Rome : Termini Tv, romance de gare
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Laurence BONNARDEDifficile de capter quelque chose du fourmillement de la plus grande gare d'Italie. Pourtant, deux passionnés ont monté le projet Termini Tv qui a pour but de recueillir les histoires de ces gens qui la traversent tous les jours ou seulement une fois dans leur vie. En résulte un brave boulot où l'émotion et les souvenirs côtoient les aléas du direct. Reportage.
500 000 personnes passent quotidiennement par la gare Termini. Un flux interminable de travailleurs, de touristes ou de simples citoyens qui ont rejoint le principal terminal ferroviaire de Rome et d'Italie. Un incroyable réservoir d'histoires et de sentiments. À Termini, on dit souvent que l'on peut rencontrer n'importe qui et c'est peut-être aussi pour cette raison qu'on a la sensation de ne rencontrer personne. Endroit de départ, d'arrivée ou de transit. Si nous devions imaginer une Porte de Rome, ce serait celle-là avec sa gare routière, sa galerie derrière les quais, son centre commercial souterrain ou le croisement des lignes A et B du métro. Un lieu de transit qui apparaît souvent comme un endroit assez anonyme, utilisé pour arriver de quelque part et repartir ailleurs. C'est probablement pour cette raison que beaucoup de lieux comme la gare Termini fascinent.
La gare Termini est une espèce d'île de l'indéfini dans un monde où tout est précis et porte un nom. Mais une île qu'il est possible de parcourir parce qu'au-delà de l'attente d'un train, le changement d'un métro ou la simple promenade dans les galeries, il y a ces 500 000 personnes et leur infini réservoir narratif. Chaque jour, l'équipe de Termini Tv recueille toute cette matière brute et la transforme en histoires. En déchirant le voile de ce « non-lieu » et en le transformant en espace de vie afin de montrer un peu plus qu'un endroit de passage anonyme. Parce que comme le décrit Francesco, le directeur du projet, « Termini Tv n'est pas seulement l'interview des personnes que nous rencontrons. C'est un projet pour faire comprendre l'atmosphère quotidienne de la gare ».
« Unique au monde »
« Termini Tv est l'unique canal au monde spécialisé dans l'humanité qui passe et s'arrête dans les gares », clame le site web. Interviews, histoires, vidéos se mêlent à l'histoire éminemment cosmopolite de la gare. Car depuis Termini, le projet voyage et se promène à travers le monde. « Je reviens à peine d'un voyage en Hongrie. À la gare de Budapest, j'ai rencontré ce jeune romain-hongrois qui m'a raconté son histoire, son identité partagée entre deux pays. C'est une histoire parfaite pour Termini Tv », détaille Francesco. Précisément parce que la chaîne-web raconte les identités et les « récits de vies des gares surtout en ce qui concerne les voyages et les migrations sur les frontières entre les voyageurs et les immigrés, l'exploration et la migration ».
Un après-midi de septembre, je suis les activités de Francesco et Marica au sein de la gare. Francesco m'explique à quel point il est devenu difficile de faire ce qu'ils font. « Lorsque nous avons commencé il y a un peu plus d'un an, nous n'avions pas ce genre de problèmes. Nous nous déplacions dans la gare, nous arrêtions les personnes pour les interviews. Puis soudainement, notre activité est devenue un problème que ce soit pour les forces de l'ordre ou pour le personnel des Ferrovie dello Stato (entreprise publique de chemins d fer en Italie, ndlr). Pendant trois mois, l'un d'eux m'a accompagné. Il voulait savoir où nous allions et ce que nous faisions. Cela a compliqué un peu le travail. Nous devions continuellement demander des autorisations pour filmer, photographier et faire les entretiens en présence d'un de leur attaché de presse. Ce n'est en rien agréable de faire de la pub gratuite. » Du coup, un petit jeu s'installe entre Francesco, Marica et le personnel de la gare. Prendre des photos dans la gare devient un défi de quelques minutes, celui de capturer le moment précis pour ne pas se faire découvrir.
Souvenirs et contresens
Je n'étais pas entré dans la gare depuis plus d'un an et j'ai tout de suite remarqué que quelque chose avait changé, surtout en m'approchant des quais où l'ambiance se fait plus sombre. Non pas que cela n'ait jamais été un festival de bonheur mais le souvenir du va-et-vient des passagers, la course des retardataires pour monter dans le train en marche ou le touriste carrément perdu qui ne savait plus où aller et à qui se vouer, tout cela, n'existe plus. Désormais, l'ambiance de la gare se dessine en suivant les courbes de ses files d'attente plus ou moins ordonnées et des personnes dispersées ça et là avec leur téléphone portable collé à l'oreille. La majeure partie des voyageurs se promènent dans la galerie, la tête en l'air pour contrôler leur train sur les tableaux d'affichage. On a l'impresion d'être dans la queue pour rentrer au stade, avec ses barrières, ses tourniquets et ses contrôles.
