Patrice : « Je me construis ma propre culture »
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Amélie MarinEn 20 ans de carrière, il a toujours semblé incarner le calme et la tranquillité dans ses morceaux. Mais au moment de sortir son dernier album, Life's Blood, l'artiste allemand apparaît en proie aux changements et aux mélanges qui caractérisent autant sa musique que sa vie de star. À 37 ans, Patrice se construit. Et nous, nous l'avons longuement rencontré pour savoir ce qu'il avait dans le sang.
Un studio à Paris, dans le 9ème arrondissement. Un hôtel chic : des plafons hauts, des dorures et des miroirs aux murs puis une grande fenêtre donnant sur une belle petite cour intérieure. Patrice est assis sur un fauteuil abimé. D'ailleurs, il n'arrête pas de tripoter la mousse qui s'échappe de l'accoudoir. Comme un pied de nez à la sévérité des lieux, il porte un jean, une chemise à fleurs et une casquette à l'envers. L'auteur-compositeur-interprète allemand, qui vit depuis 1999 entre la France et l'Allemagne, mais qui connaît un grand succès dans toute l'Europe, est en ce moment en tournée promotionnelle à Paris pour la sortie de son nouvel album - Life's Blood - qui sort aujourd'hui.
Les mains passent de l'accoudoir à la casquette, avec laquelle il joue constamment. Il gesticule, dessinant des mouvements amples. Ses mains ne tiennent pas en place. Patrice, 37 ans, le dit de lui-même : « Tout en moi est en mouvement - les lieux ou ce que j'appelle "chez moi", tout change ». Des années qu'il fait la navette entre Cologne, Paris, Londres et New York. « Quand je reste un peu plus longtemps quelque part, j'ai hâte de connaître la prochaine étape ».
Metallica, Lauryn Hill et les moqueries de sa mère
Il en va de même pour le musicien. Comme un refrain, il ajoute : « Quand je reste trop longtemps sur un truc, j'attends toujours le suivant ». Patrice, de son vrai nom Gaston Patrice Babatunde Bart-Williams, fait du reggae, avec des influences de jazz, de soul, de funk, de dub et de hip-hop. Mais il ne fait pas qu'écrire ses propres chansons ou donner des concerts, il possède aussi ses propres studios d'enregistrement et sévit un peu dans la production d'artistes. « Je reste musicien, mais je travaille toujours un autre aspect », dit-il avant de lister ses activités. « Écrire des chansons, c'est quelque chose de très intime. Donner des concerts et monter sur scène relèvent plus de l'exhibitionnisme. Tu t'exprimes à fond. Quand tu produis par contre, tu dois garder une certaine distance avec un artiste pour mieux le voir, pour pouvoir te focaliser sur ce qu'il y a de plus beau en lui », philosophe-t-il. Mais Patrice n'a pas vraiment de préférence. Ce qu'il aime plus que tout, ce sont les phases initiales :
Sous-titres disponibles en anglais.
C'est à l'âge de douze ans que Patrice commence à jouer de la guitare. Par effet de groupe, confie-t-il. « Et parce que j'avais toujours la pression, je voulais être capable de me mettre en scène et de m'exprimer. » À l'époque, tout le monde gratte sur une guitare sèche. Patrice suit le mouvement en écoutant alors ses grands modèles : des groupes comme Guns N' Roses ou Metallica. Le jeune étudiant reprend alors quelques morceaux mais commence vite à pondre les siens. « De très bonnes expériences, parce que ça a marché. Du premier coup ». Il prend cependant vite ses distances avec ses premières références très rock et, déjà, s'esssaie aux mélanges. C'est ainsi que le hip-hop convole avec le reggae sur sa guitare acoustique. C'est aussi ainsi qu'il deviendra unique. En 1999, à l'âge de 18 ans et avant même de passer le bac, il sort son premier EP LIONS. Il se fait très vite remarquer en Allemagne, en France, jusqu'à monter sur les scènes européennes pour effectuer la première partie de Lauryn Hill. Sa mère n'est pas au courant. Quand elle le sera, elle ne le prendra pas beaucoup au sérieux. Lorsqu'il lui fait écouter ses premiers morceaux enregistrés sur cassettes, elle se moque même de lui :
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Difficile de ne pas croire Patrice quand il affirme être devenu musicien parce qu'il aime se mettre en scène. Tous les à-côtés dont il peut profiter aujourd'hui le conforte aussi dans ses choix. Comme enchaîner les interviews. Au début, il sortait un disque par an. Désormais, il se laisse l'espace de trois années. Son dernier album, Rising of the Son, est sorti en 2013. Le titre fait référence à la renaissance : Patrice est né le jour de la mort de son grand-père, un signe fort pour sa famille. Avec ce dixième disque, Patrice renoue avec les siens. Il tourne même une vidéo en Sierra Leone, pays d'origine de son père.
« Les mélanges sont le cours naturel des choses »
L'artiste sort maintenant son nouveau disque, Life's Blood. Là encore, le choix du titre a une signification particulière : « Life's Blood, c'est comme l'eau ou le sang de la vie, ce pour quoi on vit, ce qui fait vraiment vivre quelqu'un. C'est donc mon sang qui coule dans cet album », explique-t-il. La métaphore de l'eau, quant à elle, fait plutôt écho à une philosophie qu'il cultive depuis un certain temps : « Les valeurs se sont carrément décalées dans notre monde. On donne de la valeur à des papiers avec des numéros - alors que ça n'a aucune valeur réelle. Contrairement à l'eau, qui, où que nous soyons, dans le désert ou dans la jungle, a toujours la même valeur : ça reste ce dont nous avons le plus besoin ».
