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Petite conversation entre amis à Varsovie

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CulturePolitique

Deux amis journalistes me rejoignent en Pologne à l’occasion du congrès du Parti populaire européen (PPE). Elle est anglaise, il est espagnol, je suis polonaise. L’occasion de se pencher sur un verre de bière mais aussi sur deux décennies d’histoire européenne, et d’enjamber le fossé qui sépare l’Est et l’Ouest de l’Europe…

A l’approche des élections européennes, Malika et Pedro sont venus à Varsovie pour assister au congrès du PPE. Durant deux jours, le groupe politique qui dispose du nombre de sièges le plus important au Parlement européen présentait son programme. Les journalistes alors présents, originaires des 27 pays de l’Union, voire même d’au-delà, se connaissaient déjà les uns les autres pour avoir presque tous travaillé un jour ou l’autre côte à côte. Même en y mettant de la mauvaise volonté, on n’aurait pas pu faire plus européen. Elle est anglaise, lui espagnol et vivent tous les deux à Paris. C’est la première fois qu’ils se rendent en Pologne et ne savent pas trop bien à quoi ils doivent s’attendre. 

Solidarnosc sur le pavé

(cafebabel.com)La capitale polonaise est devenue pour 48 heures le centre de l’Europe - titrait ce jour Gazeta Wyborcza, le deuxième quotidien du pays. De ce congrès, qui s’est tenu dans le palais des sciences et de la culture (si représentatif de l’architecture soviétique et considéré comme le plus haut gratte-ciel de Pologne offert dans le passé par le grand-frère russe), il est toutefois difficile de tirer une conclusion. A l’extérieur, alors que certaines affiches annonçaient déjà, avec un mois d’avance, le 5e anniversaire de l’entrée dans l’UE des Etats-membres les plus récents, d’autres dispersées au fil des rues énonçaient leurs programmes politiques en vue des élections futures. Fallait-il déceler dans cette simultanéité la trace d’une quelconque ironie ? 

Le 29 avril, les ouvriers syndiqués des chantiers navals et les forces de l’ordre s’affrontaient dans la rue. Les manifestants en colère étaient venus protester contre les fermetures de sites de pêches décidées par les instances européennes. Muées par un élan de solidarité nationale, les manifestations se sont alors prolongées les jours suivants. A ce sujet, un journaliste polonais interroge nos deux visiteurs, mais ils ne sont pas au courant de la situation. Ils ignorent presque tout de ce qui se passe à l’extérieur. Un peu plus tard, nous en discutons avec eux en leur rappelant, afin de les éclairer sur les réalités locales, que dans les années 80, le syndicat Solidarnosc créé sur les chantiers de Gdansk par Lech Wałęsa fut à l’origine du grand mouvement de contestation anti-communiste qui ébranla tout le pays. Humblement, Malika le reconnait : « Nous n’avons que peu d’indices au sujet d’un grand nombre de choses. »

Tranches de vie polonaise

Dans la soirée, nous assistons à la projection de Hair (1971), une sorte de docu-réalité d’époque « peignant » l’histoire d’un concours international de coiffure dont les participants proviennent de tous les pays satellites de l’ex-Union soviétique. L’arbitre ayant, lui, été parachuté directement depuis Paris. Au grand étonnement de nos hôtes de passage qui nous regardent avec des yeux ronds comme des soucoupes, nous rions sans aucune retenue. Les sous-titres en anglais ont beau être bons, ils ne reflètent cependant pas toutes les nuances et les subtilités linguistiques contenus dans les dialogues et les commentaires.

Or, qui n’a pas connu la mode capillaire dans les pays signataires du pacte de Varsovie aura probablement du mal à comprendre la cause d’une telle hilarité. Marek Piwowski, réalisateur on ne peut plus lénifiant, à qui la télé d’état polonaise avait commandé ce film, zoome un instant sur une paire de jambes d’une femme assise qui s’amuse à pointer son pied en direction de l’entre-jambes d’un participant masculin qui se tient debout dans l’assistance. Ce dont s’offusque Malika : « Mais, c’est un film sexiste ! » Comment lui expliquer que pour nous la scène est avant tout burlesque ?

