Renaissance argentine ?
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emilie rofasNestor Kirchner, arrivé au pouvoir dans des conditions difficiles, a su simposer et lArgentine semble sortir la tête de leau. Nagera-t-elle jusquau rivage de la prospérité ?
Le chroniqueur, résident argentin en Espagne, a beaucoup hésité avant daccepter décrire cet article. Quatre mois auparavant, il avait publié, ici sur café babel, un article intitulé Chronique dune dépendance dans lequel il expliquait, pétri de douleur, la façon dont la classe dominante argentine et ses extensions politiques avaient contribué à lévacuation du pays par les Etats et les entreprises étrangers. Bien que la situation soit toujours critique, on note aujourdhui un changement dans les rapports de forces : l'apparition d'un nouveau sens commun, plus favorable à la constitution dinstitutions solides et à la redistribution des richesses. Un président inattendu a su gagner, en lespace dun seul mois, lappui des progressistes, de quelque bord soient-ils, mais encore mieux, celui de ces mêmes citoyens qui avaient fait du scepticisme un culte.
Analyser ce qui se passe en Argentine est toujours difficile, essayer de prédire ce qui se passera là-bas est tout simplement illusoire. Le pays est la preuve vivante de ce quon ne retrouve dans aucun texte de science politique. Et pourtant, les « realpoliticiens » disent souvent dans leurs conversations de café quen politique, un plus un, ça ne fait presque jamais deux. Et cest ce qui est fascinant. Il sagit donc dexaminer séparément les aspects sociaux, politiques et économiques, en sattardant tant sur létat actuel des choses que sur les tournures éventuelles quelles pourraient prendre.
Suicide à lArgentine
Il y a lavant et laprès décembre 2001. Cest à cette date que lArgentine surgit à la une des journaux du monde entier, quand la récession fit fondre le pouvoir dun gouvernement qui, aux mains du Fond Monétaire International (FMI) et de ses politiques dajustement structurel, choisit le suicide afin de sauver banquiers et financiers. Lopinion publique internationale fut surprise de voir protester dans la rue, dans un pays supposé riche, une classe moyenne appauvrie, tandis que les médias privés parlaient dinnommable et de chaos, sans dire comment on en était arrivé là.
Après dix ans de privatisations et dendettement croissant, la société civile argentine, si dynamique autrefois, se désagrégea. Elle céda au chant des sirènes et de nombreux Argentins, fascinés par les perspectives de consommation quoffrait une monnaie forte, se désintéressèrent des affaires publiques et laissèrent le tissu social se dégrader. Même dans les premiers temps de la crise, certains citoyens croyaient à la réussite personnelle au beau milieu de la tempête. Décembre 2001 fut le point dinflexion. Le transfert des richesses devint si manifeste que plus personne ne put y rester étranger.
Bien évidemment, cela ne veut pas dire quon avait là une Argentine pré-révolutionnaire, comme certains lont soutenu, mais en fait une société civile qui commençait à récupérer son dynamisme perdu. Certains cessèrent de manifester quand lavenir de leurs économies devint clair ou quand ils découvrirent que pour sorganiser et se faire entendre en politique, il faut faire bien plus que descendre dans la rue. Mais beaucoup dautres créèrent des assemblées de quartiers, des comités de chômeurs, des associations, des cantines, des journaux de quartiers, ou remirent en marche des usines fermées. Ils recommencèrent à exprimer à voix haute leur opinion sur les affaires publiques et à exercer leurs droits. Depuis, les dirigeants savent que gouverner à linsu du peuple, cest prendre de gros risques.
L « effet Ernesto »
Tant et si peu. Notre président est arrivé au pouvoir en profitant du vide laissé par les deux caciques du Parti Justicialiste [péroniste], Duhalde et Menem, qui depuis dix ans samusent à se détruire mutuellement à nimporte quel prix. Lappui du premier aux élections et la peur dune raclée électorale de la part du second (Menem sest retiré au second tour, car les enquêtes dopinion annonçaient une défaite - correction de lordre de 80 % des voix pour son adversaire) ne plaçaient pas lélection sous les meilleurs auspices. Pourtant, avec le recul, le parcours de Nestor Kirchner est plus quadmirable, et ses premières mesures ne devraient pas surprendre plus que ça.
