Paula Bonet : « je communique en créant des images »
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Chloé ThibauxA mi-chemin entre nostalgie et optimisme, entrons dans l'univers créatif de Paula Bonet, l'illustratrice valencienne qui a fait d'Internet une galerie qui lui permet d'être toujours plus proche de son public. Elle nous parle de maisons sans bras, de crevettes en papier et de son nouveau livre, qu'elle a écrit et illustré.
Contempler une illustration de la désormais renommée Paula Bonet, c'est se regarder soi-même, et parfois entrer dans une réflexion intense. Comme cette femme, immobile face à un miroir, qui répare son coeur auquel elle demande qu'il ne s'arrête jamais. Ou cette deuxième qui attache à ses cheveux rouges d'autres mèches, longues elles aussi, mais plus sombres, qu'elle vient de trouver par hasard dans sa douche. « La quantité d'images que nous consommons chaque jour et la vitesse à laquelle tout arrive ne nous permettent pas de nous arrêter un instant pour savourer l'instant présent, ou en souffrir, ou en prendre simplement conscience », affirme Paula Bonet, qui vient de publier son premier livre, qu'elle a entièrement écrit et illustré.
Bien qu'elle travaille depuis longtemps avec des images et des textes sur un même support, « en cherchant à faire que l'un et l'autre se complètent », dans Qué hacer cuando en la pantalla aparece The End [Que faire quand The End s'affiche sur l'écran, ndlt] ( Editions Lunwerg , 2014), elle a finalement laissé libre cours à ses deux passions artistiques. Elle voulait « tresser quelque chose de moins immédiat, de plus travaillé, où l'illustration et la littérature fusionnent et créent un tout plus dense », confie-t-elle, avant de conclure : « oui, il est possible que cette oeuvre contienne implicitement une forme très libre de narration. »
Maisons sans bras et crevettes en papier
Les traits des mines 0,5 milimètres, l'encre de chine, ou les coups de pinceau d'aquarelle turquoise et rouge si caractéristique du style de Bonet, habillent chacune des quarante histoires que ce livre renferme.
Certaines sont nostalgiques, comme celle de cette maison qui semble avoir été amputée d'un bras parce que « tu n'es plus là ». D'autres sont énigmatiques, comme celle de cette femme habituée à manger seule, qui capte finalement le visage et le sourire de la personne occupant le siège vide face à elle. D'autres encore sont amusantes et pleines de malice, comme celle de ce petit garçon si fou de crevettes qu'il finit par en manger une en papier. Bonet avoue qu'il lui est difficile de choisir parmi ses propres dessins celui qu'elle préfère. Peut-être « en faisant un effort » et en se laissant porter par son côté « le plus intime » pourrait-elle se décider pour le personnage masculin de Cómo cruzar un río [Comment traverser un fleuve, ndlt] (l'histoire n°12), parce qu'il représente « un ami disparu trop tôt » dont elle aime se souvenir aussi souvent que possible. Llorar mares y que se te queden dentro [Pleurer des mers de larmes qui restent à l'intérieur de toi] (l'histoire nº 36), où l'on voit une femme submergée par l'océan et les animaux qui y vivent, est une autre de ses illustrations favorites. « Ce dessin a inauguré une nouvelle étape de mon travail », explique-t-elle. Bien que sa formation artistique se soit centrée sur la peinture à l'huile et la gravure (gravure sur cuivre, gravure sur bois et lithographie), elle a commencé à partir de 2009 à s'aventurer dans le domaine de l'illustration. « Créer des images, c'était ma manière de communiquer, et j'avais besoin de gagner du temps. Je ne pouvais pas consacrer trois journées à une idée qui me semblait importante à cet instant même », ajoute-t-elle.
« internet a chamboulé le monde de l'art »
Les traits qui définissent le style de Paula Bonet sont apparus presque immédiatement : l'usage de tons rouges, qu'elle associe elle-même « au sang, à la vitalité et à la force », la délicatesse de chaque détail, et le soin avec lequel elle esquisse la chevelure des personnages de ses oeuvres. Elle prétend avoir du mal à théoriser ses créations, même si malgré tout elle affirme que la majorité des dénouements font plus partie de la forme que du contenu. « Quand je dessine, j'essaie de raconter une histoire, et, par exemple, le soin accordé aux cheveux est tout à fait anecdotique », admet-elle.
Lorsque la jeune femme publie une de ses illustrations sur les réseaux sociaux, les réactions ne se font pas attendre. Cette même semaine, elle a reçu 814 likes quelques secondes après avoir posté une esquisse sur son compte Instagram. « Internet n'est pas la meilleure galerie d'art où j'ai eu l'occasion d'exposer mon travail, mais c'est bien celle qui m'a le plus permis de me rapprocher du public », précise-t-elle. « Internet a provoqué un chamboulement dans toute l'organisation des galeries telle que je la connaissais lorsque j'étudiais les Beaux Arts. Le système doit maintenant se réinventer », déclare-t-elle.
C'est cette nouvelle génération de créateurs, à laquelle appartient Paula Bonet, qui pourrait être à l'origine d'un changement de modèle dans le monde de l'Art. C'est elle qui, peut-être, mettra fin à l'élitisme toujours lié à cette discipline.
Translated from Paula Bonet: "Ya no nos permitimos disfrutar o sufrir del aquí y ahora"