(Wikimedia)En revanche, le film qui suit se passe de commentaires. Il parle de lui-même. Du Point de vue d’un portier de nuit de Krysztof Kieslowski croque une tranche du quotidien d’un veilleur de nuit, qui, fort du petit pouvoir inquisitorial qu’il détient, se montre résolu à contrôler et inspecter systématiquement toutes celles et ceux qui croisent son chemin. Nous connaissons tous cela. « Cela pourrait être un film espagnol, s’exclame Pedro, mis à part le fait que le type en question porte une moustache. » Après tout, l’Espagne a connu Franco comme l’Allemagne a pu se reconnaître dans La Vie des Autres (2006), long métrage de 2006 récompensé par les Oscars qui retraçait la vie d’un agent de la Stasi. Ce genre de personnes ultra-zélées, pétries de civisme, délateurs vigilants par devoir et indics de police à l’occasion, on les trouve dans chaque culture et sous toutes les latitudes. Ce sont souvent des anonymes, mais tout le monde sait de quoi on parle.

Troskystes à Paris

La chose est plus difficile à comprendre quand les gens se réclament d’une idéologie. Au fil de la conversation, nous évoquons le cas des parents d’un ami commun qui se désignent comme troskytes. Notre explication fait beaucoup rire : « Etre trotskiste à Paris, cela revient à se proclamer rasta en plein cœur de la Sibérie. Evidemment, c’est possible, mais ça n’a pas de sens. » Pourtant, les Français, eux, ils peuvent le faire. A Paris, il y a encore un bon nombre de gens dont les parents se considèrent toujours comme des partisans du fondateur de l’armée rouge ou qui se font encore les avocats du maoïsme. Face à de telles professions de foi, je pense toutefois qu’il faut sincèrement reconnaitre qu’il parait plus aisé de pouvoir le faire quand on se sent tout à fait en sécurité dans le cadre d’un état de droit où les libertés fondamentales sont respectées.

« Être trotskiste à Paris, cela revient à se proclamer rasta en plein cœur de la Sibérie »

Serai-je soudain en proie à une poussée de cette irritation effrontée et teintée d’amertume si caractéristique du tempérament polonais ? Serions-nous tous pour eux les nouveaux venus d’un lointain Orient ? Est-ce une bonne chose que nous ayons notre propre destinée ? Est-ce là une prétention si difficile et si horrible à assumer ?

Il est évident que les histoires de file d’attente une fois par an, au moment de Noël, dans l’espoir d’acheter des oranges et de la viande ressemblent à une chronique relatant un quotidien datant des sombres heures de la seconde guerre mondiale ou bien encore à un conte de fées du style Barbe bleue. Tout le monde peut comprendre ce genre de situation et combien c’était terrible, mais il est difficile pour nous aujourd’hui de nous y projeter. C’est la même chose avec le communisme. Les autres ne peuvent pas le comprendre. « Pour eux, 68 fut l’année de la Révolution. » 

Encore le mur !

Cependant, on doit se faire une raison. Tout ce qui est arrivé, c’est désormais du passé ! Les souvenirs sont à la fois une bonne et une mauvaise chose. Nous faisons maintenant partie de l’Union européenne. Par conséquent, nous ne formons plus qu’un seul ensemble. Bien sûr, c’est un peu rageant que l’Allemagne nous ait ravi la vedette. Il y en a assez de voir continuellement le même spot produit par la Commission, commémorer à lui seul le 20e anniversaire de la chute du Rideau de fer. On dirait qu’il y en a que pour leur mur ! L’évènement est présenté comme si la mutation ne commençait qu’avec eux, et pas avec nous. Quoiqu’il en soit, il est trop tard pour y changer quoique ce soit. La connaissance que les jeunes Européens ont de la fin de cette période s’est entièrement incarnée dans la chute du mur de Berlin et rien d’autre. Finalement, nous ne pouvons en faire le reproche à personne. Après tout, la démolition du mur de la honte, par le peuple, à mains nues, reste un beau symbole.

