Syrie : Mukhabarat et mur de silence, ras-le-bol !
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claire debratLes Syriens continuent à tomber sous les balles de la police du régime tyrannique de Bachar el-Assad. Coûte que coûte ils manifestent, et le régime baasiste n'avait jamais été à ce point malmené depuis le soulèvement islamiste de 1982, à Hama. Témoignage de l'intérieur.
En ce moment, moi qui vit en Syrie, je comprends que les autocrates utilisent le vice de la peur pour réduire leurs sujets au silence. Si l'on vit en Occident, on ne peut pas comprendre la nature du mur de la peur, infiltrée partout, qui a intimé le silence pendant des décennies. Je n'avais qu'un an lorsque le mur de Berlin est tombé, point de départ d'une longue vague de démocratisation dans cette partie du monde. Ici, le régime se rappelle constamment à vous. Voitures, murs, fenêtres, devantures de magasins, lampadaires, lunettes de soleil, uniformes militaires, complets, pantalons, cravates, chemises, arborent des photos du Président Bachar el-Assad. Il pose, souriant, sérieux, nous parle ; ses yeux bleus timides, sa figure élancée et sa moustache propre vous regardent et vous rappellent le pouvoir de son État.
Pas facile d'être Bachar
Bachar est bien plus respecté que n'importe quel Kadhafi ou Moubarak. Il vit sans fastes et est apprécié pour être plus progressiste que son prédécesseur. La population honnit en revanche l'omniprésent Mukhabarat (les services de renseignement) et ses informateurs. Ils ne sont jamais bien loin, au travail, au coin de la rue, dans tous les bureaux du gouvernement. La rumeur court depuis longtemps que les barons des renseignements et les militaires alaouites, plus que Bachar, détiendraient le pouvoir, et que ce dernier joue à la console dans son palais, essayant de réformer tandis que les premiers prennent les vraies décisions.
Il semble de plus en plus que le régime diffuse des versions de cette histoire afin de protéger l'image de Bachar. Le régime compte parmi les plus statiques et prudents au monde. Le système politique n'est guère différent de l'Etat impitoyable construit par Hafez, le père de Bachar. Une clique fermée contrôle les principales agences de sécurité, en particulier le beau-frère de Bachar, Assef Shawkat, chef des renseignements militaires. Le « hard power » matériel – prisons, armes et budget – est aux mains de cette élite sunnite installée principalement dans les deux villes majeures du pays, Alep et Damas. Pendant ce temps, l'Etat fait valoir les armes des listes noires, des emprisonnements arbitraires et des disparitions contre ceux et celles qui franchissent les lignes rouges.
Silence radio dans les villes syriennes
« La peur au ventre, les Syriens redécouvrent la satisfaction de dire haut et fort leur colère politique. »
Pour autant, les tentatives d'auto-préservation du régime se sont concentrées principalement sur Alep et Damas. Si l'on y voyait partout soldats, policiers et pouvoirs de l'Etat – tandis que les profits liés à la libéralisation économique et au tourisme augmentaient – les autres villes, dont Homs et Deraa, n'ont pas été l'objet d'autant d'attention. Les Syriens, toujours la peur au ventre, redécouvrent la satisfaction de dire haut et fort leur colère politique, de rejeter les vieux discours de division sectaire et de complots étrangers. Bien au contraire, en chantant par exemple « Wahid, Wahid, Sha'ab Sury Wahid » (« Un, un, le peuple syrien ne fait qu'un »), ils affirment leur union. Le régime répond par le plomb des balles.
Un pays bloqué à l'adolescence
Le contraste avec le discours politique occidental, sans hauteur de vue, est notable. Ici, la sociabilité nous a forcés au silence, de peur d'être entendus par d'autres et de disparaître sans prévenir. Auparavant, nationalisme et crainte ne faisaient qu'un, afin que personne ne fasse connaître publiquement ses sentiments à l'égard du système politique. La pensée rebelle était acceptée par le régime, à condition de rester dans le domaine privé. Dès qu'elle en sortait, cette expression d'individualité était sévèrement et arbitrairement punie. Des milliers de Syriens ont ainsi été enlevés et réduits au silence. Les prisonniers deviennent des otages, ce qui pousse les autres membres de la famille en liberté à se soumettre. Ce silence passé me rappelle l'oppression écrasante de l'insécurité, à l'adolescence. Sauf à se confier à la famille et aux amis proches, dans les moments difficiles, les gens ne pouvaient pas parler de l'origine de leurs problèmes. Mais tout le monde savait qu'ils étaient là, qu'ils nous épiaient de derrière le mur invisible de la peur, pourrissant la Syrie autant que le monde arabe. En Syrie, la barrière de la peur reste encore à finir de briser.
Le nom de l'auteur de cet article, Charles Gronning, a été modifié pour des raisons de sécurité
Photos : Une : (cc) PanARMENIAN_Photo/panarmenian.net/photo/ Un Syrien travail sous le regard d'un portrait de Bachar (cc) CharlesFred ; toutes avec la courtoisie de Flickr
Translated from Unrest in Syria whilst president Bashar plays videogames in his palace