Patrice - « Burning Bridges »
Dans le clip de son nouveau single « Burning Bridges », c'est évident : la culture africaine fait désormais partie intégrante de ses projets. Le mélange est devenu la clé de sol de ses compositions. « Lier le passé à ce qui est "fresh" en ce moment est super intéressant », glisse-t-il. Du coup, les danses africaines ou les instruments traditionnels se mêlent souvent à la culture hip-hop et aux sons électroniques. « Peu importe son origine, si on regarde un danseur contemporain, on voit l'Afrique. Des trucs modernes comme le hip-hop trouvent leurs origines en Afrique. »
Les mélanges ne sont pas seulement une voie qui mène au succès, c'est aussi l'essence de l'existence selon Patrice : « Les mélanges sont le cours naturel des choses. Nous existons seulement parce que l'homme et la femme se sont mélangés. Chaque peuple dépend d'un mélange au départ. Il n'y a pas de "purs Africains" ou de "purs Européens" ». Le musicien n'aime pas les cases, les catégories, ni qu'on l'interroge sur sa nationalité. « Je sais quelle est l'intention derrière cette question, et elle m'est désagréable, souffle-t-il. Je divulgue alors simplement ce qui est écrit sur mon passeport, mais seulement pour faire plaisir. Je me construis ma propre culture. Et dans une certaine mesure, je crois que tout le monde fait ça. Nous ne sommes pas déterminés par notre lieu de naissance. C'est simplement le cours naturel des choses. »
« Si on dépasse la peur de mourir, on dépasse toutes les peurs »
On se risque tout de même à demander : « Dans ce perpétuel mouvement, quels sont les éléments constants ? ». « Mes limites », répond-t-il sérieusement avant d'éclater de rire. Si voix a selon lui une certaine identité, il n'a qu'une connaissance limitée de la musique. « Les choses que je ne connais pas n'existent pas non plus dans mon monde », philosophe-t-il à nouveau. Selon lui, les limites sont importantes quand il s'agit de jongler avec les styles. « Au début de ma carrière, j'étais beaucoup plus limité et je savais faire beaucoup moins de choses, avoue-t-il. Beaucoup disent que mes premiers albums sont les meilleurs parce que j'étais concentré sur une chose que je maîtrisais. Aujourd'hui, je sais faire plus. Parfois, les gens ne peuvent pas suivre. Ou bien ils se demandent : pourquoi ne reste-t-il pas dans cette case que je lui ai constuite ? ».
Une autre constante qui pèse ? Son gros sac à dos. Patrice ou son assistante y embarque divers appareils d'enregistrement. « Il y a là deux ordis portables, cinq disques durs, une carte son et des micros », énumère-t-il. Il a besoin de cet équipement pour pouvoir enregistrer partout et n'importe quand. Le sac pèse 20 kilos. Son assistante a réclamé un massage par mois dans son contrat de travail.
Le sac à dos vaut à Patrice d'être régulièrement arrêté lors des contrôles de sécurité dans les aéroports : « Je dois à chaque fois passer les tests d'explosifs ». Pour les trajets plus courts, comme entre Cologne et Paris, il essaie de voyager en train. La protection de l'environnement n'est pas sa raison principale : « Sérieusement, j'ai vraiment peur en avion ».
Patrice enchaîne alors les anecdotes : « Dans les lieux publics, j'essaie d'être discret mais on finit toujours par me remarquer », raconte-t-il en ricanant face caméra. Voilà qu'il gesticule à nouveau, cette-fois ci pour rejouer les scènes auxquelles il est souvent confronté. « Avec Easy Jet, où tout est payant, on me donne à boire gratos. Ils viennent me voir et me demandent : "Voulez-vous boire quelque chose ?"». J'ai beau dire que je n'ai pas soif, on me force presque à prendre quelque chose. Généralement, je commande un mojito. Et on m'en apporte deux », raconte-t-il dans un nouvel éclat de rire.
Soudain, revoilà le Patrice sérieux, pensif : « Un pilote m'a un jour raconté que certains footballeurs ou d'autres personnalités avaient vraiment peur en avion. Je crois qu'on a peur en avion parce qu'on se prend trop au sérieux. Mais j'y travaille ! Si on dépasse sa peur de mourir, on dépasse toutes les peurs ».
N'est-ce pas fatigant de vivre comme ça ? La question se pose surtout parce que malgré ses sketchs Patrice a l'air épuisé. La nuit précédente a été courte, explique-t-il. Il a joué dans une salle parisienne, La Cigale, avec la chanteuse Calypso. Après ? Open bar...
Qu'importe, Patrice n'aura pas le temps de se reposer. Il doit jouer une session live dans une demi-heure. Avec ses mains qui partent encore dans tous les sens, l'artiste demande : « Can I add someone to the Life Session ? ». Oui, il peut. L'énergie et les idées ne semblent pas manquer à Patrice. Tout du moins, pas pour l'instant.
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Écouter : Patrice - Life's Blood (2016/ Because Music)
Translated from Patrice: „Ich baue mir meine eigene Kultur“