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Strasbourg et les étudiants allemands : « du fromage et David Guetta »

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Emilie Fromont

Société

Entre 2000 et 2008, le nombre d’Allemands étudiant à l’étranger a pratiquement doublé, atteignant les 15%. Le programme Erasmus fait désormais partie intégrante de l’éducation européenne, près de 7% des étudiants européens y participent. Voici les témoignages de certains d’entre eux recueillis dans la célèbre capitale alsacienne « franco-allemande ».

En descendant du train de nuit en provenance de Berlin, j’étais enthousiaste. Après avoir travaillé à Vienne et dans la capitale allemande, je vois les germanophones comme des gens sympa, ouverts. Un sentiment qui pourrait exprimer une tendance britannique. Un sentiment qui n’est pas étranger à la Germanophobie d’après-guerre. L’hostilité s’étant désormais muée en une sorte d’admiration pour nos cousins saxons.

Ville universitaire fantôme ou vraie France ?

C’est bien connu. La France et l’Allemagne se sont longtemps disputées Strasbourg et l’Alsace. Résultat pratique : l’alsacien est un dialecte allemand assez proche de celui parlé en Suisse - dans lequel plane l’influence du français. Légère errance : je frappe en vain aux portes des universités, exerçant le peu de français me restant du lycée. Les examens se sont terminés il y a peu et l'Université de Strasbourg ressemble à une ville fantôme. Les universitaires encore présents sont peu nombreux. Au milieu de la matinée, je rencontre Élise au café Central. Elle incarne le « futur de l’élite européenne », dans un style enfantin. Née à Francfort d'une mère française et d’un père allemand, elle a grandi entre les deux pays parlant ainsi les deux langues. « Je me sens franco-allemande, dit-elle en souriant. C'est comme une nouvelle nationalité, sauf que le pays n’existe pas. Mes parents ne sont pas d'ici, mais des gens comme moi s’y sentent très à l'aise. »

Élise partage sa vie universitaire entre Francfort et Strasbourg avec l’accord des conseillers des deux universités. Pour elle, les institutions de l'Union européenne ont une réelle influence sur les étudiants allemands. Toutefois, ceux qui souhaitent connaître « la vraie France » préfèreront d’autres villes que Strasbourg. Comme s’il y avait certains problèmes lorsqu’on n’étudie pas à Paris. En Allemagne, on note moins de différences entre les universités, et on ne trouve pas d'équivalent à Science-Po. « Là-bas, le lieu d’obtention du diplôme importe peu », dit Élise. Ceci est largement dû au système d'éducation allemand : caduc, élitiste et clivant. Bien qu’elle soit très heureuse de rester en France, son avenir est encore flou et il est possible qu’elle soit amenée à retourner en Allemagne.

Dans son appartement situé dans la Petite-France, situé sur la Grande Ile de Strasbourg, Franziska dit se sentir bien intégrée. L’étudiante en master d’études européennes à Leipzig reconnaît vivre dans une ville touristique où l'afflux d'Allemands l'irrite parfois. Ses colocataires sont français et allemands et Franziska persiste à vouloir utiliser la langue de Molière dès que l’occasion se présente. « C'est plus difficile que je ne le pensais, dit-elle. Mes amis espagnols ont tendance à rester entre eux, il est difficile de leur parler en français. » Lorsqu’elle compare ses deux universités, elle n’hésite pas non plus à dézinguer l’enseignement frenchie : « La structure est moins bonne en France, les cours sont plus souvent magistraux, et il y a moins de travaux de groupe. » Elle trouve également les sites internet moins clairs, comparé à la structure allemande. Même si Franziska se plaît dans la ville, elle n’y trouve pas tout ce qui fait son bonheur : « Une certaine sous-culture me manque. La vie nocturne en Erasmus est agréable au premier abord mais à la longue, cela devient répétitif. Parfois, on a envie d’autre chose que du fromage et David Guetta. » Quoi qu’il en soit et jusqu’ici, Franziska survit. La jeune fille est contente de son expérience à Strasbourg. A tel point qu’elle compte prolonger son stage à ARTE.

Après deux ans passés aux Pays-Bas, les recherches d’André pour son doctorat l'ont amenées à Strasbourg. Il n’étudie le français que depuis trois ans et la barrière de la langue a été difficile à franchir. Aujourd’hui, malgré le fait qu’il donne des conférences, il écrit toujours ses notes en anglais. Natif de Dresde, il trouve la capitale alsacienne beaucoup trop différente. « Le pain noir me manque ! dit-il en riant. Ainsi que d’autres petites choses spécifiques. J'ai beaucoup d'amis que j’aimerais voir plus souvent. Quand vous vivez à l'étranger vous réalisez à quel point votre culture est ancrée en vous. »

L’intégration au-delà des frontières

Les bars semblent plus chers, et les transports s'arrêtent dans la soirée. Laura, une autre étudiante Erasmus est en désaccord avec l’opinion de Franziska sur la facilité d'intégration. « C'est vraiment cher ici », se plaint-elle, alors que la serveuse nous apporte nos boissons dans le charmant Quai des Bateliers. Originaire de Francfort, Laura tient ses distances avec les autres allemands. Elle a emménagé dans un appartement avec un Italien et un Belge et passe son temps libre dans un club d'aviron. Elle reconnaît l'influence allemande à Strasbourg, mais se sent de plus en plus française depuis qu’elle est immergée dans cette culture. Elle a terminé ses examens il y a deux jours, et commence un stage à Kehl.

Kehl est une ville située à 15 minutes en vélo, le long de la frontière. De nombreux étudiants viennent faire leurs courses ici. « Après la guerre, les Français ont délaissé l'enseignement de l’allemand, mais de nos jours être germanophone est un grand avantage, dit Michael dont la femme est directrice d’école à Kehl. Les écoles bilingues sont prises d’assaut et les écoles primaires enseignent les langues à des enfants de plus en plus jeunes. De mon temps ce n’était pas comme ça. » Strasbourg, une ville sur l'Ill, devient une ville du Rhin. L’absence de contrôles aux frontières, la monnaie commune et d’excellents transports, favorisent les échanges. Pourtant, les cicatrices du passé restent présentes pour une minorité. Michael connaît des gens des deux côtés de la frontière qui refusent de la franchir à cause de « toutes sortes de préjugés », il est convaincu que ceux-ci s'éteindront avec l'ancienne génération. Le changement et le compromis sont profondément ancrés à Strasbourg et les habitants y sont habitués.

« Les Français sont mieux habillés » et « prennent plus de temps pour profiter de la vie ». Les Allemands sont plus influencés par « un souci d’efficacité et la structure plus rigide d’une société patriotique ». Dimanche soir je reprends le train pour Berlin, bronzé et enrichi par ces rencontres. « Je ne pense pas qu'il y ait énormément de différences entre les Français et les Allemands, dit André. Il y a de la rébellion partout. Les Français sont peut-être plus enclins à protester. » Strasbourg possède un je ne sais quoi. Elle me rappelle ma ville natale, Cambridge. Toutes deux sont des villes universitaires avec une histoire et une culture riches, mais dans lesquelles il manque sûrement un certain savoir-vivre « urbain ».

Cet article fait partie de Multikulti on the Ground 2011-2012, une série de reportages sur le multiculturalisme réalisée par cafebabel.com en Europe. Un grand merci à la rédaction locale de cafebabel Strasbourg.

Photos : Une (cc) andrius ulk/ Flickr; Texte : campus photo (cc) François Schnell/ Flickr; photo de l'amphi © David Ellis.

Translated from German Erasmus students: missing black bread and subculture in Strasbourg