Robert Aymar (CERN) : « L’Europe reproduit le Big Bang »
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Clea Blanchard10 septembre : coup d’envoi de la plus grande expérience de physique nucléaire de l’histoire du Centre européen pour la recherche nucléaire (CERN). Il tente de reproduire les conditions du Big Bang. Interview exclusive de son directeur général.
8 millions de dollars, 17 ans. Voilà le temps et l’argent qu’il aura fallu au CERN (financé par 20 Etats dont le Royaume-Uni) pour concrétiser le projet « Large Hadron Collider » (LHC), ou grand collisionneur d’hadrons. Le 10 septembre, celui-ci devrait aider les scientifiques à percer les mystères de notre univers vieux de 14 milliards d’années. Comment ? Un gigantesque accélérateur fera rentrer en collision des particules (quarks) devant quatre détecteurs nommé respectivement Atlas, Alice, CMS et LHCb. Placés le long d’un anneau de 27 kilomètres de circonférence enfoui entre 100 et 127 mètres sous terre, ces derniers observeront des millions de collisions à une vitesse proche de la lumière, que les physiciens appellent des « Big Bangs miniatures »…
Le 6 avril dernier, 50 000 visiteurs se pressent pour les journées portes ouvertes du CERN. Des casques et des ceintures avec tubes à oxygène sont distribués dans une véritable atmosphère de tourisme scientifique. Personne ne me réclame mon passeport turc lorsque je passe la frontière pour rejoindre le deuxième groupe de centres d’expérimentation, qui s’étire sur 27 kilomètres, à cheval entre la France et la Suisse. Si vous avez lu Anges et démons, le roman de Dan Brown, vous avez déjà entendu parler du CERN, où Tim Berners-Lee inventa le World Wide Web en 1989.
Le roman met en scène Leonardo Vetra, un ancien prêtre en guerre contre le Vatican : la particule d’anti-matière qu’il a créée pourrait déclencher l’apocalypse en rentrant en contact avec l’atmosphère. En réalité, le CERN a bien créé de l’anti-matière, mais celle-ci n’est pas si dangereuse. Pourtant, le 28 août dernier , un groupe de scientifiques inquiets a déposé plainte devant la cour européenne des droits de l’homme pour annuler le démarrage de l’expérience, craignant que celle-ci ne provoque l’apparition de trous noirs et ne déclenche vraiment l’apocalypse d’ici quatre ans. Réaction de Robert Aymar, directeur général du CERN.
Le 21 mars, deux scientifiques ont assigné le CERN devant la Cour fédérale d’Hawaï, l’accusant de provoquer « l’apocalypse ». Quelle a été votre réaction ?
La surprise. Impliquer un organisme international comme le CERN est assez risqué, comme de déposer une plainte contre la Turquie. Cela dit, nous n’y prêtons guère attention.
Cette plainte était-elle une tentative pour faire parler d’eux ?
Effectivement, il semblerait qu’ils tentaient de répandre leur théorie. Les mêmes personnes ont déjà déposé plainte contre des expériences du Fermilab, ce qui est simplement ridicule. Qui a déjà entendu parler d’Honolulu et de sa cour fédérale ?
Pour la presse britannique, les travaux du LHC s’apparentent à rechercher la « matière divine ».
Ils font référence au boson de Higgs, nommée la « particule de Dieu » par le prix Nobel américain Leon Lederman, qui cherchait juste un titre accrocheur pour son livre de physique (Une sacrée particule, en anglais The God Particle: If the Universe Is the Answer, What Is the Question?, 1996). Lederman, déçu de ne pas découvrir la particule après tant d’années de recherche, l’appelait la particule maudite, mais son éditeur a trouvé que « sacrée » était plus attirant.
Allez-vous chercher cette particule ?
Oui, bien sûr. Mr. Peter Higgs serait tellement heureux si nous la découvrions ! Si non, nous en trouverons peut-être un précurseur, ce qui peut nous valoir un prix Nobel.
Quelle est la plus grande découverte que le LHC pourrait faire ?
Je dis généralement que notre connaissance des particules élémentaires, qui sont les constituants de notre matière, a fait d’énorme progrès depuis trente ans. Nous devrions être fiers de notre contribution, qui a été récompensée par nombreux prix Nobel au fil des années. Mais la compréhension de ce qui se passe au-delà de cette énergie nous échappe toujours, et pour cela, rien de tel qu’une expérience grandeur nature.
En effet, si vous me posez des questions sur les particules les plus élémentaires comme : ont-elles un spin, ou une masse, nous ne savons pas d’où provient cette masse, ni combien de particules différentes existent avec des masses différentes. Nous ne savons pas expliquer pourquoi un litre de lait a une masse différente d’une litre d’eau. Notre modèle le plus ancien remonte à 1963 ; nous allons démontrer s’il est vrai ou faux et si un autre modèle fonctionne. Par exemple, nous découvrirons s’il s’agit de la matière ou de l’anti-matière. Après la création de l’univers, la densité était suffisamment forte pour que les rayonnements et les particules soient en équilibre. Les rayonnements, qui absorbaient les particules, ne pouvaient donc pas s’échapper, etc.
Quelle est la motivation des scientifiques du CERN (2 500 salariés et 8 000 scientifiques invités représentant 580 universités et 85 nationalités) à travailler jour et nuit pour découvrir les secrets de l’univers ?
Les mystères de la construction de l’univers justement, qui est quelque chose d’encore flou. Notre travail consiste à maîtriser l’univers, ce qui n’empêche pas les relations au CERN d’être plutôt directes. Nos scientifiques viennent du monde entier, nous sommes heureux de rencontrer des personnes différentes, même si nous avons parfois du mal à comprendre leur langue !
Translated from CERN's Robert Aymar: Europe's big bang experiment