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Pegida : pourquoi tout se passe à Dresde ? (1/3)

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Emilie Pardon

Société

Les vraies réponses se trouvent souvent dans les bonnes questions. Pour expliquer l'ampleur du mouvement réactionnaire allemand Pegida, il faut s'interroger sur la ville où tout a commencé, Dresde, ainsi que sur sa culture politique et sociale très particulière. 

L’engagement social était plutôt malvenu en République démocratique d’Allemagne et en particulier dans ce que l’on appelait la « vallée de l’ignorance » dont Dresde faisait partie (les deux régions de RDA où l’on ne captait pas la radio et télévision ouest-allemande ndt). Même « le prince » Kurt Biedenkopf, qui a régné pendant 11 ans sur la Saxe après la réunification, s’accommodait alors de cette omniprésence de l’État. Les débats – qui, effectivement, auraient pu remettre le pouvoir en question – étaient refoulés. Les interventions de personnalités politiques dans les écoles étaient proscrites, exception faite du ministre de l’Éducation et des Affaires culturelles, en sa qualité de représentant. Les mouvements étudiants ont longtemps été contraints d'abandonner toutes manifestations politiques dans l’enceinte de l’université afin de préserver cette fallacieuse « neutralité d’État ». Et, aucun des quatre journaux quotidiens de la capitale du Land n’a réussi à organiser une seule fois des débats entre les candidats lors des élections.

Vivons peureux, vivons cachés

Déjà en RDA, le débat public se retrouvait relégué à la sphère privée. C'est donc en famille, au mieux entre amis, que s'exprimait la critique ponctuelle de la RDA par rapport aux difficultés d’approvisionnement et à l’absence de liberté de voyage. Une tendance sociale connue de tous les Allemands depuis la sortie du livre de Uwe Tellkamp, La Tour, qui raconte la vie d'une famille bourgeoise en Allemagne de l'Est.

Rencontre à Dresde avec Uwe Tellkamp auteur de 'La Tour'.

Aujourd’hui encore, il n'est pas rare à Dresde de voir ces gens très cultivés, parfois un peu présomptueux, confortablement installés dans leurs milieux sociaux, qui mènent un train de vie bourgeois. Ces gens qui ne semblent s’intéresser au reste du monde (voire même à leur propre ville) qu’à travers la littérature. Pour eux, la « politique » en tant qu’objet « public » est quelque chose de « sale », dont on se distancie.

La critique éclairée et le romantisme vont généralement de pair avec l’hypocrisie. À Dresde, les discussions s'articulent autour de groupes paroissiaux, du voisinage ou de cercles littéraires. À l’époque, le nouveau parti CDU n’encourageait pas plus les débats sur les problèmes et les questions de société. On jettait volontiers l'opprobre à celui qui osait chicaner ou voulait faire obstacle aux intérêts du pays. La Saxe, avec ses nombreuses entreprises – liées à l’État et à ses représentants (que ce soit directement au moyen de prêts ou grâce à un réseau d’amis très étendu) – a connu, pendant un certain temps, un développement économique plus que correct grâce à ses politiques de financement, et aussi, il faut bien le reconnaître, grâce à une discipline budgétaire de fer, principalement exercée sur des communes nécessiteuses. Malgré tout, les problèmes sociaux étaient tenus à l’écart des débats et les remises en question n’étaient pas vues d’un bon œil. Même les « jeunes verts », bien trop gentils, craignaient que leur engagement contre l’énergie atomique ne les mette dans le collimateur de l’Office fédéral de protection de la constitution

Critique de la critique

Les manifestations dans les lieux publics, que ce soit contre un projet d’autoroute ou la construction d’un pont au mauvais endroit, contre la remise en cause des acquis sociaux, contre la fermeture d’écoles ou de jardins d’enfants, mais aussi les manifestations néonazies (de plus en plus fréquentes depuis la seconde moitié des années 90) étaient réprouvées. Avec l’impression que si elles n'étaient pas interdites, c'est seulement parce que la liberté de réunion est garantie par la constitution allemande. 