Toutefois, il est peut-être regrettable qu’après l’euphorie initiale, un personnage comme Lech Wałęsa ait été injurié alors qu’il a contribué à tirer les Polonais des griffes de la dictature communiste. Ne pourrions-nous pas montrer une sorte de déférence envers son nom comme celle que les Néerlandais témoignent à leur reine ? A l’aéroport, quel touriste n’a pas acheté un jour des tee-shirts, des autocollants ou des pins à l’effigie de l’ouvrier des chantiers navals à la célèbre moustache ?

Il faudrait interdire Berlusconi

(Image: ©cafebabel.com)On associe très souvent autant Wałęsa et le téléphone portable à la Pologne que Berlusconi à l’Italie. Ce dernier, soit dit en passant, vient juste d’annoncer que son épouse légitime entamait une procédure de divorce. N’en doutons pas, de l’autre-côté des Alpes, les médias doivent êtres surbookés jusqu’à l’overdose par la nouvelle tant l’ombre omniprésente du Cavaliere s’étend là-bas sur toutes choses. Pour les journalistes présents, malgré la présence d’Angela Merkel et François Fillon, le congrès du PPE serait bien terne sans Silvio, toujours prêt à un morceau de bravoure. Veronica Lario qui se tient aux côtés de Berlusconi depuis 19 ans a donc décidé de rompre le silence ce qui a immédiatement provoqué la fureur de Sua Emittenza, qui ne manque cependant pas l’occasion de poser sur la photo de famille aux côtés du premier ministre polonais Donald Tusk, en exhibant un sourire plein de molaires en porcelaine coûteuse. Mais, au fond, symbolise-t-il vraiment l’Italie ? Je ne le crois pas.

Pour les Italiens que je connais, le sujet est plutôt embarrassant. Certains d’entre eux disent même qu’il vaudrait mieux que leur pays soit mis sous la tutelle de l’Union européenne pendant au moins dix ans et qu’il soit gouverné par le Suédois. Ainsi, ils pourraient peut-être espérer connaître un retour à la normalité. Grâce à un tel scénario, on pourrait espérer ne plus voir sans cesse Berlusconi revenir s’asseoir régulièrement dans le fauteuil de la présidence du conseil de la République italienne et les montagnes d’ordures s’empiler dans les rues de Naples. La mafia ne contrôlerait plus des pans entiers de l’économie et les millions d’euros investis par l’Union servirait vraiment à combler une bonne fois pour toute le fossé qui partage en deux le Nord et le Midi de la péninsule.

Casseurs de gays

Dans la foulée, je souhaite que la Pologne ne soit plus continuellement assimilée au militantisme ultra-catholique et aux casseurs de gays. Les choses semblent plus faciles pour nos voisins tchèques. Ils aiment faire la fête, boivent la meilleure bière du monde, sont athées et en plus chez eux, la vie est moins chère. Leur mentalité est proche de celle des Allemands. Ils ont de bons réalisateurs, des artistes, des écrivains, alors que les Polonais sont pleins de rancœur et d’amertume contre tout le monde. Nous avons pourtant mieux à offrir à l’Europe qu’une main d’œuvre bon marché, des saucisses et de la Zubrowka.

Bien qu’elle soit née en Angleterre, Malika voit les choses différemment. Ses racines sont en Asie du Sud-Est, mais elle comprend ce que signifient mes objections. Au Pakistan, dans les régions rurales comme l’une de celles dont ses parents sont originaires, on appelle l’Angleterre « le Pays du lointain » (ou du « Grand large »). C’est intéressant. J’ai envie de dire que les Polonais sont des eurorphelins quand l’un des deux parents immigrent dans un autre pays de l’Union européenne pendant que l’autre reste au pays avec la famille. Que les mentalités aient changé à cause de 1989 comme le célèbrent en ce moment tant d’affiches commémoratives ne fait aucun doute. C’est une bonne chose et ça pourrait être pire. En attendant…

Translated from Popatrz na mnie