Politiciens sur papier glacé
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Claire VitorgePub et communication politique : la frontière se franchit avec allégresse. De nombreuses campagnes mettent en scène des politiciens à leur insu. Alors que le marketing investit la scène politique.
A l'arrière d'une limousine noire, un vieux monsieur à moitié chauve. Sur la banquette, un sac de voyage à motifs. Le Mur de Berlin se dresse à l'arrière plan. En soi, rien de sensationnel dans le contenu de cette image publicitaire. Sauf que l'homme en question est Mickhail Gorbatchev, 76 ans, ancien chef d'Etat soviétique, posant près d’un bagage griffé Louis Vuitton. Au cœur de cette photo promotionnelle de la marque de maroquinerie de luxe se tient dignement un monstre de la politique internationale. Une question se pose alors : les politiciens et la pub peuvent-ils faire bon ménage?
(Foto: ©Annie Leibovitz/LVMH)
Ce n'est pas la première fois que le père de la Perestroïka figure dans une publicité. En 1997, il avait déjà joué dans un spot télévisé pour la chaîne de restaurant Pizza Hut, en compagnie de sa petite fille. Un petit pactole d’un million de dollars lui avait été versé à cette occasion…Une somme que l’ancien chef d’Etat a ensuite redonnée à une fondation pour la création d’une bibliothèque. En 2000, il avait également vanté les mérites du réseau de l'ÖBB, les chemins de fer autrichiens.
Autre exemple : en octobre dernier, le quotidien FAZ ('Frankfurter Allgemeine Zeitung) a fait sensation en Allemagne en demandant à la Ministre de la Famille, Ursula von der Leyen, de poser au milieu d'une compagnie de lapins blancs sous un slogan ( « Il y a forcément quelqu'un d'intelligent là-dedans ») dans une publicité politique en faveur de la hausse de la natalité.
Certes, comme le remarque Marcus Maurer, chercheur spécialiste des médias et de la communication à l'Université Gutenberg de Mayence, Gorbatchev est un leader retraité depuis belle lurette. Et le FAZ, un journal sérieux : son message s'apparente finalement à un discours politique standard.
En dehors des oeuvres caritatives ou des médias traditionnels, les politiciens s'aventurent avec prudence sur les chemins publicitaires. Au risque de s’y brûler les ailes. La commercialisation des hommes et des femmes d'Etat reste-t-elle marginale ?
Pris aux pièges des pros de la pub
Les publicitaires ne se gênent pas, en revanche, pour utiliser l'image de ces personnes publics à leur insu : Angela Merkel s’est faite recoiffer par le loueur de voitures Sixt qui la met en scène au volant d’un cabriolet. Le chancelier Wolfgang Schüssel à malgré lui posé pour Mac Donald en arborant les couleurs nationales autrichiennes sous le slogan ‘L'Autriche mange champion’. Autre exemple, en France : Dominique de Villepin, Nicolas Sarkosy, Ségolène Royal et François Hollande déguisés en vedettes branchées dans une campagne d'affichage de la radio privée Europe 1.
L’association No2ID qui milite en faveur de l'abolition de la carte d'identité en Grande Bretagne a même affublé Tony Blair, l'ex Premier ministre britannique, d’un code barre en guise de moustache hitlérienne lors d’une campagne de communication.
Une chose est sûre: les hommes politiques n’ont pas choisi de figurer dans ces publicités. Leur allure, toujours très maîtrisée et sérieuse, est ainsi complètement détournée dans l'univers du marketing : sarcasmes, caricatures, déformations sont de mise dans le milieu. Et ça marche! Ces campagnes de pub dérangent, font vite parler d’elles et bien sûr de la marque.
Situés dans un no man's land juridique, cette méthode est difficile à contre-attaquer. Si les politiciens retors se lancent dans des poursuites, c’est qu’ils espèrent eux même en retirer des retombées positives. Dans le cas d'une action en justice, le droit à l'image et la liberté d'expression sont leurs meilleurs atouts.
La mésaventure est arrivée à Angela Merkel, qui a longtemps souffert d'être vue dans l'opinion publique allemande comme une femme un tantinet coincée. Mais elle a su, en plaisantant publiquement, tourner à son avantage la mauvaise blague que la pub Sixt lui avait faite à son insu.
L'ancien ministre des Affaires étrangères, Jochka Fischer, lui, défend obstinément son droit à l'image. Il a poursuivi l'édition du printemps 2006 de la campagne ‘Big News, Small Size’ du journal Welt Kompakt, dans laquelle des personnages politiques et des célébrités étaient représentés avec des visages d'enfants. Il a gagné le procès et a obtenu 200 000 euros de dommages et intérêts.
Communication politique
Même s'il y a encore des hommes publics pour se lancer dans des poursuites judiciaires, la frontière entre politique et publicité est franchie depuis bien longtemps. L'électeur vote pour une personne compétente et fiable, certes, mais qui paraisse aussi humaine et sympathique.
Dans l'espoir d’incarner cette image du parfait président, les hommes politiques sont nombreux à franchir le cap et à utiliser largement les codes des publicitaires pour aller pêcher des voix. Ils interviennent systématiquement dans les talk shows et les émissions de divertissement. Et ne sont pas avares de détails sur leurs vies personnelles car ils savent bien que les électeurs ont besoin de s’identifier à eux.
Les gouvernants utilisent les outils du marketing pour faire leur communication. Pourquoi alors s’attaquer à la pub qui surfe sur la vague? Le New York Times Magazine va même plus loin. Un article a revélé derniérement que la publicité Vuitton-Gorbatchev contenait un message caché: après agrandissement de la photo, un journaliste du magazine aurait décrypté, entre les mots entrelacés, un message codé de l'ancien président sur l'affaire Litvinenko. Le retraité continue à faire de la politique.
Translated from Der Preis der Politik