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TEDx Bruxelles : Redéfinir notre approche de la science

Published on

Story by

Evelyn Luz

Translation by:

Cassia Blondelot

Bruxelles

Avez-vous déjà imaginé rencontrer un scientifique qui se sert d’un mixeur pour produire un liquide noir qui nous permettra de boire de la bière dans des bouteilles en plastique ? Santé ! Voici un avant-goût de ce peut donner le transfert de la science dans la vraie vie.

Lundi dernier, pendant la conférence TEDx de Bruxelles intitulée « Le Territoire et la carte », on a pu entendre diverses approches des accomplissements d’hommes et de femmes à travers le monde dans différents domaines : économie, éducation, science et santé.

L’un des conférenciers de l’après-midi, le Professeur Jonathan Coleman, est l’un des plus éminents chercheurs au monde dans le domaine des nanotechnologies et des nanomatériaux. En 2010, il a reçu une subvention de démarrage du CER (Conseil Européen de la Recherche) pour soutenir sa recherche sur les nanomatériaux et leur application à large échelle.

Les recherches du Professeur Coleman ont ouvert la brèche à de nouvelles solutions industrielles en remettant en question le paradigme selon lequel l’investissement scientifique serait nécessairement excessivement coûteux. Coleman est un innovateur né qui parvient à obtenir d’excellents résultats au moyen de solutions extrêmement rentables. Lors de la conférence TEDx de Bruxelles, il a captivé l’audience et donné vie à la science, en produisant du graphène (des couches de carbone épaisses seulement d’un atome qui possèdent des propriétés extraordinaires) en utilisant uniquement de l’eau, du liquide vaisselle et un mixeur domestique.

Cafébabel a pu lui poser quelques questions sur ses découvertes et les applications dudit « matériau magique » qui devraient marquer un jalon pour les solutions industrielles dans un futur proche.

Cafébabel : Comment expliquez-vous votre passion pour la science ? Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir chercheur ?

Dr Coleman : Je suis devenu scientifique tout simplement parce que j’étais bon en sciences. J’étais bon en physique, alors je suis allé étudier la physique à l’université. Et du coup, je ne voulais pas arrêter. Donc je suis resté pour faire un doctorat, et ça me plaisait toujours autant. Je ne voulais toujours pas partir. Alors je suis resté pour faire de la recherche et ça fait 23 ans que je suis à la fac. Tout simplement parce que j’aime ça ! Ça me plait !

Cafébabel : Pourquoi avoir choisi de ne pas créer de profil publique sur les réseaux sociaux ?

Dr Coleman : Eh bien la réponse, c’est que je n’en sais rien. Mais je fais beaucoup de travail de communication, et de travail médiatique, pour m’adresser au grand public, aux enfants, dans les écoles. J’ai fait beaucoup de radio, un peu de télévision, et pas mal de journaux. Donc j’ai pas mal travaillé là-dedans. Je me limiterais à ce type de médias modernes. Ça prend beaucoup de temps, vous voyez, c’est un travail à plein temps. J’ai trois jeunes enfants, alors vous comprenez, c’est impossible d’être à la fois parent, chercheur, et quoi que ce soit d’autre.

Cafébabel : Diriez-vous que le graphène va marquer un jalon pour l’humanité ? Comment voyez-vous l’avenir du graphène ?

Dr Coleman : Je dirais que oui. A l’heure actuelle nous envisageons plusieurs applications au graphène. Il possède des propriétés indéniables. Le graphène est très, très résistant, c’est un très bon conducteur d’électricité, et il est très léger.

Ça signifie qu’il pourrait être utilisé, par exemple, pour fabriquer des plastiques plus résistants, ou des écrans de télévision plus efficaces, ou pour encore d’autres applications. Mais on en est encore aux toutes premières étapes. Actuellement les entreprises tentent de convertir ces applications en produits. Mais on en est au tout, tout début, et ce qu’elles ne savent pas encore, c’est lesquels de ces produits vont marcher les premiers. Ça veut que dans 10 ans, il y aura des produits en graphène, mais on ne sait pas encore quels seront les produits en graphène dans un an.

Et c’est là qu’on en est dans cette grande course aujourd’hui. On essaie de découvrir pour quel produit le graphène serait le plus utile. Et si on peut le produire à suffisamment bas coût pour que ce soit rentable.

Cafébabel : On sait que vous avez mené des recherches et des tests pour améliorer les matériaux plastiques, pour essayer par exemple d’en changer les propriétés. Pensez-vous qu’à l’avenir on aura des bouteilles de bière ou d’eau en graphène ?

Dr Coleman : Vous parlez de bière, c’est exactement ça. Je travaille actuellement avec SAB Miller, qui est le 2è plus grand producteur de bière au monde ; et ce qu’ils voudraient, c’est vendre de la bière dans des bouteilles en plastique.