Les Saxons auraient bien voulu interdire les manifestations de néonazis, comme celles du NPD, et ainsi, enterrer le problème. Mais là encore, cette tendance à faire taire l'opposant, fruit d'une tradition héritée du SED (le Parti socialiste unifié d’Allemagne, le parti unique de la RDA, ndt), se résume en une phrase prononcée par Kurt Biedenkopf (ancien ministre-président de Saxe, ndlr) : « Les Saxons sont immunisés contre l’extrême droite ».  

En clair, l'État de Saxe ne fait rien et ne fera rien pour s’opposer au nombre grandissant de participants aux manifestations néonazies. Pourquoi ? Parce que l'on se dit généralement : « Laissez-les seulement marcher, et surtout n’attirez pas plus l’attention sur eux avec des contre-manifestations ». En guise d'illustration juridique, une interdiction de manifester sur les « lieux historiques » de la ville et à certains jours précis de l’année existe toujours dans la loi saxonne, mais demeure, de toute évidence, anticonstitutionnelle. Certaines initiatives citoyennes, comme le mouvement Antifa, ont cependant réussi à empêcher des manifestations néonazies autour des commémorations du 13 février (date des bombardements alliés sur Dresde en 1945, ndt) en organisant des manifestations pacifistes ainsi que des blocages. Certains membres de ces initiatives de la société civile se voient même exposés à des poursuites pénales et se retrouvent accusés d’être le problème.

Pegida : une question d'éducation politique

Les figures de proue du mouvement Pegida (pour « patriotes européens contre l’islamisation de l’Europe », ndlr) ont toutes entre 30 et 50 ans. Dans l'ensemble, les jeunes de moins de 25 ans sont peu représentés par ce mouvement réactionnaire. La large majorité des manifestants appartiennent donc à cette génération qui a fait l'apprentissage de la vie sociale en RDA et qui souffre de lacunes en matière de connaissances théoriques et pratiques pour s’investir dans une communauté démocratique. Seuls quelques protagonistes de Pegida ont une expérience concrète des partis (Siegfried Däbritz qui était membre de la FDP et Thomas Tallacker qui est toujours à la CDU) sans toutefois concevoir la politique de manière constructive. En résulte un essaim d'individus qui sortent dans la rue spontanément pour contester une situation sociale sur laquelle aucun parti politique ne s'est exprimé.

La Saxe est depuis longtemps à la traîne en matière d’éducation politique en comparaison avec les autres Länder du pays. Après la réunification et pour faire des économies, l'État a temporairement recyclé des vieux professeurs pour les cours d’éducation civique plutôt que de faire appel à des jeunes recrues conditionnées par une autre éducation politique. Les portes des écoles et des universités sont longtemps restées fermées aux personnes engagées politiquement, soi-disant pour faire barrage à l’endoctrinement des partis. Encore une fois, les conflits et disputes politiques devaient se tenir à l’écart du peuple. Nombreux sont encore ceux pour qui la politique n’est un espace de débats, un endroit où l’on peut défendre des perspectives ou des vérités différentes. 

La radio-télévision locale MDR avec des titres d’émissions tels que  « Fakt » (les faits), « Exakt » (exact) et  « Fakt ist » (le fait est) contribue malheureusement à consolider une telle compréhension monolithique de la politique. Même dans les vœux des journalistes (les mêmes depuis toujours), on peut lire que les chamailleries des partis politiques devraient cesser et que les responsables politiques devraient tous travailler dans la même direction. 

Ce texte de Dietrich Herrmann publié par la Heinrich-Böll-Stiftung est repris ici en vertu de sa licence Creative-Commons. 

Retrouvez prochainement, sur cafébabel, la suite de la série conscarée à Dresde et au mouvement Pegida.

Translated from Pegida: Warum gerade Dresden? (Teil 1)