Royaume-Uni : « Rendez-moi mon vrai pays »
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Marie Eyquem[OPINION] Le débat sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne a attisé la peur et favorisé la rhétorique anti-immigration de part et d'autre de la nation. Alors que l'expression « I want my country back » (Rendez-moi mon pays, ndlr) résonne en Grande-Bretagne comme jamais auparavant, prenons un peu de recul et réfléchissons à sa signification.
À la veille du référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européeenne, il me semble judicieux de faire une petite pause afin d'examiner de plus près ces dernières semaines qui ont radicalement transformé la politique en Grande-Bretagne.
Si le référendum sur l'indépendance de l'Écosse a suscité l'enthousiasme des personnes concernées en leur apportant un large éventail d'enjeux politiques, l'actuel débat autour du référendum du maintien n'a pas réussi à captiver le public britannique. Le vote désormais imminent a eu pour principal effet de diviser et de nourrir la haine d'une partie de la population, comme seul le nationalisme outrancier sait le faire.
Le racisme est devenu monnaie courante en Grande-Bretagne
L'assassinat de la députée Jo Cox a abasourdi la nation et l'a plongée dans de sombres réflexions sur le climat politique morose, exacerbé par le débat autour du référendum, permettant ainsi aux opinions de l'extrême droite d'alimenter le mépris de certains envers les immigrants et les réfugiés. Quand on lui a demandé son nom lors de la première audience au tribunal, le meurtrier de Jo Cox a répondu par ces mots glaçants : « Mort aux traîtres, liberté à la Grande-Bretagne ».
Le meurtre insensé de Jo Cox a mis en lumière des aspects peu reluisants désormais associés à ce référendum : la peur des étrangers, l'islamophobie et le racisme pur et simple. Cette femme politique brillante et porteuse d'espoir - rare exemple de personnalité politique britannique fidèle à ses principes - a été cruellement arrachée à sa famille et à ses proches à cause de la valeur qu'elle accordait à chaque vie humaine.
Il n'y a pas de mots pour exprimer la tristesse que je ressens depuis la mort de Jo Cox. Ce climat d'hostilité s'est développé au sein du pays à cause de l'alarmisme et de la xénophobie qui sont attisés par une partie de la population. Et il s'est avéré fatal.
Alors que je faisais campagne dans le cadre du mouvement « Britain Stronger In Europe » (la Grande-Bretagne plus forte dans l'Europe, ndlr), j'ai entendu les arguments anti-immigration les plus surprenants qui soient pour justifier le Brexit. Un homme a supposé que j'étais pour le maintien parce que je comptais épouser un Turc. Bah tiens.
Mais voici ce que j'ai le plus entendu des électeurs pro-Brexit ces dernières semaines : « Je veux qu'on me rende mon pays », une expression entendue, récitée et recrachée. J'ai d'abord eu du mal à répondre à cette formule. Que signifie exactement vouloir retrouver son pays ? Que veulent ces gens ? Un pays homogène complètement dépourvu d'immigrants ? Cette représentation est illusoire, surtout dans un pays constitué de nations et de cultures différentes.
Notre foot, notre économie et Sadiq Khan
Le racisme est devenu monnaie courante aujourd'hui en Grande-Bretagne. Des commentaires tels que « il y a trop d'immigrants » sont prononcés d'un ton assuré, sans honte ni remords. J'ai récemment entendu un groupe de supporters de foot anglais déplorer le fait que « plus des deux tiers de l'équipe d'Angleterre sont des étrangers ». Mais comment l'équipe s'en sortirait sans ces stars du football « étrangères » ?
Il est à la fois exaspérant et démoralisant de constater que le débat autour du référendum sur l'Europe s'observe à travers le prisme d'une peur irrationnelle de l'immigration. Toute tentative d'ouverture à une discussion réfléchie est étouffée par la clameur de la rhétorique nationaliste utilisée par les deux camps, qui tentent tant bien que mal de gagner des points en promettant de mettre un frein à la problématique de l'immigration.
La vérité, c'est que la richesse et le prestige de ce pays se sont construits sur le dos d'immigrants. Notre économie, notre culture, même notre cuisine tristement célèbre se sont formées et améliorées au contact des autres, et c'est ainsi que nous sommes devenus cette nation caractérisée par son dynamisme et sa diversité. Le système éducatif et la sécurité sociale s'effondreraient bien vite si tous ces travailleurs étrangers devaient partir demain.
Alors, en réponse à tous ceux qui m'ont dit qu'ils voulaient qu'on leur rende leur pays envahi par les immigrants, je réponds du fond du coeur :
Je veux qu'on me rende mon pays. Un pays fier d'être une terre d'immigration, qui célèbre la diversité ethnique et religieuse. Un pays où l'on peut être chrétien, musulman, hindou ou athée tout en étant incontestablement britannique. Un pays qui brave une campagne électorale jouant sur la peur et qui élit un maire de Londres musulman pour ses qualités de dirigeant. Un pays où les députés ne sont pas assassinés pour avoir défendu les valeurs humanitaires auxquelles ils croient.
Cette vision optimiste d'une Grande-Bretagne multiculturelle et tolérante peut sembler un peu fleur bleue. Je sais qu'elle a ses défauts. Mais à côté de la réalité du moment, c'est une alternative idyllique que je rêve de retrouver. Le multiculturalisme de la Grande-Bretagne compense ses failles.
Lorsque nous irons voter cette semaine pour sceller notre destin d'Européens, nous afficherons nos vraies couleurs. Si nous décidons de quitter l'Union ce jeudi, le racisme et la haine auront gagné. C'est le pays que je souhaite retrouver qui est en jeu.
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Il nous a été officiellement interdit de citer les Clash, mais la question rappelle bel et bien cette fameuse chanson. Le 23 juin prochain, les citoyens britanniques se rendront aux urnes pour décider, ou pas, du maintien du Royaume-Uni dans l'UE. Huge. Tant et si bien qu'on a 2 ou 3 choses à dire sur le sujet. Retrouvez notre dossier très costaud sur la question du Brexit.
Translated from Britain: I want my country back... from the Brexiteers