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« Schengen ne changera pas ma vie »

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CultureSociétéPolitique

Depuis le 21 décembre, les Hongrois font partis de l'espace Schengen. Les frontières disparaissent, la guerre froide s'éloigne. Avec une pointe d'âpreté et de nostalgie.

Les bouchons des bouteilles de champagne ont volés. Un peu partout, au son des fanfares, les feux d'artifice ont explosés dans le ciel hongrois, sans frontière. A Domonkosfalva, sur la ligne géographique séparant la Slovénie et la Hongrie, là où auparavant flottaient deux drapeaux aux couleurs des nations voisines, une statue a été érigée pour célébrer ce jour historique. Le lac Ferto, à cheval entre la Hongrie et l’Autriche, est comme un trésor de nature commun aux différentes nations. Un symbole : pourrons-nous vivre ensemble sans barbelés ni soldats armés ?

Quelques heures avant le 21 décembre régnait encore une atmosphère empreinte de nostalgie. Les habitants achetaient à la hâte des timbres ou attendaient de voir apposer pour la dernière fois un tampon 'souvenir' sur la page d’un passeport. Dans le bus qui s’éloigne à destination des stations de sport d’hiver, les passagers n’auront plus à tuer le temps en comparant leurs nombreuses estampilles nationales.

Adieu Trianon

Encore imprégnés des images du rideau de fer, les Hongrois reconnaissent que l’époque du dirigeant Janos Kadar, à la tête du parti communiste de 1956 à 1988, est bel et bien révolue. Fini le temps où il fallait faire la queue des heures durant au poste frontière. Oubliées aussi les prières, pour ne pas avoir à déballé ses bagages devant tout le monde, sur ordre d'un douanier. Terminée, la hantise de ne pas avoir choisi la bonne file d'attente. Plus de stress, d'attentes interminables. Si les générations précédentes auront toujours l’estomac un peu noué en traversant, certes sans s'arrêter, ce poste-frontière, pour les jeunes, voyager est enfin devenu une chose simple.

« On peut ainsi filer à toute allure et sans s’arrêter, de Sarospatak jusqu’aux rivages de l’Atlantique », se réjouit Anna, 25 ans, étudiante à Budapest mais originaire de Pozsony, un quartier de Bratislava, la capitale slovaque. Le passeport, c'est du passé : Anna a encore du mal à y croire. « C’est un rêve qui se réalise. Pour nous, l’Europe devient enfin palpable », poursuit-elle, enthousiaste.

Avec quelques bémols : les autorités viennoises ont décidé de restreindre provisoirement la libre-circulation dans l'éventualité de débordements hooligans de l’Euro de foot 2008 qui se déroulera en Suisse et en Autriche. Une annonce que les journalistes n'ont pas manqué de critiquer.

La destinée d’un château

Ainsi, les barrières tombent entre la Slovénie, la Slovaquie et l’Autriche. L'élargissement de l'Union européenne et son espace Schengen a l'effet d'un baume apaisant sur les citoyens. La Hongrie devient même l’un des postes frontières le plus avancés de l’Union européenne vers l'Est ! Pourtant, quatre-vingt ans de rideau de fer ne peuvent pas disparaître d’un simple trait de plume.

Pour se rendre de Slovenske Nove Mesto à Satoraljaujhely, cité industrielle sinistrée au nord de la Hongrie, il suffit de traverser la rue. D'un trottoir slovaque à l'autre, situé en terre magyare. « Je ne vais pas arrêter de passer d'un pays à l'autre en vélo, toute la semaine ! » s’exclame joyeusement Sandor Pinter, 8 ans. A ses côtés, son papa alimente des sentiments beaucoup plus mitigés.

Après la signature, en 1920, du Traité de Trianon, le domaine familial des Pinter a été drastiquement restreint. A cette date, la Hongrie laissa 71% de son territoire et 66% de sa population passés en Slovaquie tandis que cette dernière devenait partie intégrante de la Tchécoslovaquie nouvellement créée. Cette décision a provoqué bien des malheurs dans de nombreuses familles. Déchirements et divisions : à la suite de ce partage, une très grande partie de l’aristocratie magyare s'est sentie lésée et a perdu, en réalité, des fortunes importantes.

« Je ne suis jamais revenu dans ce domaine familial depuis lors », déplore amèrement le patriarche de la famille Pinter. « Jusqu’à maintenant, je n’étais pas autorisé à reprendre possession de ma propriété. Désormais, nous avons le feu vert seulement pour passer de l’autre côté sans visa. Et alors ? Cela effacera-t-il tant de souvenirs et de ressentiments familiaux ? Certainement pas ! Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer ce qu’aurait pu être notre vie si nous n’avions pas perdu notre patrimoine », poursuit-t-il amer. « Schengen ne va pas améliorer ma vie. Cela ne me rendra pas mon pays. Je me moque de devoir faire la queue pendant quatre heures pour arriver jusqu’ici comme nous le faisions auparavant. »

D'autres citoyens doivent encore patienter. Les Hongrois de Serbie ou d’Ukraine qui souhaiteraient rendre visite à leur 'mère patrie' devront encore faire une demande de visa pour pénétrer dans l’espace communautaire. Il leur en coûtera dix milles 'forints', à savoir 39 euros. A ce prix-là, de simples retrouvailles familiales ou une réunion d’anciens amis peuvent vite représenter une petite fortune !

Photos: Le pont Mária Valéria sur le Danube(Photo: Ervín Pospíšil, Uherský Brod, Czech republic/ Wikimedia)

Translated from Hungary-Slovakia: 'Schengen won’t make my life better'