Si ça les intéresse, c’est parce que le plastique et plus léger que le verre, et donc moins cher que le verre, et s’ils veulent expédier un million de bouteilles de bières par jour, ça demande des quantités astronomiques de pétrole, donc ils voudraient passer au plastique. Le problème, c’est que le gaz contenu dans la bière s’échappe du plastique, et que l’oxygène qui est dans l’air s’infiltre à travers le plastique, et que les deux détruisent le goût de la bière.

Du coup, la bière en bouteille plastique à une durée de vie de deux semaines. Alors ils veulent essayer d’empêcher le gaz de s’échapper du plastique, et nous, notre approche, c’est qu’on met du nitrate de bore dans le plastique. Le nitrate de bore, c’est comme le graphène, sauf que le graphène est noir et que le nitrate de bore est transparent. Donc si on l’introduit dans le plastique, on empêche la fuite du gaz, et en plus, le plastique ressemble toujours à du plastique. Si on introduit du graphène dans le plastique, il devient noir. Donc ça ne les intéresse pas. Ça marche plutôt bien. Ça réduit vraiment la fuite du gaz !

Cafébabel : Pour combien de temps ?

Dr Coleman : La durée de vie de la bouteille augmente probablement d’environ deux semaines à peut-être jusqu’à dix. Même si eux, ils espèrent 26 semaines. On n’en est pas à 26 semaines, mais c’est quand même une belle amélioration.

Mais ce qu’ils ignorent, c’est si on peut faire ça de manière suffisamment rentable pour produire un million de bouteilles en plastique avec la pellicule en nanomatériau. Et ça, on ne le sait pas encore. Donc c’est un bon exemple de situation où on sait que la technologie fonctionne, mais on n’est pas sûrs que ça marche d’un point de vue économique.  Et ça, on n’en sait rien.

Cafébabel : Alors quel est le plus gros défi aujourd’hui pour la production de masse du graphène, à une étape aussi précoce, pour l’industrie dans son ensemble ?

Dr Coleman : Ce qu’on vous a montré aujourd’hui, à TEDx, c’est un processus réduit, on n’utilise pas des mixeurs domestiques. En fait on utilise des grosses machines ; on a réduit ça autant que possible. Alors on a produit ces liquides noirs, en une fournée, on a produit 300 litres.

Et donc c’est le mieux qu’on puisse faire. On a accordé une licence sur cette technologie à une entreprise de chimie, et ils sont en train de construire une usine pour. A terme, l’usine fera la taille de ce bâtiment (le Bozar, nda). Donc ce sera un dispositif de production de masse.

Cafébabel : Combien ça coûte de produire 1 gramme de graphène, par rapport à n’importe quel autre produit de base, l’or par exemple ?

Dr Coleman : Permettez-moi de vous faire une petite comparaison. Avant le graphène, il y avait des nanomatériaux appelés nanotubes de carbone, et on pensait qu’on pourrait tout faire avec et que ce serait génial. Le problème, c’est que du nanotube de carbone de qualité, ça coûte 500€ le gramme. Et c’était simplement trop cher. Là on pense qu’avec cette méthode, le prix du graphène sera bien en dessous de 1$US le gramme. Donc l’avantage du graphène, c’est qu’il a les mêmes possibilités que tous les matériaux géniaux précédents, et même plus ! Et pourtant, il coûtera bien moins cher à produire. C’est pour ça que le graphène cause tant d’enthousiasme aujourd’hui. Avant, le nano, c’était trop cher ; avec le graphène, il y a des chances pour que ce soit suffisamment rentable pour être utilisé à grande échelle.

Cafébabel : Pour finir, qu’auriez-vous à dire aux jeunes générations pour qu’elles se lancent dans les sciences ? Pour les inspirer ?

Dr Coleman :  C’est une question essentielle, parce que s’il n’y a pas de jeunes pour se lancer dans les sciences, il ne peut pas y avoir de futurs scientifiques. Et c’est vraiment, vraiment dommage, parce que beaucoup de jeunes, quand ils arrivent à l’âge de 15, 16, 17 ans, pensent que la science, c’est barbant !

Ou que c’est trop dur, et qu’ils n’y arriveront jamais. Et c’est tout simplement faux. La science, c’est cool : si vous leur posez la question, la plupart des scientifiques vous diront de faire des sciences parce que c’est Super Cool !

On est payés, parfois très bien payés, pour vivre notre passion. Et que demander de plus ? Alors je dirais à tous les jeunes que c’est génial, c’est le plus beau travail au monde !

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Translated from TEDx Brussels: Redefining the way to do science