La mise à la retraite des chefs militaires ayant un passif en matière de droits de lhomme, le non renouvellement du contrat de privatisation des entreprises qui nauraient pas opéré leur part dinvestissements, la demande au président du FMI dune autocritique sur le rôle de lorganisation dans le pays, lengagement total contre les foyers de corruption de lEtat et laccélération de la construction du Mercosur constituent, entre autres, ce qui dans un autre pays apparaîtrait logique et souhaitable. Mais après une administration du pays aussi mauvaise, lidée que lappareil étatique puisse réellement servir les intérêts de la nation et du peuple argentins est une heureuse surprise.
Il ne faut pas non plus oublier que le gouvernement est en train de sattaquer à des intérêts très puissants, susceptibles de tenter une contre-offensive. Cest à ce moment-là que lon pourra tester la maturité du peuple argentin. En attendant, célébrons ces premiers pas vers la recomposition du contrat social et des liens entre citoyens et dirigeants.
Le paradoxe du gilet de sauvetage
La dette. Depuis la dévaluation il y a 18 mois, une période lente et laborieuse dencouragement à la substitution des importations qui ont détruit des millions demplois auparavant a débuté, principalement dans les secteurs qui ne nécessitent pas de gros investissements. Quant aux exportations argentines, essentiellement agricoles, elles sont devenues plus compétitives, bien que se heurtant toujours aux subventions versées par l'UE à ses producteurs. Autre secteur florissant : le tourisme, bien que son plafond soit clair et bien défini. Toutes ces activités créent des emplois, mais petit à petit. A cette allure, il faudra dix ans pour retrouver les taux demploi et de croissance davant la crise
Or, la faim nattend pas. Le pays a besoin dune industrie capable de créer de la valeur ajoutée et de concourir à léchelle mondiale. Pour cela il faut des crédits, et cest ce dont lArgentine manque, le système financier sétant effondré en ayant précisément suivi les indications du FMI. Celui-ci sobstine à proposer des ajustements structurels - les mêmes qui résolurent les crises asiatiques de 1997 et 1998, qui sétendirent ensuite à la Russie, et qui firent éclater le modèle argentin en 2001 - comme condition à loctroi de crédits, juste au moment où le pays montre des signes de récupération. Imaginez quen plein milieu du naufrage, le capitaine vous dise : « Je te donne un gilet de sauvetage seulement si tu promets de ne pas lutiliser et de te noyer ». Vous lécouteriez à nouveau une fois arrivé sur la plage hors dhaleine ?
LAmérique du sud dans la multipolarité
Conscient de toutes ces difficultés, le président argentin sefforce de constituer une alliance stratégique avec le Brésil et le Venezuela dont lentrée dans le Mercosur est en cours de discussion - tout en espérant que Tabaré Vázquez, candidat du parti de centre gauche « Front Large », soit élu en Uruguay. Le poids quun tel bloc pourrait avoir dans les négociations, même face à des organisations comme le FMI, est très supérieur à celui des pays en négociations bilatérales. La bonne nouvelle pour lEurope, cest que si cette initiative progresse, la Maison Blanche devra enterrer pour de bon le projet de Zone de Libre Echange des Amériques (ZLEA) ; dautre part, les échanges entre les deux blocs UE et Mercosur - pourraient savérer très profitables. Dans cette optique, lEurope doit décider si elle souhaite ou non un monde multipolaire, et si elle se sent prête à assumer les responsabilités que cela implique.
Bien quil y ait des raisons de se montrer optimiste, il est difficile dimaginer quelle sera la suite des événements en Argentine. Cest aussi difficile que darrêter de regarder ce billet davion qui me ramènera chez moi dans quelques semaines. Vous voyez, cest contagieux lenthousiasme. Un et un ne font pas deux.
Translated from ¿Renace Argentina?