé ma clé. Toute seule.
Photos : © Museum of Everything; Vidéo: DocuChick/YouTube
Translated from The Museum of Everything, outsider dell'arte in Europa