Retour sur l'affaire médiatique Molenbeek
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Julien RochardUn résident de Molenbeek nous donne son opinion à la suite du confinement de Bruxelles et de la couverture médiatique du quartier pendant les événements. Pour lui, les problèmes économiques et sociaux - conséquence des médias - perdureront alors même que toute cette histoire sera oubliée.
« Sérieusement? Vous vivez à Molenbeek ? », demande le journaliste, tandis que je me hâte de rentrer chez moi sous la pluie, « Vous n'avez pas peur ? Vous semblez terrorisé ! »
« Non, je vais très bien... », réponds-je, en laissant le journaliste derrière moi, sous une pluie torrentielle.
Je me dirige vers mon chaleureux appartement de Molenbeek, donnant sur le canal, les gratte-ciels du Nordwijk et la police qui patrouille mon quartier. En lisant les journaux, je m'interroge : « Faut-il y voir la fin de toute éthique dans le journalisme ? ». Les plus populaires affichent en première page un article sur le « couvre-feu », ou « l'état de terreur » dans la « ville fantôme » à cause de ce quartier très dangereux qui serait un « refuge pour terroristes » en raison du « dysfonctionnement (politique) belge ».
Les évènements - les attentats de Paris, le confinement de la ville de Bruxelles puis la traque des terroristes à Molenbeek - ont fortement ému les habitants du quartier. Certains journaux, les mêmes, ont même précisé que tout le monde aspirait à « retourner à son train-train quotidien ».
Peur, colère, ironie et déception
Durant cette période – du 21 au 25 novembre – de nombreux Bruxellois ont préféré parler des journalistes sur un ton ironique : « Tout ce cirque ne m'a pas vraiment perturbé », raconte Filip, un photographe flamand qui vit à Molenbeek avec son Schnauzer. D'autres, semblent encore perdus, et hésitent entre deux émotions : « Je ne saurais dire si j'ai été déçue ou bouleversée », confie Clementina, une styliste italienne qui vit dans le centre de Bruxelles, à 1 km de Molenbeek. D'autres résidents ne voient que les aspects sombres des événements qui influent sur leur quotidien.
« Le flux continu d'informations émanant des médias et des journaux – qui sont totalement passés à côté du contexte et de la perspective – ont amené une grande partie de la communauté à céder à la panique », commente Taïs, mère d'un enfant. « J'ai moi-même passé beaucoup trop de temps sur Internet à suivre cet événement. Cela n'a fait que nourrir ma peur », poursuit-elle. Taïs explique la manière dont ces facteurs, à eux-seuls, se sont ajoutés aux répercussions des mesures de sécurité, notamment sur les familles avec des enfants confinés chez eux parce que les écoles et les garderies étaient fermées.
Beaucoup de chambres à louer pour les fêtes
La presse a également eu un impact sur le tourisme. Gert est avocat et a un appartement à louer sur Airbnb. Il est particulièrement sensible à l'égard des commentaires sur son pays qui proviennent du reste du « monde occidental ».
« Les États-Unis devraient cesser de faire la morale quand on voit toutes les fusillades et les attaques terroristes qui sont commises sur leur territoire », soutient-il. « Le terrorisme et la violence n'ont pas de frontières. Il est vraiment temps d'essayer de s'attaquer au problème à un niveau international. Dire de la Belgique qu'elle est un état défaillant n'est vraiment pas tolérable. »
Il explique qu'il a eu trois réservations pour la période du 26 novembre au 3 décembre. Tous ont changé leur projets : « Je ne m'attends pas à d'autres annulations immédiates, mais je n'ai pas non plus eu de nouvelles réservations au cours des précédents jours ».
Toutefois, dans les semaines à venir, la mauvaise image de Bruxelles aura des conséquences encore plus lourdes pour ce marché. Les gens qui n'avaient pas encore fait leurs réservations sont désormais moins susceptibles de le faire.
« Regarde ce fichier Excel », me dit un des employés de l'hôtel, en me montrant le tableur vide pour la période de décembre. Selon l'homme – qui a souhaité rester anonyme– il y a 60-70% de réservations en moins comparé à l'année dernière, à cette même période.
Les reportages n'ont pas non plus arrangé les affaires des célèbres marchés de Nöel de Bruxelles. De même que les doutes grandissants et légitimes des lecteurs, la quête d'un titre accrocheur a joué un rôle dans l'exil des touristes et a propagé la peur parmi les habitants.
À quelque chose, malheur est bon...
« Cet épisode m'a laissé songeur quant à la façon dont les médias rapportent d'autres événements », raconte Luis – un banquier d'origine portugaise qui vit à Molenbeek – qui se souvient d'un après-midi où il y avait plus de journalistes que de policiers près des rues de son appartement. Malgré ce sentiment de désillusion vis-à-vis des journalistes, certaines personnes ont adopté une tout autre attitude durant ces cinq jours de « confinement ».
« J'ai adoré ça. J'ai pu dormir à l'intérieur ! J'ai eu l'impression d'être en weekend », a affirmé Harald – le propriétaire de deux des bars les plus connus de Bruxelles – faisant allusion à la demande du gouvernement de fermer ses établissements pendant la période d'alerte maximum.
En se remémorant son enfance, il raconte s'être quelque peu senti comme ces écoliers qui ne pouvaient pas aller à l'école en raison de fortes chutes de neige. D'agréables vacances inattendues – en dépit de l'abondance des sirènes, des voitures de police et des répercussions financières.
En effet, à côté des difficultés qui restent à venir, il en ressort quelque chose de positif. Les gens dorment chez eux en toute sérénité, dans ce qui est actuellement un des endroits les plus sûrs de la planète. Il y a moins de gens sur les routes. Les habituelles tâches de dégueulis qui dénaturaient autrefois les places bondées ont disparu. Pour une fois, la ville retrouve exceptionnellement son charme. Bruxelles est plus propre et plus sûre qu'il y a un mois, même si les habitants acceptent le fait qu'une sécurité totale n'existe pas.
Le journalisme n'est pas la seule victime
Si les journalistes et les intellectuels s'intéressent excessivement à un problème –critiquant le gouvernement et la police au moment même où ils essaient de mettre de l'ordre dans tout ça – cela va se révéler être une fâcheuse entrave au lieu d'aider à résoudre les problèmes.
Le système médiatique qui a pris pour cible Bruxelles était partial, proche par moments du saisissant terrorisme psychologique. La situation n'était pas tellement claire, et par conséquent certains aspects du journalisme ont pu être considérés comme victimes du « confinement » de Bruxelles.
Suite au « cirque médiatique », les débats sur le terrorisme se sont ancrés dans la tête des journalistes, des habitants, et même des touristes. Désormais, les rues reprennent vie petit à petit et Bruxelles ne fait plus la une. Mais le récent mélange des informations factuelles qui n'ont cessé de grossir le trait pourrait bien avoir de fâcheuses répercussions pour les hôtels et les propriétaires des autres entreprises locales dans les prochains mois. Ils pourraient bientôt être les victimes innocentes d'une couverture médiatique injustifiée qui a fait fuir, fait fuir, et fera fuir les touristes.
Translated from After the Lockdown: The media impact on Molenbeek