« Les stades sont aussi un lieu de transit. L'État économise, partageant la gestion de la sécurité avec des partenaires privés qui gèrent ces lieux, lesquels s'adressent à leur tour à des sociétés pour le service. Le résultat, c'est que tu ne te retrouves pas en face de l'État mais devant un videur. » Jusqu'à la moitié de l'année 2015, le billet était utilisé pour passer les tourniquets et accéder aux quais. Mais maintenant il n'est plus possible d'embarquer sans un titre de transport. Un agent de gare vous contrôle à la montée. « Pour des raisons de sécurité, m'explique Marica. Officiellement. Officieusement, je crois que le motif est d'éloigner les sans-abris de la gare. ». Francesco continue : « Avant, chaque quai avait son propre refuge et on y trouvait un SDF. Mais tu sais ce qui est le plus absurde ? Il existe une plaque commémorative en souvenir d'une femme sans-abri, décédée dans la gare. Une contradiction parmi tant d'autres à Termini ».
La gare Termini n'est jamais à court d'histoires
La promenade se poursuit le long des passages souterrains qui relient les quais de la gare. Francesco et Marica me racontent des histoires qu'ils ont recueillies en un peu plus d'un an. Francesco me parle d'un évènement récent auquel il a assisté : « Il y a quelques jours, nous étions en train de préparer une vidéo sur les rencontres de la gare. Le plateau était prêt, notre actrice attendait l'entrée en scène d'un jeune homme quand un sans-abri s'est approché d'elle et a commencé à lui parler. La scène était émouvante, ce monsieur était vraiment pris par la conversation si bien qu'il ne s'est pas aperçu qu'il était filmé. Nous voulions organiser le sketch d'une rencontre mais en réalité, ce n'était pas utile. À Termini, les rencontres sont spontanées ». Francesco est originaire des Marches (une région d'Italie centrale, ndlr). Il se souvient encore de son premier impact avec Rome « Évidemment c'était à la gare Termini », dit-il. Nous revenons en surface et nous traversons le quai numéro 1. Au loin, nous pouvons voir le quai Est numéro 1, et avec lui, d'autres souvenirs. « C'est mon quai. Le train pour Ancône part de là. Maintenant, sur le quai, ils ont construit un abri qui n'existait pas avant. » La gare Termini est un chantier permanent. Un parking surélevé au-dessus des quais est en construction (peu de personnes le savent à Rome).
Sur les escalators qui mènent directement au métro, nous remarquons un monsieur excentrique. Il tient dans sa main un bâton étrange et un sac en bandoulière. Francesco dépêche Marica pour tenter de recueillir son histoire. Ensuite, Francesco l'invitera même à sortir de la gare pour ne pas avoir de problèmes pendant l'entrevue. L'homme en question s'appelle Alessandro et vient de Naples. Il est à Rome pour la manifestation Bagnoli libera (Bagnoli est un quartier balnéaire à Naples, ndlr). Sur son bâton, des auto-collants se chevauchent, des phrases s'enchevêtrent sur le travail, la justice... Il raconte à Marica le triste épisode d'un ouvrier qui s'est suicidé après avoir été licencié d'une usine de Bagnoli. Alessandro se sera confié aux gens de Termini Tv. Il leur aura raconté son histoire, les motifs qui l'ont poussé à venir à Rome pour ensuite les saluer, reprenant sa route vers la grande gare.
Maintenant, Termini Tv a rendez-vous avec un jeune homme, rencontré la veille. Il s'appelle Federico, vient du Mexique. Il est aussi passé par le Portugal et le Texas, où il a travaillé comme cuisinier. Nous le retrouvons dans le Bed & Breakfast où il loge, à 100 mètres de la gare. Federico, qui rassemble la moitié du globe à lui-seul, participe aussi à l'histoire de Termini. Il sourit, plaisante, se prête volontiers au jeu de la caméra et des photos. Francesco et Marica font très attention à ne rien perdre de ce qu'il dit, de l'enthousiasme qu'il met dans cette expérience toute nouvelle pour lui. Il salue la caméra en tirant la langue, pour se moquer. « Où peux-tu rencontrer un tel personnage si ce n'est à la gare Termini ? », lâche Francesco.
La journée se termine. Francesco retourne à ses occupations, Marica doit rentrer chez elle parce que sa soeur a oublié ses clés. Termini Tv, c'est aussi cela, le dévouement des personnes qui se plient en quatre pour dédier un moment de leur propre journée à ce projet. Ils ont des ambitions pour l'avenir mais souhaitent surtout rester indépendants. C'est ce que l'on perçoit lorsqu'on les entend parler et lorsqu'on les voit travailler. Et si l'homme n'est autre que l'histoire qu'il réussit à raconter alors il reste du travail à faire pour l'équipe de Termini Tv. Car ici, des histoires, il y en a partout.
Translated from Termini Tv: documentare la stazione e le sue vite di passaggio